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courage qu'il avait montré le 8 thermidor en denonçant Robes pierre, il dénonça Tallien. « Ah! tu m'attaques, s'écria-t-il! tu « veux jeter des nuages sur ma probité! Eh bien, je vais te prou« ver que tu es un voleur et un assassin. Tu n'as pas rendu tes « comptes de secrétaire de la Commune, et j'en ai la preuve au « Comité des finances; tu as ordonné une dépense de quinze-cent « mille livres pour un objet qui te couvrira de honte, tu n'as pas <«< rendu tes comptes pour ta mission à Bordeaux, et j'ai encore «la preuve de tout cela au Comité. Tu resteras à jamais suspect << de complicité dans les crimes de septembre, et je vais te prouver, <«< par tes propres paroles cette complicité, qui devrait à jamais te

<«< condamner au silence. »>

Dès lors, rejeté, peut-être contre sa volonté, dans le parti montagnard qui cherchait à reprendre la direction des affaires publiques, il ne cessa d'être en hostilité avec les thermidoriens. Le député Duhem ayant été décrété d'arrestation par l'assemblée, pour avoir accusé la Convention nationale d'aristocratie et de royalisme, dans la séance du 28 janvier 1795, Cambon prit la parole en sa faveur, et s'écria que lui et ses amis suivraient ce député à l'abbaye, si le décret était exécuté. Il défendit encore Robert Lindet et les anciens membres du Comité de salut public, et dénonça une seconde fois Tallien, au sujet de sa mission dans le département de la Gironde. Exclu du Comité des finances par un décret qui déclarait son nom impopulaire tout en rendant justice à son intégrité, il fut décrété à son tour d'arrestation, quelques jours après l'émeute jacobine du 12 germinal (1er avril 1795). Les Montagnards envahirent de nouveau la salle des séances de la Convention, le 1° prairial suivant (20 mai), et furent sur le point de précipiter du pouvoir la faction thermidorienne. Malheureusement pour Cambon, qui s'était réfugié et caché dans le faubourg Saint-Antoine depuis le décret qui ordonnait son arrestation, son nom fut mêlé aux événements de cette journée. Deux ou trois mille partisans de la Constitution de 1793, rassemblés à l'Hôtel-de-Ville, le proclamèrent, on ne sait trop pourquoi,

maire de Paris. Quelques députés demandèrent alors sa mise hors la loi; mais l'Assemblée se contenta de le décréter d'accusation avec les auteurs de cette journée, qui ensanglanta, pour la première fois, le sanctuaire de la représentation nationale.

Cambon eut le bonheur de se soustraire aux réactions contrerévolutionnaires des thermidoriens. Le 26 octobre de la même année (4 brumaire), la Convention nationale ayant décrété que la peine de mort serait abolie en France, à dater du jour de la publication de la paix générale, et ayant annulé tous les mandats d'arrêt, toutes les poursuites, tous les jugements portant sur des faits relatifs à la révolution, l'ex-député de l'Hérault fut compris dans cette amnistie. Il put sortir de l'asile que l'amitié lui avait fourni, pendant sa proscription, dans un grenier de la rue SaintHonoré. Il quitta la scène orageuse sur laquelle il avait jeté quelque éclat et il se retira dans sa ville natale où l'estime de ses concitoyens le dédommagea des maux qu'il avait soufferts pour la chose publique. Les soins d'une petite propriété remplirent désormais tous ses instants. Cet homme, qui remuait naguère les finances d'un grand empire et consolidait une dette nationale de plusieurs milliards, était sorti pauvre et sans reproches du Comité des finances; il ne s'occupa plus, pendant près de vingt années, qu'à améliorer quelques arpents de terre, seuls débris de sa fortune patrimoniale, dispersée par la révolution. Étranger aux événements et aux affaires politiques jusqu'en 1815, il éleva une seule fois la voix du fond de sa retraite durant ce long entr'acte ce fut pour demander au conseil des Cinq-cents, par une pétition, que tous les individus, qui avaient rempli des fonctions depuis l'année 1789, présentassent le bilan de leur fortune au moment de leur nomination et à celui de leur retraite, conformément au décret rendu dans ce sens par la Convention nationale. Dire que Cambon ne craignait rien de pareilles recherches, est le seul éloge que nous ferons de sa vie publique; celui de sa vie privée est tout entier dans les soins dont il entoura ses vieux parents, et dans la vive amitié qu'il avait vouée à une de ses sœurs Cette dame, qu'une

vive charité avait fait entrer dans un couvent de sœurs grises, con sacrées au service des malades, trouva toujours en lui un frère tendre et un protecteur dévoué, qui l'aida à surmonter les obstacles qui s'opposaient à sa profession religieuse.

Cambon reparut un instant dans l'arêne politique après le retour de l'ile d'Elbe, comme membre de la Chambre des représentants. Il ne s'y occupa guère que de finances. Proscrit avec ceux que la Restauration flétrit du nom de régicide, par la loi du 12 janvier 1816, il quitta la France dans le délai fatal d'un mois qui lui était accordé. Le pain amer de l'exil, bien plus que l'âge et les infirmités, abrégea ses jours. Quatre ans s'étaient à peine écoulés depuis son séjour sur la terre étrangère, qu'il allait rendre compte au juge suprême de son vote du 21 janvier. Cambon fut, comme tous les personnages politiques de son époque, terrible, fanatique de liberté, souvent impitoyable pour les hommes, et mettant les principes au-dessus de toutes les considérations privées; mais son désintéressement et sa rigide probité doivent lui mériter d'autant plus, que nous ne sommes pas habitués à trouver souvent de ces vertus dans les annales de notre révolution.

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