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LES

SOURCES DIVERSES DES MYSTÈRES ROUERGATS

LE PROCÈS DE BÉLIAL

LE

PROCESSUS BELIAL, L'ASSENTIO

LE JUTGAMEN GENERAL ROUERGAT

ET

LE JUGEMENT DE DIEU DE MODANE

La Passion racontée par Gamaliel, Nicodème, etc. est, nous l'avons vu, la source principale des mystères rouergats perdus ou conservés; mais, comme l'auteur de la Passion d'Auvergne (1477), l'auteur rouergat a lu cette Passion selon Gamaliel dans un manuscrit ; nous ignorons donc la date de sa compilation. Cette date, il faut la demander à deux pièces détachées de la même collection le Jugement général et le Jugement de Jésus.

:

1o La Bibliothèque Nationale possède un mystère français manuscrit, (fr. 15.063) le Jugement de Dieu attribué par M. Petit de Julleville (les Mystères, t. II, p. 460) au quinzième siècle, mais en réalité plus récent d'une centaine d'années. Ce mystère nous offre exactement le même cadre que le Jugement rouergat. Si ce cadre très particulier (Jugement des démons, des Juifs, des païens, des mauvais chrétiens) se retrouve dans une pièce de l'extrême fin du XVIe siècle, dans un canton perdu de la Savoie, et si, après une longue enquête sur toutes les pièces analogues', il n'a pu être retrouvé

1. A la liste de ces pièces énumérées dans mon édition du mystère de la Bibl. de Besançon, le Jour du Jugement, Paris, Bouillon, 1902, je ne puis ajouter que trois mentions:

La première, curieuse à cause de la présence de Charles d'Orléans, est donnée par Jean Clerée, confesseur de Louis XII, Sermones quadragesimales, Paris, Fr. Regnault, 1524 (B. Nat. D. 15,447) p. xL, « Nota de ludo judicii luso Aurelianis, quem audiebat dux Aurelianensis senior, in quo magister Joannes de Cenomanis, Trecensis, proferebat verba Christi : Discedite a me maledicti, etc. Ad que verba dux de cathedra

que là, c'est évidemment qu'il provient d'un drame ou d'un livre à déterminer.

Ce livre existe en effet, et s'il n'a pas été reconnu plus tôt, ne serait-ce pas peut-être parce qu'il a été cité et analysé déjà trop souvent, lui et ses congénères, d'après d'autres analyses?

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Que de fois, en effet, n'a-t-on pas résumé les explications de Magnin1 sur ces curieux procès allégoriques d'autrefois qui mettaient aux prises d'une part Dieu, la Vierge. les Anges, de l'autre, le Diable, l'éternel « accusateur du genre humain » ! Que de fois n'a-t-on pas expliqué par l'influence de cette littérature juridique si cultivée et si appréciée jadis, les débats qui remplissent nos anciennes pièces de théâtre comme les Miracles de Nostre Dame et le Mystère de l'Assomption? Cette influence allait même plus loin qu'on ne l'a dit, et la tentation était trop forte pour les compilateurs du moyen-âge, d'utiliser à peu près tels quels les plus célèbres de ces Procès allégoriques, tels que le Procès attribué à Bartole, et l'Avocacie Nostre-Dame', tous deux dérivés d'un même débat latin encore plus ancien. Les dialogues n'y étaient-ils pas tout faits et les rôles déjà distribués d'avance pour le théâtre? C'est ainsi qu'en 1406, les habitants de la petite ville de Mantes jouèrent « sur eschaffauds » l'Avocacie Nostre Dame. Les mys

corruit semivivus et postea ad se reversus dixit : « O si vox hominis tantum me terruit, quid erit in die judicii de vera voce Christi ? »

20 Bibliothèque de la ville d'Angers, Ms. 572, ancien 536, fragments tronqués, 4 feuillets d'un Jugement dernier du xv° siècle, Dialogue entre les démons.

3o La 3e pièce qui m'a été indiquée par M. Marius Sépet, montre la persistance des mystères en province: B. Nat. fr. 25,444, Recueil des poésies du P. Ch. François Barge, religieux de Grandmont, de Thiers en Auvergne M.DCC. Parabole des vierges de l'Evangile représentée en tragédie, en trois actes en vers, précédée d'un prologue en prose adressé à des religieuses, fol. 25.

Quant au fragment (xve s.) du Ms fr. 15,103, fol. 140 à 141 v : Les Sept vertus qui parlent es sept Pechiés mortels, Interlocuteurs: S. Michiel, Humilité, Orgueil, Antecrist, ce n'est pas, malgré les apparences le débris d'un mystère, mais d'un de ces débats des Vices et des Vertus, très communs surtout depuis le Livre du Roy Modus et de Ratio. 1. Journal des Savants, 1858, p. 270.

2. Apocalypse, XII, 10.

3. Débat retrouvé et signalé par Hauréau, Not, et Extr. des Ms. latins de la Bib. Nat., t. VI, p. 105. C'est le fait le plus curieux qui ait été signalé sur cette littérature si souvent décrite; il avait encore échappé à Roediger, Contrasti antichi, 1887, et à A. de Montaiglon, éd. de l'Avocacie Nostre-Dame, 1896.

4. Signalé par M. Grave. Bull, du Com, des trav. hist., 1896, p. 312.

tères du midi, objet de ces recherches, ont une origine analogue. Ils dérivent tous deux d'une imitation du livret de Bartole, le Procès de Belial, achevé à Aversa, près de Naples, « l'avant dernier jour de octobre 1382 » par l'archidiacre Jacques Palladini, dit de Teramo1. Ce nom qui ne nous dit plus rien était celui d'un des hommes « les plus ingénieux » et « les plus instruits » de son temps, et ce fut ce livre si bizarre qui établit sa réputation. Entre les mains de l'archidiacre d'Aversa la mince plaquette originale de Bartole était devenue une véritable encyclopédie, un manuel de droit et de piété, un guide du parfait notaire et une « Consolation des pécheurs », un recueil de prophèties et un discours sur l'Histoire universelle, depuis la création du monde jusques et y compris l'Ascension et le Jugement dernier. Peu de livres ont eu une vogue aussi grande, aussi longue et aussi étendue, car, comme le remarque très bien un éditeur allemand du dix-septième siècle', il n'y a pas de pays de l'Europe où ce traité n'ait été vulgarisé par de nombreuses éditions et traductions. En Allemagne notamment les éditions se succédèrent précédées d'éloges de plus en plus hyperboliques, et les imitations dramatiques du Procès de Belial furent si nombreuses qu'on réimprimait encore les principales il y a quelques années dans une collection classique élémentaire, la collection Tittmann (1868). De ces imitations il y en eut également en France, et les bibliographes ont déjà signalé une traduction partielle du Procès de Belial insérée dans une édition du mystère des Actes des Apôtres imprimée par Nicolas Couteau, en 1537 3. Il conviendra d'y joindre par ordre de dates les deux mystères (rouergat et savoyard) indiqués précédemment. Si l'imitation du poète savoyard est plus ou moins discrète,

1. J. Palladini le dédia au pape Urbain VI, et à son ancien maître, l'archevêque de la ville de Padoue où il avait fait ses études de droit (Bib. Nat. ms. lat. 12,433, dernière page r').

2. C'est ce que dit l'avocat de Nuremberg, Jacques Ayrer, dans le Processus Juris Joco-serius, Hanoviae, 1611, in-8° qui réunit le Procès de Bartole, les Arrêts d'Amour de Martial d'Auvergne, et le Procès de Balial, p. 3 : « Nulla quippe Natio est, nulla Lingua Europaea, in cujus idiomate non hic Processus lectitetur, Germani, Galli, Itali Hispani, Angli, Dani, Belgae, Hungari, Poloni commodum atque idoneum judicaverunt quem Popularibus suis vernaculo sermone propinarent. »

3. Catalogue de Soleinne, t. I, p. 98, no 548 signalé par l'édit. du Mistere du Viel Testament, t. I, p. LX, note 1.

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