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sous seing privé de ce dernier, ne saurait avoir le degré d'au thenticité voulu par la loi, et n'atteindrait pas le but qu'ell s'est proposé (i).

Mais, si au préjugé résultant de la déclaration faite dans l'acte de naissance vient se joindre un aveu nouveau consigne dans un acte public; si, par exemple, le père dans une donation entre vifs ou dans un testament authentique donne à l'enfant le nom de fils, s'il lui fait à ce titre quelque libéralité, la loi trouve alors dans ce concours de circonstances la condition de spontanéité et de réflexion qu'elle exige; la reconnaissance devient authentique, et l'état de l'enfant désormais inattaquable.

Le premier point une fois reconnu, il s'ensuit que l'enfant naturel est fondé à réclamer dans la succession de son père les droits que lui accordent les articles 757 et 758 du Code civil, et que ces droits ne peuvent être réduits ou modifiés que dans les cas déterminés par cette loi. Or que dit l'article 761 ? Il porte : « Toute réclamation leur est interdite (aux enfans naturels ) lorsqu'ils ont reçu, du vivant de leur père ou de leur mère, la moitié de ce qui leur est attribué par les articles précédens, avec déclaration expresse, de la part de leur père ou mère, que leur intention est de réduire l'enfant naturel à la portion qu'ils lui ont assignée. Dans le cas où cette portion serait inférieure à la moitié de ce qui devrait revenir à l'enfant naturel, il ne pourra réclamer que le supplément nécessaire pour parfaire cette moitié. >>

Ainsi le législateur, après avoir fixé dans les art. 757 et 758 du Code le maximum des droits attribués à l'enfant naturel dans la succession de ses père et mère, détermine un mini

(1) C'est l'opinion de M. Merlin (Additions au Répertoire, tom. 16 de la 4o édit., vo Filiation, no 13), de M. Delvincourt (note 3 de la pag. 94 du tom. 1er, édit. de 1824), et de M. Proudhon (tom. 2, pag. 112); voy. aussi deux arrêts dans le même sens, l'un de la Cour de cassation, dụ 16 mai 1809, tom. 10, pag. 388; l'autre de la Cour royale de Riom, du 26 février 1817, tom. 19, pag. 185. M. Toullier paraît pencher pour l'opinion contraire. Il y a, dit-il, de fortes raisons pour penser que les reconnaissances sous seing privé ne sont pas nulles. Tom. 2, pag. 238, 4e édit.

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mum, mais qui ne peut avoir lieu que dans un seul cas, c'est-àdire lorsque le père s'est dépouillé, de son vivant, au profit de son enfant naturel, d'une portion de biens, lorsqu'il a exercé à son égard une libéralité entre vifs. Dans ce cas, le motif qui porte le législateur à réduire les prétentions de l'enfant est sensible. Il a considéré avec raison que la jouissance d'un avantage présent compenserait l'espoir futur d'un droit plus étendu, et que souvent il en résulterait pour l'enfant une utilité plus réelle, en ce qu'il trouverait dans cette facilité laissée au père le moyen d'obtenir de quoi former un établissement, de prendre un état quelconque. Peut-être aussi la disposition de l'art. 761 tient-elle à une autre considération morale. En laissant au père le droit de régler par un acte entre vifs ce qui peut revenir à l'enfant naturel dans sa succession, et de le lui abandonner dès à présent, avec l'intention manifestée de le réduire à cette portion, peut-être le législateur a-t-il voulu présenter au père un moyen certain et facile d'éviter, après sa mort, les débats scandaleux qui pourraient s'élever entre l'enfant naturel et ses héritiers légitimes.

Il faut donc, pour qu'il y ait lieu à l'application de l'art. 761, que la réduction des droits de l'enfant naturel soit balancée par des avantages antérieurs à la mort du père ou de la mère, et

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leur volonté de réduire ait été manifestée en termes positifs dans les actes mêmes qui renferment leurs libéralités. Ainsi, et par voie de conséquence, la déclaration testamen- ̈ taire du père qu'il entend réduire l'enfant à la portion léguée n'aurait aucune valeur et ne pourrait priver ce dernier de ses droits dans la succession paternelle, parce qu'en effet il n'en résulte pour lui aucun avantage anticipé, le legs ne s'ouvrant à son profit qu'au moment même de l'ouverture de ses droits' successifs, et que d'un autre côté il n'est pas au pouvoir du père de réduire arbitrairement la part attribuée à l'enfant naturel dans sa succession. (1)·

C'est aussi ce qu'a décidé la Cour royale de Paris dans l'espèce suivante.

(1) Voy. M. de Malleville surl'art. 761 du Code civil, et le Traité des Successions de M. Chabot, sur le même article.

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Le 1 février 1766, la fille Legrand donua le jour à un enfant naturel qu'elle avait eu de son commerce avec le sieur de Compigny fils. Celui-ci consentit que l'enfant fût baptisé et inscrit sous son nom, par un écrit sous seing privé, ainsi conçu « Je consens que l'enfant né de Madeleine Legrand, le 1er février 1766, soit baptisé en mon nom. » Effectivement l'enfant fut baptisé comme fils naturel de la fille Legrand et du sieur de Compigny, suivant la déclaration de la mère et le billet dudit de Compigny, par lequel celui-ci a consenti que l'enfant portât son nom, ledit billet annexé à l'acte de naissance, etc.

Par un testament public du 25 mars 1812, le sieur de Compigny fils a fait, en faveur de l'enfant qu'il avait en de la fille Legrand, une disposition conçue en ces termes : « Je doune et Jègue à M. Lefebvre de Compigny, imprimeur à..

mon

fils naturel, deux cents livres de rente perpétuelle, exempte de toute retenue, pour en jouir en toute propriété, et en disposer par lui, ses hoirs et ayans cause, dès l'instant de mon décès, jour où elle commencera à courir à son profit ou à celui de ses enfans, sans qu'il soit besoin d'en demander la délivrance, jusqu'au remboursement qui pourra en être fait moyennant la somme de 4,000 fr. Je déclare que mon intention expresse est de réduire les droits dudit Lefebvre de Compigny a ladite rente en principal et arrérages, pour toutes prétentions dans ma succession, sans pouvoir faire d'autres réclamations, cet objet et les avantages que je lui ai précédemment faits, quoique verbalement, excédant d'ailleurs ce qu'il aurait pu y prétendre, etc.

Après le décès de son père naturel, arrivé le 26 juillet 1815, le sieur Lefebvre de Compigny a réclamé, contre les nièces du défunt, la part héréditaire que lui accordait le second paragraphe de l'art. 757 du Code civil. Les héritiers légitimes lui ont opposé et le défaut de reconnaissance authentique, et le testament du 25 mars 1812, qui le réduisait à une rente de 200 fr. pour tous ses droits dans la succession.

Le 5 juin 1817, jugement du tribunal civil de Provins, qui, rejette l'exception des héritiers, et admet l'enfant naturel à l'exercice de tous ses droits, « Attendu que, suivant l'art. 354 du Code civil, qui, d'après l'art. 1o de la loi de brumaire an 2,

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doit servir à déterminer si le demandeur sera consideré comme enfant naturel légalement réconnu de Claude-François de Compiguy, la reconnaissance d'un enfant naturel doit être faite par un acte authentique, lorsqu'elle ne l'a pas été par són acte de naissance; Que, si l'acte de naissance du 2 février 1766, à la rédaction duquel Claude-François de Compigny n'a pas coopéré, qu'il n'a pas signé, et dans lequel le demandeur n'est désigné comme son fils naturel qu'en vertu d'un consentement sous seing privé dont rien ne garantit l'authenticité, ne pourrait seul établir la filiation qui est l'objet du procès, cet acte de naissance reçoit beaucoup de force de la disposition du testament notarié du 25 mars 1812, dans lequel le testateur, en faisant un legs au sieur Lefebvre de Compiguy, l'appelle son fils naturel, et déclare que son intention est de réduire à ce legs ses droits dans sa succession; que cette qualification, donnée par Claude-François de Compigny dans son testament, confirme le consentement relaté dans l'acte de naissance du 2 février 1766; qu'elle ne peut pas être envisagée comme une simple énonciation; qu'en effet, la reconnaissance de paternité ne peut pas être séparée de la disposition testamentaire ; que le legs est attaché à la qualité d'enfant naturel, et qu'enfin les droits dont la réduction est dans la pensée du testateur dérivent de cette qualité par lui très-positivement enoncée ; — Que, d'après toutes ces considérations, Lefebvre de Compigny était bien fondé à réclamer l'état d'enfant naturél légalement reconnu de Claude-François de Compigny, C que sou droit sur les biens de son père décédé est celui que L'art. 757 du Code civil attribue à un enfant naturel ; que la Joi, en assignant ce droit, et en le limitant, a voulu qu'il fût certain; que ce droit est une réserve au profit dé l'enfant naturel; qu'en effet, si la loi a interdit d'une part toute augmentation par l'art. 908, elle a de l'autre déterminé, par l'areticle 761, un seul cas dans lequel la fixation de ce droit pourerait éprouver quelque modification; que, pour que la réduc

tion du droit' soit valable, il faut que la moitié en ait été i, payée ou livrée du vivant du père, mais que jamais cette réà duction ne peut être l'effet d'une déclaration simplement faite de la part du père ou de la mère dans un testament ».

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Appel de la part des héritiers de Compigny.

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Les appelans out fait plaider que le sieur Lefebvre de Co pigny n'avait point en sa fayeur la reconnaissance authentic voulue par le Code, pour être admis à réclamer les droits successibilité consacrés par l'art. 757; qu'en effet, la déclar tion faite dans l'acte de naissance, en vertu d'un écrit fugitif sous seing privé, ne pouvait pas constituer le titre authentiq que la loi réclame; que la qualification d'enfant naturel donn transitoirement au sieur Lefebvre dans le testament du 25 ma 1812 ne satisfaisait pas davantage au vou du législateu qu'elle n'énonçait pas suffisamment l'intention du prétendu pè de reconnaître l'intimé pour son fils, et surtout de lui co férer tous les droits attachés à ce titre; que le testament, contraire, répugnait à cette idée, puisqu'il n'avait pas po objet de reconnaître l'enfant, mais bien, en le supposant su fisamment reconnu par l'acte de naissance, de réduire ses dro dans la succession paternelle; qu'au surplus, l'état et les dro de l'enfant naturel dépendant uniquement de la reconnaissan volontaire du père, celui-ci avait bien été le maître d'app ser à cette reconnaissance la condition qu'il y avait mise; q le testament était indivisible; qu'il fallait l'admettre ou le r jeter tout entier, et que dans ce dernier cas l'intimé n'aur plus de titre à faire valoir ni de droits à réclamer. · Les a pelans ajoutaient que l'art. 761 n'est que démonstratif, n'exclut pas le droit du père ou de la mère de restreindre minimum de la loi l'enfant naturel par une disposition test mentaire; qu'il est impossible de leur contester cette facult surtout pour le cas où cette restriction est, comme dans l' pèce, une condition de la reconnaissance; qu'autrement enfans naturels seraient mieux traités que les légitimes, puis ceux-ci sont susceptibles d'être dépouillés d'une portion leurs droits héréditaires par la disposition de tout le disponi L'intimé a développé les motifs adoptés par les premi juges.

Du 2 janvier 1819, ARRÊT de la Cour d'appel de Paris, dience solennelle des première et troisième chambres réuni MM. Hennequin et Dupin jeune avocats, par lequel : Faisant droit sur l'appel interjeté par

« LA COUR,

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