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mes biens seront confisqués. Je dois quelque chose à la prison ; je vous charge de l'acquitter pour moi.

Après une courte délibération, les jurés résolurent affirmativement les questions que leur avait posées le président, sur les conclusions de l'accusateur public Fouquier-Tinville, et le tribunal prononça la peine de mort contre l'accusée, ainsi que la confiscation de tous ses biens au profit de la république. Ramenée à la Conciergerie, Charlotte Corday demanda une plume et du papier, et écrivit ces lignes :

« Doulcet-Pontécoulant est un lâche d'avoir refusé de me dé<«<fendre, lorsque la chose était si facile; celui qui l'a fait s'en est <«< acquitté avec toute la dignité possible; je lui en conserverai la «< reconnaissance jusqu'au dernier moment. >>

Un prêtre assermenté s'étant présenté à elle pour lui prodiguer les dernières consolations : « Remerciez pour moi de leur attention, dit-elle, les personnes qui vous ont envoyé; mais je n'ai pas besoin de votre ministère. »

A six heures et demie, elle monta sur la charrette de l'exécuteur, vêtue d'une chemise rouge, et suivie par une foule considérable, avide de voir couler son sang. Arrivée sur le fatal instrument, elle présenta courageusement sa tête à la hache, au milieu des bravos d'une populace aveugle. Un dernier outrage lui était réservé; un des aides du bourreau, nommé Legros, ayant saisi sa tête pour la montrer au peuple, la souffleta plusieurs fois avec brutalité.

Tandis que le sang de Charlotte Corday arrosait les planches de l'échafaud, des honneurs magnifiques étaient rendus à la mémoire de Marat. Les sociétés populaires se disputaient ses restes, les tribunes des clubs retentissaient de ses éloges, les poètes lui adressaient des vers (1), un grand peintre (David) lui consacrait

(1) Voici un échantillon de ces apothéoses en vers, conservé par les journaux du temps:

Ami du peuple et de la liberté,

Marat plaçait l'humanité

une de ses toiles, et son corps était porté au Panthéon, à la place de celui de Mirabeau, qui fut ignominieusement traîné hors du temple. Mais, depuis longtemps, chaque chose a repris sa place: Marat est voué à la pitié et au mépris des hommes, et Charlotte Corday a placé son nom à côté des noms de Brutus et de Pélopidas.

Et pourtant, nous ne voudrions pas laisser derrière nous cet épisode de notre histoire, sans dire toute notre pensée sur l'héroïne du Calvados. L'action qui l'a immortalisée se présente à nous sous deux faces bien distinctes: le point de vue politique et le point de vue moral. Sous le point de vue politique, elle a été jugée; le meurtre de Marat, loin de produire les résultats qu'on aurait pu en attendre, couvrit la France de deuil et d'horribles réactions. Quant au point de vue moral, gardons-nous bien d'applaudir aveuglement et sans restrictions, ces assassinats publics, dont l'histoire nous offre de si fréquents exemples. Songeons que sous tous les gouvernements, sous les plus justes comme sous les plus immoraux, il y a toujours, perdues au milieu de la foule, quelques ames fébriles et inquiètes, prêtes à s'autoriser des éloges

A poursuivre avec énergie

Les artisans du crime et de la tyrannie.
Républicains, Marat vivait

Pour faire triompher la vertu du cynisme,
Des trahisons de l'infàme égoïsme!
Et pour le peuple il écrivait;
Lorsqu'une femme abominable,
Empruntant la voix respectable
Et du besoin et du malheur,
Enfonça froidement le poignard dans son cœur!
Marat n'est plus : arme-toi de courage,

Toi, son fidèle ami : Peintre de Pelletier,
Redonne-nous-le tout entier :

Immortel sur la toile, il trompera la rage

De ces hommes d'État, de ces vils assassins,
Qui, pour assouvir leur vengeance,

Voudraient, sur le tombeau des tyrans de la France,
Immoler les républicains.

prodigués aux Brutus modernes par des écrivains emphatiques. L'assassinat est un crime si grand, que c'est faire un suffisant panégyrique d'un meurtrier, que de ne point le vouer à la haine des hommes.

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