Page images
PDF
EPUB

étaient ouverts à tous les cultes; les rites extérieurs étaient interdits; mais les rites intérieurs ne pouvaient être troublés sous quelque prétexte que ce fùt. Il était fait défense aux prêtres de paraître en public avec leurs attributs, sous peine de bannissement. L'encens fumait sans cesse dans les temples, et le feu sacré était entretenu nuit et jour, pendant vingt-quatre heures, par des vieillards âgés de soixante ans. Le peuple français vouait sa fortune et ses enfants à l'Éternel. L'ame immortelle de ceux qui étaient morts pour la patrie, de ceux qui avaient été bons citoyens, qui avaient chéri leur père et leur mère et ne les avaient jamais abandonnés, reposaient, par décret, dans le sein de l'Éternel. Les vieillards de soixante ans, dont la vie avait été irréprochable, se réunissaient périodiquement dans les temples pour y proclamer les lois et examiner avec attention la conduite des magistrats. Les résultats de cet examen étaient envoyés au corps législatif.

La république avait pour objet le travail, pour luxe la pauvreté, pour tutrice une autorité qui s'emparait des enfants au berceau, et les façonnait à la rude condition du citoyen; le noeud social était l'amitié; le lien matrimonial, l'amour et la fécondité; la magistrature était confiée aux vieillards. L'homme et la femme qui s'aiment, disait ce code bizarre et primitif, sont époux. S'ils n'ont point d'enfants, ils peuvent tenir leur engagement secret; mais si l'épouse devient mère, ils sont tenus de déclarer au magistrat le lien qui les unit. Les époux qui n'ont point eu d'enfants, pendant les sept premières années de leur union, sont séparés par la loi, et doivent se quitter, à moins qu'ils n'aient adopté un orphelin.

La partie pénale des Institutions n'est pas moins naïve. Celui qui frappait un homme était puni de trois ans de détention; si le sang avait coulé, il était banni. Celui qui frappait une femme était banni. Le témoin d'une rixe, qui n'avait pas arrêté ou essayé d'arrêter l'auteur des voies de fait, était puni d'un an de prison. L'ivresse était un délit, indépendamment des suites qu'elle pouvait avoir. Celui qui, étant ivre, avait dit ou commis le mal, était condamné au bannissement. Les meurtriers devaient se vêtir de noir

toute leur vie; le dernier supplice était infligé à ceux qui quittaient ce vêtement de repentir.

« Il ne peut y avoir de peuple libre et vertueux, disait Saint<«< Just, qu'un peuple agriculteur. Un métier s'accorde mal avec le <«< véritable citoyen; la main de l'homme n'est faite que pour la <<< terre ou pour les armes ! » Il aimait à répéter cette réflexion de Montesquieu : « Les politiques grecs qui vivaient dans le gouver<<nement populaire, ne connaissaient d'autre force qui pût le sou<< tenir que celle de la vertu ; ceux d'aujourd'hui ne nous parlent «< que de finances, de richesses ou de luxe (1). » Il voulait que l'on instituat un corps de magistrature chargé de moraliser le peuple, de récompenser la vertu, d'encourager les bonnes actions, comme l'on crée des magistrats pour juger les citoyens coupables, pour flétrir le vice et pour punir le crime. Et en cela, il n'avait pas toutà-fait tort. Le système purement répressif d'un code criminel n'est pas pour la société une suffisante garantie contre les mauvaises passions. Il ne faudrait pas seulement dire au peuple : Si tu tues, tu seras tué! Il faudrait lui dire encore: Si tu nourris un vieillard ou un orphelin, la patrie t'accordera une récompense. Puisque l'échafaud et le voile noir sont infligés au parricide, une couronne civique devrait être décernée à celui qui remplit pieusement ses devoirs de fils. Quand donc la Justice, chez nous, tiendra-t-elle d'une main le glaive qui frappe, et de l'autre la palme qui récompense?

Certes, ces fragments d'Institutions républicaines, où l'amour de la patrie, le respect dû aux vieillards et aux femmes, les devoirs à rendre à la divinité occupent tant de place, paraissent plutôt, au premier abord, l'œuvre d'un philantrope des temps anciens, que d'un des plus fougueux démagogues de notre révolution. C'est que nous avons oublié une phrase bien importante de ce livre, et qui jettera un jour singulier sur notre étonnement: Un gouvernement républicain doit avoir la vertu pour guide, sinon la TERREUR.

(1) Esprit des lois, liv. m, chap. 3o.

DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

CAMBON

Né à Montpellier, en 1754; mort à Bruxelles, 1⁄2 15 février 1820.

Lorsqu'une époque est grande, les bras ne lui font pas défaut. Les périls imminents, les catastrophes retentissantes tirent de leur obscurité une foule d'hommes de génie, qui languissaient dans la foule, incompris d'eux-mêmes et de ceux qui les entouraient. Chacun se mêlant des affaires de la république, un grand nombre de citoyens, éclairés par une subite révélation, se sentent nés tout à coup, qui pour l'agitation et les périls des camps, qui pour les improvisations de la tribune, qui pour les pénibles fonctions de la magistrature. La naissance seule et les faveurs du prince ne distribuent plus les rôles. Chacun, emporté par le mouvement

général, se trouve précisément porté sur cette partie de la scène qui convient le mieux à ses facultés, et l'on ne voit plus, comme sous le régime du privilége, des financiers qui eussent fait d'excellents militaires, et des magistrats chez qui l'on découvre tout au plus l'étoffe d'un courtisan. Supprimons un instant de notre histoire nos vingt-six années de révolution; laissons mourir Louis XVI dans ses petits appartements de Versailles; supposons que le jeune Louis XVII se soit éteint prématurément sous la pourpre royale, par suite de son tempérament lymphatique, et installons Louis XVIII sur le trône de ses ancêtres, sans secousses, sans révolutions, sans l'invasion étrangère ni la charte de 1815...

Que deviennent alors Mirabeau, Lafayette, Dumouriez et Bailly? que deviennent Danton, Camille Desmoulins, Marat, SaintJust et Robespierre? que deviennent cette foule d'illustres capitaines, dont le berceau fut quelque chaumière, l'atelier de l'artisan ou la mansarde du pauvre, et qui furent créés par la grace de leur épée et de la victoire, ducs et pairs, barons et princes de l'empire? Que devient enfin la figure gigantesque des temps modernes: Napoléon Bonaparte? Mirabeau ne sera plus qu'un débauché de bonne maison, s'encanaillant sans pudeur, se raidissant contre le despotisme de la police, et succombant dans un âge peu avancé, épuisé par la débauche. Lafayette et Dumouriez resteront deux médiocres officiers, se consumant, le premier, dans des rêves d'indépendance, le second dans des rêves d'ambitions, irréalisables les uns et les autres. Bailly demeure un savant froid, riche, estimé pour sa probité plus que pour son savoir; Danton sera un homme de loi mal famé, et vivant dans la salle des PasPerdus, au jour le jour, sans clients et sans rabats; Camille Desmoulins, un poète; Marat, un empirique maniaque; Saint-Just, un rêveur; Robespierre, un avocat tracassier, jaloux de ses confrères. Les maréchaux de l'empire, sortis des rangs du peuple et poussés dans l'armée par leur goût pour les armes, parviendront à peine, au milieu d'une paix, aux grades de sous-officiers; et Bonaparte, sorti de l'école de Brienne, devra peut-être au nom recommandable

« PreviousContinue »