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nombre de cahiers refusent au seigneur protestant l'honneur et les avantages attachés au titre de patron de paroisse. Chartres veut que les protestants soient exclus de l'enseignement. Le clergé de Saint-Paul de Paris admet qu'on leur donne le droit de vote, mais refuse de leur reconnaître l'éligibilité.

Les juifs, bien moins nombreux et bien plus séparés du reste de la nation, ne paraissent pas avoir beaucoup attiré sur eux l'attention du clergé. Il est cependant une province, l'Alsace, où l'Eglise s'est préoccupée de leurs progrès. Le clergé de Colmar nous apprend «< que les juifs, par leurs vexations, leurs rapines, la << duplicité cupide dont ils offrent journellement de si pernicieux << exemples, sont la principale et première cause de la misère du << peuple ». Leur étonnante pullulation les a fait passer, en un siècle, de 3.000 à 20.000 dans la province, et, pour l'arrêter dans son principe, le clergé demande « qu'il ne puisse plus être permis << de contracter mariage qu'au fils aîné de chaque famille juive ».

Il est un autre ennemi contre lequel le clergé montre beaucoup plus d'antipathie : ce sont les philosophes, les rois du jour, qui lui ont mené si rude guerre depuis quatre-vingts ans.

Encore modéré lorsqu'il s'agit des huguenots, le langage des cahiers devient furieux dès qu'il s'agit des philosophes.

Le cahier de Dax fulmine contre « la secte impie et audacieuse qui décore sa fausse sagesse du nom de philosophie. En voulant <<< renverser les autels, elle a tenté d'ébranler le trône. La corrup<«<tion de ses principes entraîne la corruption des mœurs et précipitera la nation dans l'anarchie et l'indépendance, si le << gouvernement ne s'empresse d'opposer au torrent dévastateur <«<les digues les plus fortes ».

Le cahier d'Angoumois « représente à S. M. les funestes effets de << l'incrédulité, la France inondée, en moins d'un siècle, de livres <<< obscènes, impies et scandaleux, et qui deviennent au préjudice << de la religion le seul code d'instruction d'une jeunesse insensée». Le cahier d'Armagnac demande des mesures efficaces pour combattre « cette multitude scandaleuse d'ouvrages où règne l'esprit <«<de libertinage, d'incrédulité et d'indépendance, où l'on attaque << avec tant de témérité et d'impunité la foi, la pudeur, le trône et << l'autel ».

Tous les cahiers s'accordent à signaler les dangers de la liberté de la presse et à réclamer une répression énergique de ses écarts. La loi interdira toute publication anonyme, tout écrit contraire à la foi, aux bonnes mœurs et au gouverne

ment (Angoumois). Les auteurs, les imprimeurs et tous ceux qui répandront de pareils écrits seront poursuivis «< comme fléaux de la tranquillité publique » (Anjou) et feront l'objet d'un châtiment exemplaire (Caux). Ils ne pourront jamais, pour expresses et publiques qu'aient été leurs rétractations, prétendre à faire partie d'aucune Académie, ni à obtenir aucun poste dans les collèges et les Universités (Dax). Enfin, les évêques seront seuls juges en matière de foi et de morale (Auch).

Comme les écrits scandaleux, seront interdites les œuvres d'art licencieuses, les tableaux, les gravures, les statues susceptibles de blesser la décence et la pudeur (Caux).

Protégée ainsi contre ses ennemis protestants, juifs, philosophes et libertins, l'Eglise demande que l'Etat remette en vigueur les anciennes lois relatives à la sanctification du dimanche, à l'observation des fêtes chômées, au respect des jeunes et abstinences prescrits par la loi ecclésiastique.

Le clergé du pays de Caux demande la suppression des foires et marchés fixés au dimanche, la fermeture des cabarets et des jeux publics, sources de scandales et de désordres.

Châtillon-sur-Seine voudrait qu'on ne pût jamais travailler le dimanche ou un jour de fête sans la permission écrite du curé. Presque tous les cahiers réclament au moins la fermeture des cabarets pendant les offices.

La vicomté de Paris tonne aussi contre la licence des théâtres. « L'abus des théâtres, dit-elle, est monté à son comble, soit qu'on « considère la nature des pièces qu'on y représente, dans les« quelles la religion, les mœurs, le gouvernement et tous les « ordres de l'Etat sont également outragés, soit qu'on fasse atten<tion à la multitude qu'on en a laissé établir, notamment dans «la capitale, d'où des troupes d'acteurs et autres histrions se « répandent dans les campagnes et y portent la corruption, el à « l'excès auquel on s'est porté en apprenant à des enfants, dès « l'âge le plus tendre, à exercer une profession que les lois << civiles elles-mêmes flétrissent. >>

Le luxe effréné des femmes n'est pas moins dommageable à la morale que les excès du théâtre ou de la presse. La vanité a fait peut-être plus de mal que les mauvais livres, et certains cahiers semblent pousser à la remise en vigueur des lois somptuaires : Tant de femmes mondaines, dit le cahier du Boulonnais, << oubliant que la pudeur et la modestie sont le plus bel orne<ment de leur sexe, mettent leur gloire dans le vain étalage

L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

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<< de leur parure, dont l'affectation superbe montre la peti<< tesse de leur esprit, qui se repaît follement d'un état << étranger à leur âme et à leur corps et tiré en grande << partie de la dépouille de vils animaux. >>

C'est fort bien fait de prêcher la morale et de combattre la dissipation, le théâtre, le jeu, le luxe, tout ce qui peut prêter au vice plus d'attrait et plus de puissance; mais il importe surtout de songer aux jeunes générations qu'il faut préserver de l'erreur et reconquérir à la foi et aux bonnes mœurs.

Le clergé aborde résolument le grand problème de l'éducation, reconnaît qu'elle est partout en décadence, rend en passant un légitime hommage à une société célèbre qui a laissé des << regrets et un vide qui n'a pu encore être rempli » (Bar-surSeine, Castelnaudary, Lyon, Péronne), et pose les principes dont le législateur devra s'inspirer dans la réforme de l'enseignement national.

Les grades universitaires ne seront plus donnés par complaisance, mais seront conférés à la suite d'épreuves sérieuses et sévères (Bigorre).

Les chaires des Universités et des collèges seront réservées « à << des hommes uniquement consacrés à cette fonction, aussi << recommandables par leurs bonnes mœurs et leur piété que << distingués par la science » (Caux).

Et, pour trouver ces hommes, la plupart des cahiers proposent de s'adresser aux ordres religieux, tout prêts, disent-ils, à assumer cette tâche, persuadés qu'ils trouveront dans son accomplissement un renouveau de vie et de popularité (Angoumois, Artois, Auxois, Nivernais).

Les évêques seront les inspecteurs-nés des collèges dirigés par les réguliers ou les séculiers (Angoumois, Caux). Les maisons d'éducation qui se sont fondées en dehors du contrôle épiscopal disparaîtront.

L'enseignement primaire sera développé. Chaque paroisse sera invitée à entretenir une école; mais c'est au curé qu'appartiendront la nomination du maître, la surveillance de son enseignement et le droit de le révoquer, lorsque le bien des paroissiens paraîtra l'exiger (Bar-sur-Seine).

« Le maître d'école, dit énergiquement le cahier de Mantes, sera toujours le clerc du curé. »

Tel est, dans ses grandes lignes, le plan de réformes proposé par le clergé de France en 1789. Assez éclairé pour comprendre

qu'une réforme politique s'imposait, assez libéral pour la vouloir sérieuse et efficace, le clergé se laisse aveugler par l'amour-propre et l'esprit de corps, toutes les fois qu'il s'agit de sa propre cause. Il prétend former un pouvoir politique dans l'Etat et en être le premier ordre. Il entend conserver sa hiérarchie, ses prérogatives honorifiques et utiles, ses biens-fonds, ses dîmes et le droit d'administration le plus étendu sur son personnel et sur son patrimoine. Il se prononce pour la conservation des ordres religieux. Il réclame pour le catholicisme le monopole du culte public et désigne aux rigueurs du gouvernement ses adversaires protestants, juifs et philosophes. Il se croit en droit d'imposer à tous le respect de ses rites et de ses règles. Il sollicite l'assistance du bras séculier contre les licences de la presse, du théâtre et des mœurs. Il prétend se réserver le monopole de l'enseignement, comme celui du culte. Dans le domaine religieux, intellectuel et moral, rien n'échappera à sa surveillance, rien ne pourra germer ni grandir sans sa permission. Le régime qu'il rêve pour la France est donc une véritable théocratie, et vouloir imposer un pareil système à la France de 1789, c'était indubitablement ne la pas connaître.

L'EXPROPRIATION DU CLERGE

Si la monarchie française se décida, en 1789, à convoquer les Etats-Généraux, ce ne fut point par libéralisme, mais par nécessité. Elle succombait sous le poids d'une dette de 4.467.478.000 livres, dont le chiffre paraît insignifiant aujourd'hui; mais les intérêts de cette dette absorbaient chaque année 236.150.000 livres les revenus de l'État ne dépassaient pas 475 millions, et les dépenses montant à 531 millions, le déficit annuel était de 56 millions de livres. Le Tiers-État se déclarait incapable de supporter de plus lourdes contributions; le clergé et la noblesse s'étaient entêtés, jusque-là, à ne pas vouloir accepter leur part des charges publiques. Force avait été d'en appeler à la nation.

Le jour même où elle prit le pouvoir (17 juin 1789), l'Assemblée Constituante mit la dette publique sous la sauvegarde de l'honneur national., Elle répondait ainsi aux projets de banqueroute que l'on prêtait à la cour et s'attirait les sympathies du monde des affaires.

Mais reconnaître la dette publique n'était pas la payer, et cette dernière opération était tenue pour presque impossible par les hommes compétents.

La France du XVIe siècle n'avait pas manqué d'habiles financiers; elle en avait encore en la personne de ses intendants et de ses fermiers généraux; mais, justement, ces spécialistes ne faisaient pas partie de l'Assemblée nationale, et ne jouissaient auprès d'elle d'aucune autorité. Ils représentaient à ses yeux ce que la monarchie avait eu de plus tyrannique. Elle était bien décidée à briser les obstacles que ces gens d'ancien régime, au génie étroit et terre à terre, pourraient mettre en travers de sa route.

Chose assez curieuse, les cahiers du Tiers-État, qui consacrent des pages entières à l'assiette et à la répartition de l'impôt, et qui protestent avec une extrême véhémence contre la gabelle, les aides et la corvée, ne parlent que fort peu de la dette natio

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