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CHAPITRE III

LA TAILLE. SON ORIGINE, SON HISTOIRE JUSQU'AU règne de

CHARLES VII

L'anarchie de la dernière période du pouvoir mérovingien commence la ruine de l'impôt foncier : l'avènement des Carolingiens l'achève. Le roi n'est plus qu'un seigneur qui traite ses sujets comme ses vassaux traitent les leurs, en tire des contributions au même titres c.-a.-d. comme propriétaire. Or, parmi ces contributions nous en rencontrons une, qui, après de nombreuses transformations, donne son nom au plus important des impôts monarchiques, à celui qui par son assiette rentre dans notre sujet nous voulons parler de la taille.

Quelle est son origine? Rien n'est plus obscur : son etymologie n'est pas même fixée. Suivant M. Vuitry, le mot talia ou tolta viendrait de tallerari, partager : suivant M. Clamageran, de talliare, pris au sens de diviser. D'autres auteurs font naître son nom de la coutume où étaient les collecteurs de marquer sur des morceaux de bois incisés les sommes perçues mais

ceci ne semble dater que de Charles VII. M. Championnière veut que les mots et alia (d'où par corruption talia) ajoutés à la suite d'une énumération d'exactiones aient fini par être employés seuls, comme résumé de contributions diverses.

Quant à l'institution elle-même, l'incertitude n'est pas moins complète, Les feudistes sont pleins de contradictions Chabrol la croit antérieure aux croisades, tandis que Dumoulin et Delaurière la eportent aux guerres du XVe siècle en se fondant sur un passage de Froissard : « Les seigneurs se forment sur autres conditions et manières qu'ils ne faisaient pour lors, et trouvent pour le moment plus grande chevance que ne faisaient leurs prédécesseurs du temps passé, car ils taillent leur peuple à volonté et du temps passé ils n'osaient, fos leurs rentes et revenus. » Cette dernière opinion est erronée : nous trouvons le mot taille dans les actes du XIe siècle, et très probablement elle existait avant. Peut-être n'est-elle que la fille dégénérée des deux «< capitationes » romaines, ce qui expliquerait le double caractère de réalité et de personnalité qu'elle revêtit dès l'origine et qu'elle conserva toujours,

Quoi qu'il en soit nous trouvons au XI° siècle deux sortes de contributions désignées par ce mot : la taille ordinaire, tallia ad voluntatem, somme d'argent levée par les seigneurs une ou deux fois l'an sur les hommes de pooste; la taille extraordinaire, dont les vassaux libres n'étaient pas exempts et qui était due au seigneur dans des circonstances prévues, qu'énumère la cou

tume d'Auvergne : « Art. I. Le seigneur haut justicier, a droit et faculté de tailler ses hommes et subjets en sa haute justice et pour raison d'icelle en quatre cas. « Art. 2. C'est à savoir quand il se fait chevalier ; quand il voyage outre-mer visiter la terre sainte, quand il est fait prisonnier des ennemis et quand il << marie ses filles en premières nopces. »>

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D'autres coutumes prévoient le cas où le fils aîné du seigneur est fait chevalier (Guérard-Proleg. du Cartulaire de St-Père, § 135).

Ces tailles se prélevaient sur les terres des seigneurs comme sur les domaines du roi.

La taille ordinaire qui semble d'abord avoir été levée au caprice du seigneur s'était promptement transformée dès l'origine, nous trouvons des tailles, sinon abonnées, du moins réglées par la coutume, d'où le terme de consuetudo, pris parfois comme synonyme de taille, et de consuetudini employé pour désigner ceux qui la payaient. «Quasdam injustas consuetudines, taliam videlicet, et omnes alias oppressionnes... Mais la transformation capitale provient des deux grands évènements qui marquent cette époque, l'établissement des communes et l'affranchissement des serfs. Beaucoup de chartes communales abolissent la taille (C. de Loris). La charte d'Orléans la transforme en une redevance fixe de deux deniers par tête; celle de Laon la fixe à quatre deniers (art. 9-12-18-6) (1). Ce sont les communes

(1) Que chaque homme qui doit la taille, paie aux époques où il la doit. quatre deniers » (art. 14).

Cormeray

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qui lèvent dorénavant la taille comme elles l'entendent. Parfois elles promettent simplement au seigneur une certaine somme c'est la taille abonnée.

D'un autre côté le serf affranchi n'est plus taillable à merci. La taille est transformée en une redevance fixe qui prend aussi le nom de taille abonnée (1). Ainsi en 1269 les serfs de Bagneux sont affranchis à condition de payer, outre une somme principale de 1300 livres, une redevance annuelle de 8 livres.

Cette abolition de la taille ad placitum ne semble pas permettre d'y rechercher l'origine de la taille royale; c'est dans la taille extraordinaire que l'y trouvent la plupart des auteurs (2).

(1) Mlle de Lezardière. Theorie de la monarchie française, 3a époque, fre part. liv. II.

(2) Dans un article intitulé « l'impôt royal » paru en 1879 dans la Revue des questions historiques p. 451 et seq., M. Callery a exposé une théorie nouvelle sur l'origine de la taille du roi. Suivant lui, l'impôt ne se rattacherait nullement aux impôts romains et ne découlerait ni de l'aide féodale ni des droits domaniaux, mais viendrait de l'ayde de l'ost, c'est-à-dire de l'obligation au service militaire. Voici, en résumé, son raisonnement: A l'époque de l'établissement des Francs, le service militaire est obligatoire et forme une obligation personnelle; une amende est due par le seigneur qui amène au roi ses contingents incomplets, amende qu'il perçoit ensuite sur ses sujets. Les défauts de service se multiplient, on s'abonne pour ainsi dire à l'amende qui prend le caractère de redevance en remplacement de service, auxilium exercitus ayde de lost. Sous Philippe-le-Bel, avant 1302, ces redevances sont générales et peut-être obligatoires; toutefois aucune immixtion d'agents du roi n'existe dans leur perception. A partir de 1302, immixtion prudente et habile de la royauté par ses agents chargés du recouvrement des états domaniaux. Dès 1316, réclamation, résistances; la royauté cède, l'administration des agents est écartée. La convocation des Etats-Généraux s'explique par ce fait que les aydes de l'ost sont facultatives, le contribuable ayant toujours le droit de servir en personne; le roi leur demande seulement de choisir entre le paiement de layde et le service en nature. Sous Charles V modification profonde à l'oc

Le roi, nous l'avons dit plus haut, avait perdu ses prérogatives. Les premiers Capétiens ne sont que des seigneurs plus riches et plus respectés que les autres, mais dont la puissance, bien que se manifestant parfois d'une manière spéciale, n'est pas supérieure à celle de leurs vassaux. Mais dès que la royauté se sentit quelque force, elle travailla à reconquérir ses privilèges perdus. C'est ce que Mezeray exprime ainsi : « Le

principal revenu de nos rois consistait dans lenr do<«<maine leurs sujets leur faisaient des présents à cer<«<tains temps : ils appelaient cela coutumes volontaires;

ils les ont rendues nécessaires et perpétuelles.» Toule la politique financière des Capétiens, depuis Hugues Capet jusqu'à Charles VII est contenue dans cette phrase.

La première tentative eut lieu sous Louis VII sous prétexte de subvenir aux frais de la seconde croisade. En 1147 il demande le 20° des revenus de tout le royaume et grâce à l'enthousiasme religieux de l'époque il l'obtint, mais non sans exciter nn vif mécontentement (1). Mais ce n'est qu'avec l'assentiment des seigneurs, leur

casion de la rançon du roi Jean. L'imposition qui frappe les sujets est un devoir féodal et à ce titre c'est aux agents domaniaux du roi qu'elle est confiée: la perception dure plusieurs années et fort habilement. Charles V rattache à son autorité les agents de recouvremeut et même de répartition. Le contrôle supérieur est confié à la cour des aides tandis qu'il eut dû appartenir à la chambre des comptes, seal juge des recettes domaniales. Bientôt d'autres aydes pour l'armée remplacent celle levée pour la rançon du roi, mais l'administration des aydes se maintient sans conteste; l'habitude l'a consacrée. Eufin on arrive à Charles VII qui pour l'entretien d'une milice permanente demande et obtient une ayde permanente. (1) H. Martin, Hist. de France p. 434, t. m.

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