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opinions. Mais il n'en est pas de même des calomnies qui attaquent la vie privée d'un citoyen; les tribunaux seuls peuvent en être juges. A cette classe, appartient la plus horrible des diffamations, affichée aujourd'hui contre moi, sous le nom de cinq individus qui se disent citoyens actifs. Je ne les connais pas ; ils taisent leurs noms; mais l'imprimeur n'a pas caché le sien, et c'est contre lui que je vais rendre plainte en diffamation..... - Patriotes, il se trame une conspiration affreuse contre tous ceux qui ont développé quelque énergie dans la défense du peuple, qui ont démasqué les traîtres et les ennemis de la Constitution. On veut les rendre suspects à ce peuple même; leur ôter son estime; en un mot, leur perte est jurée. L'or coule à grands flots, pour payer les infâmes libellistes qui sont chargés de les discréditer dans l'opinion publique. Je n'abandonne point cependant la cause que j'ai toujours défendue, et en la suivant avec la même ardeur, je veux confondre mes adversaires, ou périr! - Signé J.-P. BRISSOT. »

Brissot se présenta aux électeurs de Paris, lors de la convocation de la Législative. Soit que les calomnies répandues par la cour contre lui eussent trouvé quelque créance, soit que ses tendances républicaines ne fussent pas encore goûtées par la majorité, toujours est-il que son élection fut très orageuse, et que son nom ne sortit victorieux de l'urne qu'après onze ballotages. Nommé secrétaire de la nouvelle Assemblée, il prit la parole en plusieurs occasions, pour soutenir les décrets contre les émigrés, et ceux relatifs à l'affranchissement des hommes de couleur. Orateur infatigable et intrépide, il se plaça bientôt au premier rang parmi les députés du parti girondin. La pétition pour la déchéance de Louis XVI, qu'il avait rédigée après le retour de Varennes, lui avait acquis les suffrages de tous les républicains, qui ne se cachaient déjà plus à cette époque; aussi ses motions étaient-elles accueillies par eux avec une grande faveur. Lorsque, dans la séance du 11 février 1792, il souleva contre le ministre des relations extérieures, Délessart, une accusation de complicité avec l'Autriche, la cour, épouvantée des résultats que pouvait avoir pour elle cette

motion, essaya de se concilier le parti girondin, en lui faisant entrevoir, par l'entremise d'un agent, qu'on pourrait bien un jour l'appeler aux affaires, pour prix de ses condescendances. Mais la Gironde n'avait pas besoin d'une pareille promesse; elle était portée au ministère par la force des choses, et elle avait moins besoin de la cour, que la cour n'avait besoin d'elle. Brissot, soutenu par le député Mailhe, accusa formellement Délessart de trahison. L'empereur d'Autriche, par son traité du 25 juillet avec la Prusse, et par la circulaire qu'il avait adressée à toutes les puissances de l'Europe, s'était placé vis-à-vis de la France dans une position hostile. Le 25 janvier, l'Assemblée avait rendu un décret par lequel elle priait Louis XVI de réclamer de l'empereur une explication franche de ses intentions, faute de quoi, toutes relations amicales seraient rompues. Délessart, pour éluder le décret, avait alors envoyé à la cour de Vienne une sorte de message particulier, bas et servile, qui devait nécessairement provoquer, de la part de l'Autriche, un redoublement de jactance. C'est contre ce message et les actes qui l'avaient accompagné, que Brissot s'éleva avec force. Le ministre succomba dans la lutte ; T'Assernblée, sur la denonciation motivée de lun de ses membres, déclarant qu'il y avait lieuà suivre contre Délessart, chargea le pouvoir exécutif de le mettre en état d'arrestation et de faire apposer les scellés sur tous ses papiers.

Ce renversement de ministère prouvait à la cour toute la force du parti girondin. Louis XVI, cédant à des craintes légitimes plutôt qu'aux vœux du pays, chargea Brissot de lui composer un cabinet, et le ministère Roland, Servan et Clavière scella une alliance mensongère entre les Tuileries et l'opposition. Nous savons comment arriva la chute de ce cabinet et quels événements la suivirent. Brissot et la plupart de ses amis furent réélus et siégèrent à la Convention nationale. Ici, les nuances d'opinion, qui séparaient déjà les Girondins du parti de Robespierre et de Danton, devinrent plus tranchées; les massacres de septembre, en excitant leur indignation, leur avaient fait de la Montagne une ennemie

irréconciliable, et une lutte terrible s'engagea, d'où le crime et la violence devaient sortir victorieux.

La lettre que Roland avait écrite le 3 septembre contre les anarchistes, avait ameuté la Commune contre les Girondins, et nous savons que la Commune était alors pour les ultrà-révolutionnaires une sorte de sentinelle avancée, chargée de signaler tous les dangers, et de jeter le cri d'alarme. Une proposition faite par Manuel à la tribune, le 21, jour de l'ouverture de la nouvelle Assemblée, avait également excité une grande rumeur parmi les Jacobins, et la scission entre les deux partis était devenue flagrante. « Représentants du peuple, avait dit Manuel, la mission dont vous êtes chargés exigerait et la puissance et la sagesse des Dieux. Lorsque Cinéas entra dans le sénat de Rome, il crut voir une assemblée de rois. Une pareille comparaison serait pour vous une injure. Il faut voir ici une assemblée de philosophes, occupés à préparer le bonheur du monde. Je demande que le président de la France soit logé dans le palais national, que les attributs de la loi et de la force soient toujours à ses côtés, et que toutes les fois qu'il ouvrira la séance, les citoyens se lèvent ! Cet hommage rendu à la souveraineté du peuple, nous rappellera sans cesse nos droits et nos devoirs. » Tallien et Chabot s'étaient élevés avec une grande force contre cette proposition qui n'avait sans doute qu'un tort à leurs yeux : celui de sortir de la bouche d'un modéré, et de vouloir prodiguer les honneurs publics au président actuel, Pétion, que la Gironde comptait avec orgueil dans son sein.

Les deux partis inventèrent chaque jour, l'un contre l'autre, de nouveaux griefs. Les Girondins furent accusés par la Montagne de désunir la France et de chercher à lui donner un gouvernement fédératif; de leur côté, les Girondins imputèrent aux chefs de la Montagne des projets de dictature et de tyrannie. «< Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné, Barbaroux, disaient les terroristes, sont dévorés d'ambition; la soif du pouvoir les tourmente, et comme ils n'ont pas assez de force pour maîtriser vingt-cinq millions d'hommes libres, ils veulent diviser le pays en une foule de peti

tes républiques, où ils comptent s'ériger sans obstacles en petits tyrans. Ce complot contre l'unité de la France se trame dans des conciliabules secrets, tenus chez la femme du ministre Roland et chez celle du député Brissot; si nous n'y prenons garde, Paris sera sacrifié aux départements, et la liberté périra dans une épouvantable désorganisation. » Ces bruits de fédéralisme avaient été en partie propagés par le prussien Anacharsis Clootz, que Mme Roland avait éconduit de ses salons, et qui s'était vengé de cet affront, en travestissant en un vaste complot quelques paroles sans importance, que Brissot ou Barbaroux avaient prononcées dans le feu d'une discussion animée. Les Girondins, à leur tour, exagéraient les vues ambitieuses de Robespierre et de ses amis. « Une conspiration permanente contre la république se trame dans l'ombre, disaient-ils. Marat, Danton et Robespierre aspirent à la dictature, et veulent concentrer dans leurs mains tous les pouvoirs. Marat, moins prudent que ses deux collègues, ou plutôt chargé par eux, comme le plus osé, d'habituer les esprits à la possibilité de ce triumvirat, demande chaque jour dans son journal un dictateur. Ce n'est point pour la confier à de nouveaux maîtres que le peuple a reconquis sa liberté ; la tranquillité publique ne se rétablira pas, si l'on ne fait rentrer dans la poussière d'où ils sont sortis, ces tyrans de bas-étage, aux vues étroites et aux passions hai

neuses. >>

Toutes ces récriminations, longtemps comprimées dans le sein des partis, se firent jour et éclatèrent avec violence dans la séance du 25 septembre. La veille, le député Kersaint avait demandé que la Convention nommât quatre commissaires, qui examineraient la situation du royaume et celle de la capitale, et prendraient toutes les mesures nécessaires pour assurer la tranquillité publique et la vengeance des droits de l'homme foulés aux pieds par les agitateurs. Cette proposition avait soulevé toute la Montagne, qui s'y voyait clairement désignée. Tallien, Collot-d'Herbois, Sergent, Fabre-d'Eglantine combattirent le décret, qui fut pourtant rendu à une grande majorité. Mais, le lendemain, un nouveau conflit eut

lieu entre la Gironde et les Jacobins irrités de la défaite qu'ils venaient d'éprouver. Buzot (1) demanda que la Convention, déjà menacée par les clubs, fùt entourée d'une garde départementale spécialement chargée de veiller sur elle; elle devait être formée d'autant de fois quatre hommes d'infanterie et deux hommes de de cavalerie qu'il y avait de députés à l'Assemblée. Les Jacobins crièrent aussitôt au fédéralisme; la Gironde répondit par une dénonciation en règle contre Robespierre, le dictateur. Rebecqui, de Marseille, collègue de Barbaroux, se chargea de jeter le premier cri d'alarme; il eut de nombreux échos; Danton, Robespierre et Marat, attaqués de toutes parts, s'élancèrent à la tribune pour réfuter leurs adversaires. Ils sortirent victorieux de la lutte, et l'Assemblée passa à l'ordre du jour sur toutes les inculpations.

Mais ces débats avaient profondément irrité les deux partis; dès-lors ils devinrent irréconciliables. Le procès de Louis XVI mit entre eux un abîme sans fond. Le prince était traduit devant les représentants du peuple. Saint-Just, Robespierre, Marat et tous les démagogues voulaient se dispenser dans ce procès des formes judiciaires; les Girondins, au contraire, cherchant à contenir la révolution dans les limites de la légalité, s'opposaient aux formes violentes et inusitées. Le jugement et la condamnation d'un roi

(1) Buzor (François-Léonard-Nicolas), né à Évreux, le 1er mars 1760. Envoyé aux États-Généraux par le bailliage de sa ville natale, il fut un des six députés qui se prononcèrent pour la déchéance du roi, après le retour de Varennes. Membre de la Convention nationale, il se prononça pour l'appel au peuple, dans le procès de Louis XVI, et essaya de sauver ce prince, après le jugement, en votant un sursis. Proscrit le 31 mai, il se réfugia dans son département, qu'il tenta de soulever contre la Montagne. Ses efforts ayant été vains, il gagna les bords de l'Océan et il s'embarqua pour Bordeaux avec Pétion, Salles, Louvet, Guadet, Barbaroux et quelques autres. Caché avec l'ex-maire de Paris dans le village de Saint-Émilion, l'arrivée des troupes révolutionnaires le força à quitter sa retraite, et les habitants de Castillon trouvèrent quelque temps après son cadavre à moitié dévoré par les loups, au milieu d'un bois. Les représentants du peuple, en mission à Évreux, avaient ordonné que sa maison serait rasée et qu'un poteau serait élevé sur les ruines, avec ces mots : « Ici demeurait le scélérat de Buzot qui a conspiré la perle de la république! »

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