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d'énergumènes qui faisaient dire à un Anglais : « Ce sont des ivrognes, qui veulent avoir la clef de la cave. »

Tout en déclarant n'avoir en vue que le bien de la nation, la plupart des députés philosophes rêvaient, en fait, la ruine de l'Eglise et l'anéantissement du catholicisme; ils accusaient leurs adversaires de fanatisme et se montraient fanatiques, à leur tour, dans la guerre qu'ils poursuivaient contre le clergé; l'un d'eux alla jusqu'à dire : « Nous pourrions, si nous le voulions, << changer la religion. >>

La loi qui fut volée par ces hommes mit dans la rue, au milieu d'un peuple hostile, 23.000 religieux de tout âge et de toute condition, expulsés de 2.489 monastères, et menaça du même sort 37.000 religieuses habitant 1.500 maisons.

Parmi les moines, un certain nombre rentrèrent dans la vie civile ; d'autres trouvèrent à s'employer dans le service des paroisses; d'autres se retirèrent dans leur lieu natal, l'esprit rempli de trouble, et se demandant quelle tempête sévissait sur la France.

Il y en eut que la colère jeta dans la lutte politique, et qui y portèrent d'âpres désirs de représailles, de barbares espoirs de vengeance.

Il y en eut qui moururent de douleur.

Il y en eut même qui se tuèrent de désespoir.

Ceux qui avaient opté pour la vie religieuse se virent bientôt en butte à diverses tracasseries. On les réunissait au nombre de quinze ou vingt dans une même maison, mêlant tous les ordres, les contemplatifs et les enseignants, les charitables et les prédicants. On leur ôtait ainsi toute possibilité d'observer leur règle. On les obligeait à élire, tous les deux ans, un supérieur commun, qui devait être approuvé par la municipalité. C'était l'autorité municipale qui approuvait le règlement de la maison, et qui veillait à son exécution ponctuelle. La politique pénétrait dans le couvent, en bannissait toute soumission et toute paix.

Les couvents de femmes étaient soumis aux mêmes lois et souffraient des mêmes embarras.

L'Assemblée ayant supprimé les costumes monastiques et décidé que chaque religieux s'habillerait comme il l'entendrail, certaines administrations interdirent aux religieux le droit d'user leurs habits et les contraignirent à prendre le costume civil.

Enfin la vie matérielle des moines et des religieuses, que la loi avait promis d'assurer, se trouva bientôt menacée elle-même.

Les pensions devaient être, en moyenne, de 800 livres ; il y en avait de 1000 livres ; il y en avait de 350. Le chiffre de 800 livres représentait, à peu près, l'ancienne congrue des curés de campagne. Nous savons déjà que tout le monde la jugeait insuffisante, et le curé vivait à la campagne et était logé. Que pouvait faire, avec d'aussi maigres ressources, un religieux obligé de pourvoir à tous ses besoins, sans aucune expérience de la vie pratique, sans aucune idée du prix des logements et des denrées ?

Et cette pension même, quand et combien de temps fut-elle payée ?

Les pensions devaient, d'après la loi, courir du 1er avril 1790; mais, comme les caisses étaient vides, on en retarda le paiement au 1er janvier 1791. Les religieux étrangers furent renvoyés dans leur pays sans indemnité ni moyens de retour.

Les nationaux ne tardèrent pas à se trouver dans une véritable détresse.

Dès 1791, commencent à se faire entendre leurs doléances. Les hôpitaux du Nord, qui avaient 480.000 livres de revenu, en ont gardé 10.000, et les communes ne leur donnent aucune ressource. Les Ursulines d'Ornans vivent d'aumônes. Les Bernardines de Pontarlier ne subsistent que des charités du district. L'argent manque dans toutes les caisses pour payer les pensions ecclésiastiques, et déjà certaines administrations rognent le chiffre de la pension légale. Le département du Doubs réduit la pension des Visitandines à 101 livres pour les religieuses de choeur et à 50 pour les sœurs converses (Taine, la Révolution, t. Ier). Pendant toute la période révolutionnaire, il en sera ainsi ; ce sera bien souvent la famine qui jettera l'exreligieux ou le prêtre insermenté dans la révolte et la guerre civile.

Pendant que les moines se voient ainsi réduits aux plus dures extrémités, les monastères tombent sous la pioche des démolisseurs ou sont transformés en hôpitaux, en casernes, en prisons, en magasins, en halles, en écuries.

Toutes les œuvres savantes dont s'occupaient les ordres laborieux sont interrompues. Le tome XIII du Recueil des Historiens des Gaules et de La France, qui venait d'être achevé, est presque entièrement détruit avant d'avoir été mis en vente. La Gallia christiana est arrêtée au XIIIe volume. L'Histoire littéraire de la France reste à son XIIe volume. Les Acta Sanctorum s'arrêtent au tome LIV.

Les archives des monastères sont confisquées, comme tout le reste. Un décret du 24 août 1790 ordonne leur transfert à la municipalité, de la municipalité au district, du district au chef-lieu du département. Les déménagements et les transports, confiés à des ignorants, se font dans de déplorables conditions et entraînent la perte d'un nombre incalculable de documents. Pendant dix ans au moins, les pièces d'archives restent à l'abandon, surtout en province, où personne ne s'intéresse à leur conservation. Les lois du 12 septembre 1790 et du 7 messidor an II portent bien que les archives nationales seront ouvertes aux travailleurs; mais les liasses et les volumes encombrent à tel point l'hôtel Soubise, qu'on n'entrebâillera sa porte qu'en 1812 et qu'on ne l'ouvrira toute grande qu'en 1830.

Les bibliothèques n'auront guère un sort meilleur. Bien classées et bien ordonnées, tenues à peu près au courant du mouvement historique et littéraire, les bibliothèques monastiques . vont former, presque partout, le premier noyau des bibliothèques municipales; mais il se passera presque toujours de longs mois entre le moment où les livres sortiront du couvent supprimé et le jour où ils se trouveront réinstallés dans les armoires de la bibliothèque de la ville. Pendant ce temps, que de pertes et que de dégâts!

La suppression des monastères désorganise, à peu près partout, les établissements d'instruction publique. Les collèges municipaux, laissés sans ressources, ferment peu à peu leurs portes. Il n'y aura pas de reprise avant la création des Ecoles centrales, et, quand Napoléon rétablira l'Université, la France aura perdu depuis dix ans l'habitude de la vie intellectuelle.

Les auteurs de la loi du 13 février 1790 ne pouvaient, il est vrai, prévoir toutes les catastrophes qui allaient atteindre la France; il n'en reste pas moins certain que la loi qui fut votée contre le clergé respire l'esprit de parti, qu'elle apporta un trouble profond dans les consciences, qu'elle fut pour un grand nombre de particuliers la source de malheurs et de souffrances imméritées, qu'elle arrêta des travaux scientifiques considérés comme les plus beaux du siècle et qu'elle désorganisa pour dix ans l'enseignement public. A toutes ces raisons, un politique nous répondit un jour : « Si l'on pensait à tout cela, << on ne ferait jamais rien ! » Nous préférons le mot de Siéyès : « Quand on veut être libre, il faut savoir être juste. »

LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ

Le clergé avait été supprimé comme ordre distinct dans l'Etat, avait perdu sa dotation foncière, avait été amputé de tous ses ordres monastiques: il était, désormais, impuissant et désarmé dans la main de l'Etat.

C'était bien là ce que les Constituants avaient voulu; c'était bien le but qu'ils avaient, dès longtemps, assigné à leurs efforts.

Les Constituants ne sont pas seulement les disciples de Voltaire et de Rousseau, ce sont aussi des Français façonnés par de longs siècles d'absolutisme royal et par deux cents ans d'éducation classique.

Voltaire leur a ôté le respect et jusqu'au sens de la religion. Ils sont devenus sourds à ses enseignements. Ils se moquent des mystères, et, s'ils croient encore en Dieu, c'est par un reste d'habitude et pour ne s'en occuper jamais. Leur humeur n'est pas de s'intéresser à ce qui ne peut se prouver par les procédés ordinaires du raisonnement, Dieu ne se voit pas, ne se mesure pas, ne se pèse pas... Qu'est-ce que cela ? N'est-ce point cette chose incompréhensible et folle qu'on appelle la métaphysique? S'en occupe qui voudra! Pour eux, ils ont à hâter le règne de la philosophie.

Ils sont, d'autre part, trop pratiques pour méconnaître que la religion peut mettre un frein à certains appétits de la foule; ils n'ont pas besoin de ce frein, eux, les philosophes; mais le vulgaire serait dangereux, s'il avait perdu toute crainte et toute espérance. Ils sont donc tout prêts à maintenir pour les autres cette divinité à laquelle ils ne croient plus. Ils redisent volontiers le vers fameux:

Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.

Et, comme Dieu n'existe pas pour eux, ils l'inventent; ils font un dieu à leur image simpliste, logicien, philanthrope et autoritaire, qui est une abstraction, un symbole philosophique.

L'éducation classique a fait de ces hommes des citoyens de Sparte, d'Athènes ou de Rome. Ils ne connaissent les civilisations antiques qu'à travers la rhétorique des historiens et des beaux esprits. Ces rudes sociétés, fondées sur l'esclavage et sur la guerre, ils les prennent naïvement pour des Etats libres, d'une structure bien plus rationnelle que les Etats modernes.

Les héros grecs et romains leur apparaissent comme des archétypes de sagesse et de vertu. Il ne leur vient pas un instant à la pensée que l'âme humaine se soit agrandie et purifiée depuis Alexandre et César et que le christianisme ait marqué dans l'histoire un immense progrès moral. Ils opposent sans cesse les vices du monde où ils vivent aux perfections du monde antique, et comme ce monde ne connaissait ni religion positive ni clergé, comme le culte n'était dans ces cités qu'une des formes de la puissance publique, comme le magistrat y était prêtre, ils rêvent aussi de donner à la France un culte officiel de l'Etat divinisė, dont ils seront, eux et leurs successeurs, les ministres et les pontifes. En attendant, obligés de pactiser avec la superstition régnante, ils veulent au moins la tenir en mains, la tenir de très court, pour réprimer ses moindres écarts.

De l'histoire de France, ils ne savent bien qu'une chose : c'est que a si veut le roi, si veut la loi », et maintenant que la nation est souveraine, il leur paraît tout naturel qu'elle commande avec le même absolutisme que Louis XIV. Ils condamnent la politique du roi, parce qu'elle a servi les intérêts de l'Eglise et de l'aristocratie, el qu'ils détestent l'une et l'autre ; mais ils sont prêts à user de la même autorité et de la même tyrannie pour faire triompher leur propre idéal.

Rousseau croyait au pouvoir dogmatique de l'Etat et portait des peines terribles contre quiconque se refuserait à l'admettre: « Il y a, disait-il, une profession de foi purement civile, dont il « appartient au souverain de fixer les articles; sans pouvoir << obliger personne à les croire, il peut bannir de l'Etat quiconque << ne les croit pas; il peut le bannir, non comme impie, mais « comme insociable, comme incapable d'aimer sincèrement les <«<lois et la justice et d'immoler sa vie à ses devoirs. Que si quel« qu'un, après avoir reconnu publiquement ces dogmes, se << conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort : il a << commis le plus grand des crimes; il a menti aux lois ! » — Ce passage porte en lui l'explication de la cruauté de Robespierre qui n'a fait qu'appliquer à la lettre les idées du théoricien.

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