Page images
PDF
EPUB

LA PASSION

COMPOSÉE POUR ISABEAU DE BAVIÈRE EN 1398

ET LA

GRANDE SCÈNE D'ARNOUL GREBAN

Le texte latin des Meditationes n'a été utilisé directement à notre connaissance que dans le mystère de l'Incarnacion et Nativité,' joué à Rouen en 1474; mais deux des nombreuses imitations françaises des Meditationes, la Passion de 1398 et la Vie de Jesus Christ imprimée en 1485, ont influé directement ou indirectement sur la Passion de Greban et sur les mystères méridionaux de Rouergue.

Avant d'aborder la Passion de 1398 et la Vie de Jesus Christ, le plus simple, pour prévenir toute confusion, c'est de décrire sommairement le petit groupe d'imitations dont elles font partie. Ces imitations se distinguent très nettement : 1o des traductions pures et simples', complètes ou partielles des Meditationes dont les manuscrits sont si nombreux; 2o des traductions et des para

3

1. L'auteur en cite des chapitres entiers dans ses notes.

2. « Le livre doré des Méditacions.. », traduct. française de Jehan Galopes dit le Galoys, dédiée « a tres hault, tres fort et tres victorieux prince Henri quint de ce nom » roi de France et d'Angleterre (Bib. Nat. fr. 923; id. 921 et 922; n. a. fr. 6,529). Viennent ensuite les traductions anonymes, faciles à reconnaître parce qu'elles commencent toutes par la première phrase du Prologue, où la première phrase du premier chapitre des Meditationes: Bibl. Nat. fr. 980 et 981: fr. 992; fr. 9,589; fr. 17,116 fol. 70: Mazarine, 976; Arsenal 2,036 f. 330 (traduction et non sermon, titre inexact); Rennes, 262.

Enfin l'ouvrage non identifié et intitulé « Le Mistere de la Resurrection » n'est encore autre chose qu'une traduction partielle des derniers chapitres des Meditationes à partir du chap. 84 « Mane autem sabbati » : Rome. Vat., Christ. 1728, f. 24; Paris, B. N. fr. 968 f. 102; fr. 1918, f. 61; Besançon, 257 f. 187.

3. Traductions françaises anonymes: B. N. fr. 177-179 (id. Cambrai, 858); B. N. fr. 407-408; Cambrai, 813.

Traduct. signées: 1o par Jehan Aubert (Cf. Romania 1887, p. 169); 2° B. N. fr. 20,096

phrases de la Vita Christi composée sur le modèle des Meditationes, par Lupold le Chartreux, prieur de la Chartreuse de Strasbourg, vers 1330.

Les seuls ouvrages semblables que nous ayons à classer et à discerner sont donc les suivants, du xive au xve siècle :

Imitations françaises des « Meditationes >>

1° Année 1380,- Traduction abrégée faite par l'ordre du duc de Berry. Le manuscrit original est à la Bibliothèque de Darm

stadt, no 18; un autre ms. à la B. de Carpentras, n° 28.

L'ouvrage a été imprimé sous ce titre :

Cy commence une moult belle et || moult notable || deuote matiere qui est || moult proffitable a tou || te creature hu || maine || C'est la vie de nostre benoit sauueur ihesuscrist ordonnee en brief langaige, etc.....

In-fol. de 63 f. non chiffrés, sig. ai - hv. Car. goth., a 2 col. Edition imprimée d'après Brunet, avec les gros caractères de Guil. Leroy à Lyon. - Exemplaire à la B. Nat. Réserve, H 155 (1).

Cet exemplaire contient en tête une table des chapitres écrite par l'ancien propriétaire, le bibliophile de Cangé. Le 1er chapitre correspond au chap. I des Meditationes:

[ocr errors]

Nature humaine par l'espace de cinq mille ans demoura en grand misere, tant que pour le pechié d'Adam nul ne pouoit monter en paradis, dont les benoits anges en eurent grand pitié, et si furent desirans de veoir Nature humaine emprès eulx, es sieges de Paradis.

Le récit poursuit jusqu'à la fuite en Egypte, Ch. 10, p. 43 (jolie légende du semeur). Suivent dans le Chap. 11, p. 45 à 58, les

20,097, traduction de fr. Guil. Le Menand, imprimée à Lyon par J. Buyer et Mathis Husz, 1487. et souvent réimprimée.

La Vita Christi a inspiré deux paraphrases ou imitations libres :

1. Une traduction abrégée, intéressante, qui contient à la fin quelques légendes anciennes sur Judas, Pilate, et la destruction de Jérusalem: B. N. fr. 181, (exemplaire de Louis de Bruges, sgr., de la Gruthuyse), publié, mais écourté et rajeuni par A. Lecoy de la Marche, Paris, G. Hurtrel, 1870.

2o Une longue paraphrase par Jehan Mansel de Hesdin (cf. Journal des Savans, 1903, p. 17), conservée à l'Arsenal, no 5205-5206. Ces manuscrits, aussi beaux qu'ennuyeux ne valent que par les miniatures.

[ocr errors]

Miracles de N. S., qui suivant la remarque de Cangé, sont une traduction libre de l'apocryphe Evangelium Infantiae (Tischendorff. Ev. apocrypha, 1876, p. 50 et suiv.). Les Chap. 12 à 43, p. 118, depuis le retour de la sainte famille à Bethleem jusqu'à la Cène, sont de nouveau une imitation libre des Meditationes. Ce petit livre est d'une naïveté charmante comme l'original.

2o Année 1398. La Passion translatée par ordre d'Isabeau de Bavière, qui sera étudiée plus loin avec ses trois suites:

a) La Passion « selon la sentence du philosophe Aristote », vers 1450.

b) La Passion moult piteuse...., etc. (1490).

c) La Passion « Secundum legem debet mori », imprimée par Denis Roce.

[merged small][ocr errors][merged small]

S'ensieult la Vie de N. S. J. Christ abregee et. compilee par ung Religieux Celestin, l'an 1462.

Au texte des Meditationes le R. Célestin a ajouté divers souvenirs de ses lectures; fol. 3 r°, allusion au livre de Planctu Naturae du grand Alain [de Lille]; fol. 151, une traduction en méchants vers français de la plainte connue de la Vierge au pied de la Croix (Quis dabit capiti meo aquam) '; fol. 203, résumé de la légende de Joseph d'Arimathie. L'ouvrage médiocre se termine par un << notable dictier des louenges et privileges de Mgr. Saint Joseph >> par maistre Jehan Ramesson, qui est probablement distinct du Célestin.

[ocr errors]

4° Année 1485. La Vie de Jesu crist, imprimée par Robin Foucquet.

Cette compilation se compose essentiellement : 1° de l'Enfance et de la vie publique de Jésus, composées à l'aide de chapitres détachés de Meditationes; 2' d'une légende de Judas; 3° d'une version en prose (XIVe siècle) d'un ancien poème français tiré de l'Evangile de Nicodème, version qui a reçu ici diverses interpolations empruntées elles-mêmes à la Passion de 1398. Les diverses

1. Sur ce petit traité apocryphe, attribué tantôt à saint Augustin, tantôt à saint Anselme ou à saint Bernard, voir P. Meyer. Bulletin de la Soc. des anc. textes français, 1875, p. 61. Il y en a une autre traduction dans la Passion de 1398.

parties de cette compilation ont paru à part plus ou moins remaniées sous des titres divers, et l'ensemble a été réimprimé jusqu'au dix-neuvième siècle. Ce livre sera étudié à part avec les mystères rouergats auxquels il se rattache étroitement.

5o Année 1499. — Bib. Nat. n. a. fr., 4,164 :

La vraye fleur et myolle de la vie tres saincte de nostre tres doulx sauveur Dieu Jhesucrist et de sa Virge Mere.

Compilation insipide de 691 f. qui remplace les légendes par d'interminables dialogues entre les personnes de la Trinité.

Toutes ces imitations des Meditationes classées, nous pouvons reprendre en détail la Passion composée pour Isabeau de Bavière, et montrer son influence sur les mystères du Nord et du Midi.

La scène la plus célèbre de la Passion de Greban (et de tout le théâtre religieux du moyen âge) a été tirée, comme on va le voir, d'un long récit en prose de la Passion, composé en 1398, qui commence ainsi :

« A la loenge de Dieu et de la Vierge souveraine et de tous sains et et saintes de Paradis, a la requeste de tres excellente et redoubtee dame et puissante princesse, dame Isabel de Bavière, par la grace de Dieu royne de France, j'ay translaté ceste passion de Ihesu Crist nostre sauveur. de latin en français, sans y ajouster moralitez, hystoires, exemples ou figures, l'an mil CCC. IIII et dix-huit, prenant mon commencement de la suscitation du ladre, pour ce que icellui miracle avecques les autres par avant faits par Ihesus, furent occasion aux Juifs de machiner et traittier la mort et passion de Ihesu »,

et qui finit ainsi, après l'ensevelissement, quand la Vierge est retournée avec ses amis à Jérusalem :

« Et lors restraigny ses doulleurs en esperance certaine d'estre prouchainement consolee de la resurrection de son filz de laquelle resurrection nous veulle faire participer le Pere et le Fils et le Saint Esperit, ung Dieu en Trinité. Amen. »

L'ouvrage n'a pas été imprimé à ma connaissance, mais les manuscrits en sont extrêmement nombreux en France et à l'étranger.

B. de Besançon n° 257, f. 77-185; Rouen, n° 1430; Troyes (Anc. Catal. gr. in-4°, Coll. des Doc. inédits sur l'Hist. de France, no 1257 et 1311); Bib. Mazarine, 949; Arsenal, 2038, 2075, 2386; B. Nation., 966, 978, 1917, 1918. 2454, 13095, 24438, fol. 1 à 82 ro; n. a. fr. 10059, p. 145 r°;

M. de Chantilly, n° 860 et 654; Bruxelles, ms. de la B. de Bourgogne, 9303; Munich (cf. Hennin. Mon. de l'Hist. de France, 17); British Museum, Ms. addit. 9288, etc.

L'ouvrage est attribué tantôt et par erreur à Jean Gerson, tantôt (B. de Besançon, no 257) au P. Henri de la Balme, cordelier, confesseur de Ste Colette, lequel en a peut-être simplement pris copie; le plus souvent il est anonyme et, en réalité, l'auteur en est inconnu. Quoi qu'il en soit, cet auteur ne tient nullement les promesses de son titre, et il s'est inspiré de son imagination ou de légendaires connus beaucoup plus que des évangiles canoniques. Nous nous bornerons à analyser en détail la 1re partie de l'ouvrage.

Aussitôt après la «suscitation du Ladre », c'est-à-dire quinze jours avant la Passion, Jésus se dérobe à ses ennemis et s'en va prêcher en Galilée. Le samedi de Pâques fleuries, il est de retour à Béthanie auprès de sa mère, et il s'assied à la table de Simon le lépreux, où Lazare décrit longuement les peines d'enfer, au dire de saint Augustin. Le lendemain, Jésus fait son entrée à Jérusalem, renverse les tables des changeurs, et prêche toute la journée sans que personne ne songe à le recevoir. Il rentre à jeun chez ses amis de Béthanie, et à sa mère qui le conjure de ne plus retourner au milieu d'un peuple indifférent ou ennemi, il objecte sa mission divine et le verset d'Isaïe: Hos filios enutrivi, ipsi autem spreverunt me. Le lundi, il retourne à Jérusalem, délivre la femme adultère et prêche au temple jusqu'à ce que les prêtres se mettent en devoir de le lapider; alors il disparaît, guérit sur son chemin l'Aveugle-Né qu'il envoie à la fontaine de Siloé, et revient à Béthanie consoler sa mère qui s'étonne de le retrouver toujours << disetteux et affamé ». Le mardi, nouvelle prédication à Jérusalem (le tribut de César, la femme aux sept maris, le plus grand commandement, parabole du banquet de noces et des ouvriers de la vigne, annonce la destruction de Jérusalem). Quand il repart à la nuit, les prêtres veulent le saisir, mais il se rend invisible. << Et veullent dire aucuns que une grant pierre apellee le saut de David se ouvri par le milieu et se parti en pièces... » et protégea la retraite de Jésus, « de laquelle pierre restent encore les enseingnes ». En revenant vers le mont d'Olivet, il annonce à ses disciples les signes de la fin du monde et du jugement dernier. La Vierge impatiente vient à leur rencontre et « cheoit comme

« PreviousContinue »