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rèrent de nouveau le goût de la science et l'amour des hautes vertus.

Les jésuites, qui valaient mieux que leurs doctrines, couvrirent la France de collèges, où ils déployèrent leurs incomparables talents d'éducateurs. Ils se firent aussi une large part dans les travaux d'érudition.

Le gallicanisme pratique de Richelieu maintint les traditions nationales de l'Eglise de France et l'empêcha de tomber sous la domination de la Compagnie de Jésus, en même temps qu'il permettait aux institutions ecclésiastiques françaises de se développer presque librement.

L'Oratoire ouvrit aux hommes scrupuleux, qu'effrayaient les tendances jésuitiques, des écoles plus austères et plus libres, plus conformes à la nature du génie national!

Saint-Sulpice assura aux prêtres une instruction sérieuse et leur prêcha une morale sévère, qui les fit plus aptes à remplir avec honneur leur difficile et écrasant ministère.

Port-Royal, enfin, porta à son point extrême le culte de la vie intérieure et jusqu'au fanatisme le culte de la morale. Sa voie était trop étroite pour être suivie par un grand nombre, son idéal trop inaccessible pour séduire la foule; mais la petite élite qu'il sut grouper autour de lui éclaira tout son siècle et l'eût conduit, si ses principes avaient été moins opposés aux penchants les plus forts et les plus naturels de l'âme humaine.

De toutes ces institutions, de leurs efforts et de leurs travaux, sortit vraiment un grand siècle; mais ceux-là même qui y travail. lèrent le plus savaient que leur victoire n'aurait pas de lendemain : « Ma mère, disait Saint-Cyran à la mère Angélique, il se «< fera une réformation dans l'Eglise par les prélats et les ecclé<«<siastiques et par la lumière de la vérité. Elle aura de l'éclat et << éblouira les yeux des fidèles, qui en seront ravis; mais ce sera << un éclat qui ne durera pas longtemps et qui passera. >>

LA CHARITÉ AU XVII SIÈCLE

Le dix-septième siècle est, pour nous, une époque de gloire et de très brillante civilisation; c'est comme l'apogée de la grandeur française; on y a voulu voir « le grand siècle » de notre histoire et de notre culture. Nous ne croyons pas que cette idée soit juste de tout point, nous apercevons bien d'autres grands siècles dans l'histoire de notre pays. Mais, quand même on ferait de ce siècle en particulier l'âge d'or de la France, cet éloge ne pourrait jamais s'entendre que de la suprématie politique et de la gloire littéraire; car l'état social resta fort barbare pendant tout le siècle, la misère y coula toujours à grands flots et faillit plus d'une fois le submerger.

La paix de Vervins, qui mit fin, en 1598, aux guerres de Religion, parut d'abord ajouter aux malheurs du royaume par le licenciement d'un nombre infini de soldats, que le roi ne voulut plus prendre soin de nourrir. Beaucoup se firent brigands, et il fallut faire de terribles exemples pour ramener les autres à la charrue ou à l'atelier.

L'administration de Sully a été sage et féconde, mais le budget de la France ne laissait presque rien aux dépenses utiles; tandis que sur les «< revenans bons » dus à l'économie du ministre le roi prend 3.244.000 livres, la noblesse 2 millions, l'armée 4 millions, il reste 150.000 livres seulement pour la réfection et l'entretien des routes. Et il n'y a pas moyen de charger le peuple davantage. Il est «< travaillé à outrance et mangé jusqu'aux os ».

En 1614, le Tiers État réclame des lois contre le vagabondage et la mendicité. Il dénonce l'exagération des tailles et des corvées, la tyrannie des seigneurs. Il demande la suppression d'un grand nombre de tribunaux, la tenue triennale des Grands-Jours dans toutes les provinces. Il se prononce contre l'intolérable rigueur des saisies, qui ne laissaient au laboureur ni sa charrue ni son lit. « Sire, disait Savaron au roi, soyez le roi très chrétien. Ce ne << sont pas des insectes, des vermisseaux qui réclament votre justice et votre miséricorde, C'est votre pauvre peuple, ce sont

« des créatures raisonnables; ce sont les enfants dont vous êtes « le père et le tuteur... Que diriez-vous, Sire, si vous aviez vu en << Guyenne et en Auvergne les hommes paitre l'herbe à la manière « des bêtes? Cela est tellement véritable que je confisque à Votre « Majesté mon bien et mes offices, si je suis convaincu de men« songe. »>

Richelieu trouva moyen de tirer du peuple deux fois plus que n'en tirait Sully. La taille passa de 17 millions en 1610 à 44 millions en 1642. Le temps de son gouvernement fut marqué par d'incessantes émeutes. Il y en eut à Dijon en 1630, en Provence en 1631, à Lyon en 1632, à Bordeaux, Agen, La Réole, Condom et Périgueux en 1635. En 1636 et 1637, le Poitou, le Limousin, l'Angoumois virent de terribles insurrections paysannes. Un chirurgien, pris pour un gabelou, fut mis en pièces, un commis des aides écharpé.

En 1638, c'est la Normandie qui s'insurge à son tour contre la gabelle, à la voix de Jean va-nu-pieds.

En 1643, la régente trouva les coffres vides, les revenus de trois années consommés d'avance et 1.200.000 livres dus à Messieurs du Parlement pour leurs gages.

En 1648, Omer Talon trouve de magnifiques paroles pour peindre la misère du peuple : « Il y a, Sire, dix ans que la Cam<«<pagne est ruinée, les paysans réduits à coucher sur la paille, «<leurs meubles vendus pour le paiement des impositions, aux<quelles ils ne peuvent satisfaire, et que, pour entretenir le luxe « de Paris, des millions d'âmes innocentes sont obligées de vivre «de pain, de son et d'avoine, et de n'espérer aucune protection « que celle de leur impuissance. Faites, Madame, s'il vous plaît, « quelque sorte de réflexion sur cette misère publique dans la << retraite de votre cœur. Ce soir, dans la solitude de votre ora«toire, considérez quelle peut être la douleur, l'amertume et la <«< consternation de tous les officiers du royaume... Faites, Sire, « que les noms d'amitié, de bienveillance, de tendresse, d'huma<<nité se puissent accommoder avec la pourpre et la grandeur de <«<l'Empire. Donnez, Sire, à ces vertus lettres de naturalité dans «le Louvre et triomphez plutôt du luxe de votre siècle que non « pas de la patience, de la misère et des larmes de vos sujets. » La Fronde aggrava encore la misère et la porta à un degré si incroyable qu'il faut remonter jusqu'au xve siècle pour trouver une période aussi horrible.

Les hommes qui menaient ce malheureux pays étaient affreuse

ment durs. Les nobles des Etats de 1614 voulaient faire bâtonner Savaron par leurs gens. Le duc de La Valette, chargé de réprimer l'émeute des croquants, tua 1.200 paysans sur les barricades de La Sauvetat d'Eymet (juin 1637). La ville de Toul, volée, pillée, mise à sac par sa garnison, demandait justice; on la menaça de lui envoyer 8 compagnies de cavalerie et 10 d'infanterie de plus, si elle se plaignait (1655). Le surintendant des finances, Maisons, destitué pour concussion, haussait les épaules en disant : « Ils «ont tort, j'avais fait mes affaires, j'allais faire les leurs ». Mazarin, apprenant que ses nouveaux impôts faisaient le sujet de chansons nouvelles, souriait joyeusement et disait : « Ils can<< tent, ils pagaront! »

La misère était si universelle et si terrible que des gens, ayant 20.000 francs de bien, n'avaient pas toujours un morceau de pain à manger, et le désespoir se résolvait parfois en une rage immense que l'on voit éclater dans les pamphlets de Dubosq-Montandré. « Ne le dissimulons pas, s'écrie-t-il, les grands se jouent de notre << patience; parce que nous endurons tout, ils pensent être en « droit de nous faire tout souffrir. Levons le masque ; le temps « le demande. Les grands ne sont grands que parce que nous les « portons sur nos épaules: nous n'avons qu'à les secouer pour en joncher la terre et pour faire un coup de parti duquel il soit ⚫ parlé à jamais. Après avoir choisi le parti que nous voulons renforcer par un soulèvement général, faisons carnage de « l'autre, sans respecter ni les grands, ni les petits, ni les jeunes, « ni les vieux, ni les mâles, ni les femelles, afin qu'il n'en reste « pas un seul pour en conserver le nom. Soulevons tous les quar« tiers, tendons les chaînes, renouvelons les barricades, mellons « l'épée au vent, tuons, saccageons, brisons, sacrifions à notre « vengeance tout ce qui ne se croisera pas sous la bannière du ⚫ parti de la liberté » (1652).

Au milieu de cette épouvantable misère et de ces haines féroces, l'Eglise - et ce sera son éternel honneur a fait luire un rayon de charité et d'espérance, et c'est bien à elle et à la doctrine de son Maitre qu'il convient d'en rapporter la gloire, car les hommes qu'elle employa avaient en grande partie la même dureté de cœur que les politiques, les mêmes préjugés contre les opinions étrangères à la leur, le même pessimisme pratique, les mêmes dédains pour les petits et les misérables. Mais il y eut quelques âmes d'élite qui retrouvèrent les sources évangéliques, s'y abreuvèrent longuement et firent ensuite passer dans une

L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

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foule d'autres âmes la sainte ivresse qui les avait elles-mêmes saisies. C'est de ces quelques hommes et de ces quelques femmes que nous parlerons aujourd'hui.

Le premier qui donna le branle fut François de Sales, évêque titulaire de Genève, en résidence à Annecy.

Saint François est véritablement un homme délicieux. Promu, malgré lui, à l'évêché de Genève, il ne voulut jamais abandonner son diocèse, quoique Henri IV lui ait offert un évêché en France, et que le cardinal de Retz l'ait demandé comme coadjuteur à Paris. Sa simplicité était exquise. La princesse Christine de France, fille d'Henri IV, le voulut avoir pour aumônier, quand elle devint duchesse de Savoie ; il accepta, mais à condition de continuer à résider dans son diocèse et de ne recevoir les revenus de sa charge que lorsqu'il l'exercerait : « Je me trouve bien d'être << pauvre, disait-il, je crains les richesses; elles en ont perdu << tant d'autres, elles pourraient bien me perdre aussi. » La princesse lui fit présent d'un diamant de grand prix, en le priant de le garder pour l'amour d'elle : « Je vous le promets, Madame, lui « répondit-il, à moins que les pauvres n'en aient besoin. En ce << cas, dit la princesse, contentez-vous de l'engager et j'aurai soin « de le dégager. Je craindrais, repartit l'évêque, que cela n'ar<< rivât trop souvent et que je n'abusasse enfin de votre bonté. >> Sa charité allait si loin que son économe, aux abois, menaçait souvent de le quitter et répétait aux gens du prélat : « Notre << maître est un saint, mais il nous mènera tous à l'hôpital et il <«< ira lui-même le premier, s'il continue comme il a commencé. »

Saint François de Sales tient à l'histoire de l'Eglise de France par ses rapports avec Port-Royal et surtout par son amitié avec une femme admirable, qui le surpassa peut-être en charité, Jeanne-Françoise Frémiot, veuve du baron de Chantal, l'aîné de la maison de Rabutin.

M. de Chantal mourut d'un accident de chasse, et sa veuve, âgée alors de vingt-huit ans (1600), fit vœu de ne pas se remarier et de consacrer le reste de sa vie à l'éducation de ses enfants et au soulagement des pauvres. Elle distribua autour d'elle ses bijoux et ses robes, ne reçut plus de visites, n'en fit plus que de charité et de stricte bienséance et ne garda autour d'elle que les domestiques indispensables à la tenue de sa maison.

En 1604, saint François vint prêcher le carême à Dijon. Mme de Chantal l'écouta avec le plus vif intérêt, l'alla voir en Savoie au mois de mai et résolut de se mettre dès lors sous sa direction spi

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