Page images
PDF
EPUB

Sur un piédestal, une Justice tenait le glaive levé; mais la Clémence arrêtait son bras et montrait du doigt l'Occident, spirituelle allusion à la Guyane, où 53 représentants avaient été déportés.

La fête de la République (1er vendémiaire) coïncida avec la distribution des récompenses de la première exposition industrielle. Le 21 janvier (2 pluviôse), le Directoire et les autorités se rendaient au temple de la Victoire (Saint-Sulpice) pour y prêter le serment de haine à la royauté.

La fête de la Souveraineté du peuple avait lieu le 30 ventôse, veille de la réunion des assemblées électorales. Elle avait pour but principal << d'enflammer l'âme et les esprits des citoyens, de les << remplir du sentiment de leur propre dignité, de les disposer << par ce moyen à ne faire que des choix qui les honorent eux<< mêmes, à fonder ainsi pour jamais la gloire et le bonheur de la « République ».

Il y eut encore des fêtes de la Jeunesse, des Epoux, de l'Agriculture, de la Reconnaissance, de la Vieillesse.

Le peuple de Paris, toujours si amoureux de bruit et de mouvement, courait aux danses, aux concerts et aux feux d'artifice. Une liberté singulière régnait, ces jours-là, dans la ville. On vit une fois plus de cinq cents coureurs se disputer le prix de la course au Champ-de-Mars; ils appartenaient à toutes les classes de la société. Parmi eux figuraient un trésorier des guerres et le citoyen Lenoir, directeur des Monuments français.

On s'amusait ainsi beaucoup, mais parfois aux dépens des autorités, et l'on ne voit pas très bien le profit moral que le gouvernement retira de toutes ces cavalcades et de toutes ces exhibitions.

Le culte décadaire proprement dit était encore plus froid. Les églises, transformées en temples décadaires, devaient être garnies de tribunes réservées aux vétérans des armées nationales, aux instituteurs de la jeunesse et à leurs élèves. Le public remplissait les nefs.

A onze heures du matin, les autorités constituées, en costume officiel, entraient dans le temple au son des orgues, et s'installaient sur une estrade placée au chevet de l'édifice. Vingt-cinq

gardes nationaux, portant des branches d'olivier, escortaient les magistrats et assuraient le service d'ordre.

La cérémonie commençait par la lecture des lois. Puis le président interrogeait les élèves des écoles sur les articles de la constitution et sur les lois nouvelles. Un hymne ou une symphonie suivaient l'interrogatoire.

On lisait ensuite le Bulletin décadaire. On proclamait au son des trompettes les noms des citoyens morts pour la patrie.

Les citoyens qui s'étaient signalés par des actes de courage recevaient une couronne civique au bruit des fanfares. On procédait enfin au mariage de tous les fiancés du canton, que le président « exhortait à vivre dans la concorde et l'union ».

La séance était levée « aux sons d'une symphonie d'un mou<«<vement vif et rapide et propre à inspirer aux citoyens des << sentiments généreux et fraternels ».

On a peine à comprendre que des cérémonies aussi parfaitement ennuyeuses aient pu avoir en France la moindre vogue. On les vit cependant assez fréquentées, et elles se maintinrent jusqu'au 7 thermidor an VIII (27 juillet 1800); mais on ne saura jamais au prix de quelles tracasseries le gouvernement était parvenu à les faire durer aussi longtemps.

Cette institution avait été considérée par le Directoire comme une loi de salut national; elle représente, en effet, parfaitement la conception politique du culte révolutionnaire.

La Révolution est devenue la véritable Divinité; elle s'est d'abord adressée à l'ancienne Eglise et lui a demandé de l'installer sur ses autels; sur son refus, elle s'est présentée elle-même à l'adoration du peuple au nom de la Raison et de l'Être suprême; elle a fini par comprendre qu'elle avait dans les magistrats un clergé à ses ordres, dans tous ceux qui vivent de l'Etat ou qui le craignent des fidèles tout désignés, et elle les a contraints à venir, chaque décadi, lui prêter foi et hommage. Mais un parti, si grand qu'il soit, n'est pas un dieu.

LE CATHOLICISME PENDANT LA RÉVOLUTION

La période de dix ans qui s'étend de 1791 à 1801 fut, pour l'Eglise française, un temps de persécution, dont le point initial doit être cherché dans la constitution civile du clergé.

Au mois de janvier 1791, quand le serment commença d'être requis, la constitution civile n'était pas encore condamnée par le раре; mais on savait que le roi lui était contraire, que quatre évêques sur cent trente-cinq lui avaient donné leur adhésion, et que ceux qui avaient refusé le serment avaient déclaré la constitution entachée de schisme et d'hérésie.

Tout ce qui, en France, tenait encore pour l'ancien régime fit bloc contre le serment; tout ce qui tenait pour la Révolution poussa, de toutes ses forces, à l'acceptation de la nouvelle charte ecclésiastique.

Trente archevêques ou évêques l'avaient, dès le 30 octobre 1790, attaquée dans un livre qui fit grand bruit: Exposition des principes sur la constitution civile.

Dix-huit évêques constitutionnels répondirent par l'Accord des vrais principes de l'Eglise, de la morale et de la raison sur la constitution civile du clergé de France. Ils offrirent leur ouvrage au pape et terminèrent leur lettre par une citation de Bossuet très habilement choisie : « Vous ne croirez, Très Saint-Père, que les << conseillers amis qui vous diront, avec Bossuet, qu'il faut con<< server inviolablement les droits primitifs donnés par Jésus<< Christ à son Église, maintenir de votre mieux ceux qui lui ont « été accordés dans la suite, et vous relâcher à propos de ces « droits acquis, et non primitifs, lorsque le bien et la paix de « l'Église le demanderont. >>

Dans le Puy-de-Dôme, le curé de Vernines, Dufraisse, se fit l'avocat convaincu de la constitution civile (1).

Dans l'Indre, le curé de Mouhers, André Doreau (2), publia une

(1) Réflexions sur la constitution civile du clergé, 1791.

(2) Réponse de M. André Doreau à une lettre que lui écrivait un curé pour le consulter sur les affaires présentes, 1791.

des plus habiles et vigoureuses apologies que l'on connaisse de la constitution civile et du serment ecclésiastique.

La constitution eut une fortune bien différente suivant les régions. Elle échoua à peu près complètement en Flandre, en Artois, en Normandie, dans le Maine, l'Anjou et la Bretagne; elle suscita des troubles en Poitou, à Bordeaux et en Lozère; elle fut repoussée à Toulouse et à Toulon; elle amena de graves désordres en Corse, en Provence, en Dauphiné, à Strasbourg (Sciout, Hist. de la constit. civile). Elle recueillit de nombreuses adhésions dans les grandes villes et dans le centre du royaume. Dans l'Indre, sur 339 curés ou vicaires, 291 prêtèrent le serment constitutionnel.

Le Cher ne donna la majorité aux opposants que dans le district de Bourges; dans les six autres districts, les constitutionnels l'emportèrent (1).

Le Puy-de-Dôme se partagea à peu près par moitié: 481 jureurs contre 434 opposants (2).

Quelques prêtres manifestèrent en signant une adhésion sincère et enthousiaste à l'Eglise constitutionnelle. Beaucoup prêtèrent le serment « sans phrases ». D'autres, en assez grand nombre, mirent des restrictions à leur acceptation, déclarant qu'ils n'entendaient pas, par ce serment, se séparer de l'Église ni rien faire de contraire à la foi. Bien des rétractations eurent lieu, lorsque le pape se fut prononcé.

On ne peut pas savoir exactement quel fut le chiffre total des adhésions. Il y eut probablement un peu plus du tiers du clergé, et un peu moins de la moitié, à accepter les faits accomplis (Debidour, Rapports de l'Eglise et de l'Etat); mais le malheur voulut qu'il y eût aussitôt, entre ces deux fractions du clergé, scission profonde et irrémédiable, contradiction exaspérée jusqu'à la haine et au mépris.

Il n'en faut pas faire un grief à l'Eglise il ne pouvait pas en être autrement; les passions politiques et religieuses, alors chauffées à blanc, devaient des deux côtés embraser les cœurs, les remplir de colère et d'indignation.

Mettons-nous, un instant, à la place d'un jureur consciencieux

(1) Marcel Bruneau. Les Débuts de la Révolution dans les départements du Cher et de l'Indre, Paris, 1906, in-8.

(2) Archives du Puy-de-Dôme. Listes de fonctionnaires publics qui ont obéi à la loi du 26 décembre, qui ont refusé le serment ou qui l'ont prété avec restriction.

et patriote. La Révolution a proclamé les grands principes chrétiens de liberté, égalité et fraternité, qui ont toujours fait la base du droit ecclésiastique; elle a déposé les puissants et exalté les humbles; elle a tiré les pasteurs des villes et des campagnes de dessous le joug épiscopal; elle leur a donné l'aisance et la dignité de la vie; elle les invite à collaborer avec tous les magistrats du royaume au triomphe de la justice et au bonheur de la nation. La constitution a pour elle l'immense majorité des représentants, elle a été sanctionnée par le roi ; et le serment que la loi vient demander à ce simple prêtre, il ne se reconnaîtrait pas le droit de le refuser, car c'est le serment de fidélité aux lois de la patrie, et un prêtre ne peut être ni un fauteur de séditions, ni un révolté.

Entrons, maintenant, dans les raisons d'un réfractaire également droit et honnête. A cet homme, hier encore attaché à sa maigre cure, comme le serf d'autrefois à la glèbe, la loi vient offrir une situation pécuniaire des plus enviables et les perspectives les plus brillantes; mais, pour toucher ce traitement de 2 ou 3.000 livres, pour jouir de ces prérogatives, il faut sanctionner par son serment l'expropriation de l'Eglise, la destruction des ordres religieux, l'invasion des monastères et des églises, la mainmise de politiques ambitieux sur les droits les plus précieux de l'Eglise; il faut se séparer de l'épiscopat français presque tout entier, s'exposer peut-être à l'excommunication comme schismatique, comme hérétique, comme scandaleux. Et le prêtre, détournant ses regards des présents qu'on lui offre, accepte la misère, la calomnie et la persécution pour rester fidèle à son devoir et à sa foi.

Est-il possible que deux hommes aussi différents se tolèrent, en un moment si solennel et si tragique ? N'est-il pas évident que, pour le jureur, le réfractaire n'est qu'un aristocrate et un mauvais citoyen, et que, pour le réfractaire, le jureur n'est qu'un renégat et un simoniaque? - Traître s'écrie le premier Judas répond l'autre et ces deux hommes, qui eussent vécu en paix sous une loi plus libérale, vont se combattre par tous les moyens, comme des frères ennemis.

La foi exalte ceux qu'elle touche, comme fait l'amour de la patrie, comme fait la famille, comme font l'art, la science, la politique, comme fait tout ce qui passionne les hommes, tout ce qui les prend au cœur. Toutes les grandes idées ont leurs fanatismes, et, dans chaque homme de de cœur, sommeille

« PreviousContinue »