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LES

MYSTERES ROUERGATS ET LEURS SOURCES

MYSTÈRES ROUERGATS ET LEURS SOURCES

LA PASSION DIDOT

L'ÉVANGILE DE NICODÈME EN VERS PROVENCAUX

LA PASSION SELON GAMALIEL

Les Mystères rouergats, déjà si souvent étudiés par la critique', forment, comme on l'a dit, un drame cyclique ou un véritable cours d'histoire sainte allant de la Création au Jugement dernier. On a représenté très anciennement des mystères cycliques dans le Midi à la Fête-Dieu; mais nous savons peu de choses sur ces représentations, et il n'est pas certain que les mystères rouergats se rattachent à cette fête. C'est plutôt une collection de pièces détachées qui pouvaient se réunir ou se séparer à volonté. Cette histoire dramatique de la Rédemption était certainement très longue et disposée suivant un certain plan, mais ce plan n'avait pas été arrêté d'avance, dans tous ses détails, le compilateur rouergat travaillait très irrégulièrement et, grâce à sa méthode ou à son absence de méthode, nous n'avons conservé de son œuvre qu'une série d'épisodes plus ou moins décousus. En

1. Notice de M. A. Thomas, Annales du Midi, 1890, p. 38. Ed. complète p. p. M. A. Jeanroy et H. Teulié sous le titre de Mystères provençaux du quinzième siècle, 1893.

Mentions, analyses et comptes rendus critiques: M. Creizenach, Gesch. d. n. Dramas, 1893, I, p. 174; Groeber, Grundriss, etc., 1897, II, p. 58; A. d'Ancona, Origini del Teatro ital., t. I, p. 667.

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Revue des langues romanes, 1894 (A. Chabaneau), p. 478. - R. d'Hist. litt. de la France, 1894 (P. de Julleville), p. 369. Revue de Provence, 1896 (L. Constans), p. 94. — Zeitschrift für roman. Phil. 1894 (A. Stimming), p. 547. — Zeitsch, für franz Sprache, etc. 1895 (E. Stengel), p. 210, etc., etc.

2. A. Draguignan, dès 1437.

effet, comme l'a démontré M. Jeanroy', ce compilateur écrivait ses mystères dans deux volumes, en passant de l'un à l'autre. alternativement, ou en compilant deux recueils simultanément, et un seul de ces volumes nous est parvenu. Dans ce volume conservé, il a écrit ses pièces non dans l'ordre que paraît indiquer celui où nous les trouvons, mais « au fur et à mesure que se présentaient les originaux qu'il entendait reproduire ou imiter; il en commençait alors la transcription à tel ou tel endroit de son volume, selon la place que leur assignaient les événements mis en scène, se réservant l'espace qu'il jugeait nécessaire pour les morceaux qui devaient précéder ». Plusieurs fois ses calculs l'ont trompé, et des feuillets sont restés blancs dans les intervalles. Il a utilisé ces blancs en y insérant des morceaux détachés et deux tables qui permettent de deviner les lacunes et l'ensemble. Ces deux tables contiennent en effet avec de légères différences les titres et l'ordre des mystères contenus dans les deux volumes, et la première ajoute aux titres la liste des personnages. Le manuscrit a été exécuté en Rouergue vers le troisième tiers du quinzième siècle, mais la date même des textes qu'il contient n'a pu encore être déterminée exactement. Une première fois, ils ont été jugés antérieurs à 1440; puis, ils ont été reportés, avec plus de vraisemblance, à la date approximative du manuscrit qui serait, d'après certains indices, la minute de l'auteur. Ainsi une compilation non datée et dont la moitié la plus importante ou la Passion proprement dite est perdue, une série d'œuvres disparates, rédigées au petit bonheur, et dont il faut retrouver les originaux très divers, tour à tour très simples ou très compliqués, tel est le problème qui reste à résoudre en partie. Comment reconstituer la bibliothèque ou les sources du compilateur rouergat?

Dans une enquête compliquée, l'essentiel est d'abord de ne laisser place à aucune équivoque, même au prix de redites. Rappelons donc que trois de ces sources nous sont déjà en partie connues : la Passion Didot signalée par M. Jeanroy, et d'autre part, l'Evan

1. Toute cette description du manuscrit est empruntée à l'Introduction de M. A. Jeanroy qui a le premier signalé les emprunts faits par le dramaturge rouergat à la Passion Didot, et dont les indications aussi ingénieuses que précises vont nous aider à retrouver les autres sources de la compilation.

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gile de Nicodème en vers provençaux ainsi que le vieux roman ou poème en prose, inspiré par cet Evangile provençal, la Passion selon Gamaliel. Il n'y aura qu'à montrer par des citations précises comment ces trois textes sont associés et combinés l'un avec l'autre dans les mystères rouergats. Des citations précises et détaillées, car les relations de tous ces textes entre eux sont complexes et multiples. Pour les emprunts directs faits par le compilateur rouergat à l'Evangile de Nicodème en vers provençaux, ils s'établiront, comme on l'a dit, sans difficulté. Ce sont des emprunts presque textuels ou même textuels, analogues à ceux qui ont été faits à la Passion Didot'. Pour la Passion selon Gamaliel, il nous est déjà prouvé par certains indices que le compilateur rouergat, a consulté, comme le poète d'Auvergne, cette Passion dans un manuscrit. Reste à voir comment il a transformé ce texte en le transportant au théâtre. En somme, pour tirer de cette Passion un drame, l'auteur rouergat va la remanier et l'amplifier exactement comme l'auteur de la Passion selon Gamaliel avait remanié l'Evangile de Nicodème en vers provençaux pour en tirer son roman. C'est ce qu'il sera possible d'établir en nous appuyant sur l'analyse précédemment donnée de la Passion selon Gamaliel, sur les longs extraits de la Vie de Iesu Crist de 1485 3, et sur les citations partielles qui suivront. Ainsi les origines d'une bonne partie de la compilation rouergate seront déjà déterminées.

Viennent ensuite un assez grand nombre de mystères rouergats qui ne dérivent pas des sources précitées. D'où viennent-ils ? D'une ancienne Passion du Nord, laquelle aurait inspiré la Passion Didot et plus tard la Passion d'Arras, et par surcroît n'aurait pas laissé d'inspirer d'anciens mystères allemands? C'est l'hy

1. Et par surcroît, ils sont enchevêtrés, comme on le verra à la fin de ce chapitre, dans les emprunts faits à cette Passion Didot

2. Se rappeler les remarques faites p. 344 de ce livre sur l'emploi des noms Roma et Roman dans les mystères rouergats. Pour ne pas multiplier les difficultés, nous admettrons par hypothèse, comme M Jeanroy, que toute la compilation rouergate est d'un même auteur, bien que le fait ne soit pas absolument certain.

3. On ne reviendra plus naturellement aux manuscrits et, pour la facilité des vérifications, on renverra directement à l'imprimé de 1485. Les citations choisies seront d'ailleurs conformes au texte des manuscrits.

4. Wilmotte, Les Passions allemandes du Rhin, p. 91, 98, note 3, 105, note 3, 110,

note 1.

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