Page images
PDF
EPUB

qu'un certain Petit-Radel prit à tâche de faire disparaître. Il trouva un moyen court et facile de démolir une cathédrale, sans risquer de se faire écraser sous ses ruines. Il conseilla de remplacer deux ou trois assises d'un pilier par des cubes de bois bien sec; on y met le feu, le bois se réduit en cendres, le pilier s'écroule, et avec lui une partie de la nef et des voûtes. On n'est pas plus ingénieux.

Beaucoup de monuments religieux ne trouvèrent point acheteurs et restèrent pour compte à l'Etat. Leur sort ne fut pas beaucoup plus enviable. Il y eut des églises transformées en magasins à fourrages, comme Saint-Nicolas de Caen, Saint-Martin de Vendôme et l'église des Jacobins de Toulouse. Il y en eut d'abandonnées à la destruction lente, comme l'abbaye de Jumièges. Il y en eut de métamorphosées en prisons, comme Fontevrault et le Mont Saint-Michel.

Le Mont Saint-Michel, ce château de rêve, bâti « au péril de la mer», sur les confins de la Bretagne et de la Normandie, devint une maison de détention; la salle des chevaliers fut divisée en deux étages de cellules. La nef romane de l'église fut encombrée de poutres, de solives, de cloisons, de guichets, de cellules et d'ateliers. Un beau jour, tout cela flamba, et, aujourd'hui encore, l'église brûlée et rongée par le feu n'est plus qu'un cadavre aux teintes sanglantes, une ruine douloureuse.

Et qui dira les pertes d'objets d'art de toutes sortes: pièces d'orfèvrerie, boiseries sculptées, devants d'autels, grilles précieuses, statues, tableaux, broderies? La France était encore, à la fin du XVIIe siècle, le pays le plus monumental de l'Europe, le plus riche en objets précieux. Il nous en est resté assez pour nous faire une idée de ce qu'elle put être au temps de sa splendeur; mais il y eut alors des pertes irréparables, et, si notre xixe siècle n'a connu que de si pauvres architectures, si tout y paraît si sec, si mesquin, si vide d'inspiration, si dépourvu de fantaisie, n'est-ce pas comme un châtiment de l'oubli coupable où nous avons si longtemps laissé notre art national, l'un de nos meilleurs titres de gloire pourtant, le plus bel art qui ait été depuis la Grèce ?

LA SUPPRESSION DES ORDRES MONASTIQUES

La vie ecclésiastique se manifeste sous deux formes distinctes le clergé séculier s'occupe du gouvernement spirituel des paroisses; le clergé régulier peuple les abbayes et les

couvents.

L'idée de se retirer du monde, de se mettre en marge de la vie courante, pour travailler plus aisément à son salut, est une idée extrêmement ancienne dans le christianisme et qui prit, dans tous les pays chrétiens, un immense développement.

La vie en commun, et toute comprise en vue de fins spirituelles, parut tout d'abord plus conforme aux préceptes évangéliques. On se crut plus pur, parce qu'on renonçait aux affections les plus légitimes; on se crut plus désintéressé, parce qu'on faisait vœu de pauvreté personnelle; on se crut aussi plus intelligent, parce qu'aux joies passagères de ce monde on préférait les délices de la spiritualité.

Peut-être y avait-il un peu d'égoïsme au fond de ce calcul; mais les temps étaient si durs, la barbarie se faisait si atroce, que l'on comprend l'effroi des âmes délicates en face de l'horrible société qu'avaient faite les guerres civiles romaines et les invasions germaniques.

Au Moyen-Age, les abbayes furent l'asile précieux et tutélaire des pacifiques, le reliquaire de l'antiquité, le dernier, l'unique foyer de la vie intellectuelle.

Pendant le long règne de l'Eglise, l'activité monastique se manifesta dans tous les champs de la vie et présenta par toute l'Europe un si noble et magnifique spectacle, que les dons affluèrent, et que les maisons communes des pauvres Frères de SaintBenoît ou de Saint-Bernard prirent des airs de forteresses et de palais, et que les chapelles des abbayes rivalisèrent de splendeur avec les cathédrales.

L'antinomie entre la règle austère des ordres religieux et la magnificence de leurs maisons ne tarda pas à frapper les foules. Devant ces entreprises colossales, qui allaient croissant et s'enri

chissant chaque jour, les jalousies et les convoitises s'allumèrent. Incapable de comprendre la beauté mystique de la vie contemplative, écrasé par la concurrence intelligente des ordres laborieux, le peuple recueillait avidement les calomnies qui couraient sur les moines, tremblait sous leurs férules, vivait de leurs charités, et les haïssait le plus souvent parce qu'ils étaient savants tandis qu'il était ignare, intelligents tandis qu'il était sot et riches. tandis qu'il était pauvre.

Au seizième siècle, une première crise bouleversera la vie monastique en Allemagne, en Scandinavie, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Ecosse. Les abbayes devinrent des châteaux, et en place des abbés, presque toujours humains et charitables, s'installerent des barons, dont le joug pesa plus durement sur les campagnes. Les pays latins gardèrent leurs couvents; de nouveaux ordres se fondèrent; le dix-septième siècle vit partout une recrudescence de ferveur religieuse; l'Autriche, la France, l'Italie et l'Espagne semblèrent prendre à cœur de compenser par un redoublement de zèle les pertes que l'hérésie avait fait éprouver à la fortune des ordres.

Mais ce ne fut qu'un feu de paille, et le dix-huitième siècle vit languir presque toutes les institutions fondées au siècle précédent.

Les conditions de la vie générale avaient changé. La paix publique était partout assez assurée pour que les pacifiques n'eussent plus besoin de chercher un refuge derrière les murs des couvents.

La culture moderne avait rendu à la société laïque l'intelligence et le respect des choses de l'esprit.

Les sciences et les arts s'étaient développés en dehors de l'Eglise, et paraissaient fleurir plus abondamment à l'air libre que dans la pénombre des cloîtres.

En dépit des abus, des violences, des misères de tout genre dont souffrait le monde européen, la vie du siècle devenait chaque jour plus active, plus brillante, plus attrayante. Tout s'élargissait, tout s'éclairait; un souffle de liberté passait sur les cités; les couvents, muets au milieu des rues bruyantes, produisaient l'effet de ces bastilles inutiles et menaçantes que Richelieu avait fait détruire sur les collines de France.

Longtemps protecteurs des couvents, les rois avaient fini par les voir, eux aussi, d'un œil moins bienveillant, et par penser que leurs richesses pourraient être plus utilement employées.

Malgré ses scrupules et ses appréhensions, Louis XV avait laissé ses Parlements dissoudre et exproprier la Compagnie de Jésus, le plus robuste et le plus vivant de tous les ordres religieux du royaume. Celui-là disparu, il semblait qu'il n'y eût pas de raison pour conserver les autres. Beaucoup se mouraient de langueur et semblaient n'attendre que le coup de grâce.

Un consciencieux travail, dû à l'un de nos étudiants, M. Brunet (1), va nous permettre de dresser la liste complète des communautés religieuses de Clermont et de Montferrand, à la date de 1789.

Les deux villes comptaient, à cette époque, 16 couvents d'hommes et 10 couvents de femmes, pour une population totale d'environ 25.000 habitants.

L'Abbaye royale de Saint-Alyre remontait au moins au XIe siècle et possédait droit de haute et basse justice sur tout le quartier de Saint-Alyre. Elle était en commende depuis près d'un siècle et taxée à 10.000 livres (2). Les moines n'avaient cessé de réclamer contre cette imposition et s'étaient engagés dans d'interminables procès, qui aboutirent en 1787 à la mise sous séquestre des biens de l'abbaye. Saint-Alyre, qui avait encore en 1720 vingt-deux pères de chœur et trois frères servants, ne renfermait plus en 1789 que onze religieux, dont six ne résidaient pas ordinairement à l'abbaye. Quand les portes du couvent s'ouvrirent devant eux, un seul, le P. Savignat, âgé de 82 ans et infirme, demanda à rester dans la maison; les autres moines se déclarèrent heureux d'une solution qu'ils n'osaient entrevoir par respect pour leur dignité, mais qui leur apportait un véritable soulagement, « car la solitude « et la mort leur paraissaient, chaque jour, plus pénibles à envisa«ger dans cet immense couvent ». Les revenus de l'abbaye étaient estimés, en 1790, à 61.140 livres. Il lui était dû 6.828 livres sur ses loyers et fermages, et la vente des denrées qui emplissaient ses magasins donna une somme de 40.000 livres.

L'Abbaye royale des chanoines réguliers de Saint-André, bâtie sur l'emplacement actuel de l'école normale d'instituteurs, avait été fondée en 1120 par Guillaume V, premier dauphin d'Auvergne. Son église possédait le cœur du roi Louis VIII et les tombeaux de plusieurs dauphins d'Auvergne. Patronne de nombreux bénéfices dans la province, l'abbaye les faisait servir par ses chanoines,

(1) Paul Brunet, Les Congrégations religieuses à Clermont-Ferrand avant la Révolution, mémoire pour le diplôme d'études supérieures d'histoire. (2) Almanach royal, 1788.

et ne renfermait plus, en 1789, que six ecclésiastiques résidants, qui se déclarèrent tous disposés à se retirer dans leur pays, moyennant une pension. Maîtres d'un domaine de près de 100 kilomètres carrés, les chanoines n'en tiraient plus, en 1789, qu'un méchant revenu de 17.500 livres, par suite de leur mauvaise administration et des abus de la commende. Ils percevaient encore une curieuse redevance féodale de 13 deniers sur chaque mariage célébré dans les églises de Clermont et de Chamalières.

Les Carmes anciens, dont la jolie chapelle est devenue l'église paroissiale de Saint-Genest, avaient perdu depuis longtemps leur caractère primitif d'ordre mendiant. C'était une communauté de prêtres vivant des revenus de leur couvent. Ils étaient encore au nombre de huit en 1789, plus trois frères convers, tous d'un âge assez avancé. Leurs revenus, très dispersés et provenant d'une foule de menues redevances, montaient à 15.334 livres; il leur était dû 7.659 livres, par différentes personnes, et leurs caves renfermaient 450 pots de vin d'Auvergne, estimés à 3 fr. le pot.

Les Carmes déchaux de Saint-Pierre de Chantoingt avaient depuis longtemps cessé d'observer la règle ; ils vivaient d'assez maigres revenus, évalués à 4.340 livres, et qui leur laissaient, charges déduites, 3.220 livres pour les besoins de la communauté. Le couvent contenait, en 1790, douze pères et quatre frères convers, qui demandèrent tous à sortir du cloître et furent les premiers réguliers de Clermont à prêter le serment constitutionnel.

Les Augustins réformés, établis sur l'emplacement actuel de la place Saint-Hérem, étaient en 1789 réduits à une véritable misère, n'ayant plus que 140 livres à se partager entre quatre religieux. Leur chirurgien, aux gages de 13 livres par an, leur réclamait 5 années d'appointements.

Les Minimes, installés en 1620 à Clermont, y bâtirent l'église paroissiale de Saint-Pierre et rendirent pendant longtemps de grands services aux populations pauvres du quartier de Jaude. En 1789, leur couvent n'abritait plus que cinq frères, dont le plus jeune avait passé la cinquantaine. Ne sachant que faire des vastes locaux dont ils disposaient, ils en avaient loué une partie à un imprimeur. Ils possédaient plusieurs maisons à Clermont, des redevances utiles, la seigneurie de Comaneaux, la haute et la basse justice de Bromont et de Gelles. Ils tiraient de tout cela 8.822 livres de rentes.

« PreviousContinue »