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DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

FOUQUIER-TINVILLE

(ANTOINE-QUENTIN),

Né à Héronelles, près de Saint-Quentin, en 1747; mort à Paris, sur l'échafaud, le 7 mai 1795

Hérault de Séchelles avait fait la connaissance de FouquierTinville dans un lieu de débauche, et de cette rencontre data la fortune du futur accusateur public près le tribunal révolutionnaire. Nous étions alors dans les premiers mois de notre révolution, et Fouquier n'était encore qu'un simple agent de la police secrète, chargé par les ministres de Louis XVI d'épier les membres de l'Assemblée nationale, ainsi que les agitateurs des faubourgs; mais il avait occupé, quelques années avant la convocation des États-Généraux, un rang beaucoup plus honorable dans la société. Sa famille, qui jouissait d'une certaine aisance, lui avait

fait faire de bonnes études, l'avait envoyé étudier le droit à Paris, et lui avait enfin acheté une charge de procureur au Châtelet. Cette position, assez belle pour un jeune homme, fut encore améliorée par un mariage dans lequel sa fortune, aussi bien que son cœur, aurait dû trouver son compte. Malheureusement il était d'un caractère inquiet, d'une humeur difficile, dissolu et libertin. Le jeu et les dépenses de toutes sortes, auxquelles l'entraînèrent ses mauvaises passions, l'eurent bientôt ruiné. Il vendit sa charge, dissipa la dot de sa femme et fut réduit en peu de temps à la misère. En 1781, il adressa une pièce de vers à Louis XVI, dans l'espoir d'attirer sur lui les regards du prince et d'arracher quelques secours pécuniaires à la cassette royale; mais les journaux, auxquels il envoya ses vers, refusèrent de les insérer, et la cour ne répondit pas à ses flagorneries poétiques. Plus tard, il fut contraint d'accepter une place obscure parmi les agents subalternes de la police ministérielle. La révolution naissante avait besoin à tout prix d'hommes audacieux et sans liens sociaux, qui secondassent sa marche de tous leurs efforts. Tout occupée de son but sublime, l'affranchissement d'un peuple, elle ne s'inquiétait guère de la moralité des moyens. Elle ne demandait que du courage, de l'abnégation et de l'audace à ses rudes défenseurs; elle avait bien autre chose à faire que de s'inquiéter de leur vie privée. Fouquier se lia avec les amis de Robespierre par l'entremise d'Hérault de Séchelles. D'une grande mobilité d'opinions, sans aucune espèce de convictions, ne demandant point aux partis la couleur de leurs drapeaux, mais ce que l'on pouvait gagner à les servir, il se dévoua sans peine à ses nouveaux patrons. Son cynisme passa pour de l'audace; sa facilité à adopter les idées des Montagnards, pour de l'enthousiasme républicain; Maximilien le poussa, et le 13 mars 1793, il fut nommé par la Convention nationale substitut de l'accusateur public près le Tribunal criminel extraordinaire.

Le zèle que Fouquier - Tinville déploya dans ces fonctions, lui valut sous peu les honneurs de la première place. Désormais,

accusateur permanent de toutes les victimes dévouées par la fatalité, par le crime ou par la nécessité à la hache républicaine, aussi bien que des vrais coupables dont le Comité de salut public fit justice à de rares intervalles, il ne cessa de requérir la peine capitale contre tous ceux que ses patrons lui désignèrent. La mort veilla nuit et jour aux pieds de la guillotine; l'épouvante régna dans Paris, et la terreur, qui pesait sur cette ville comme sur le reste de la France, sembla s'incarner dans la personne de l'horrible accusateur public.

Le tribunal révolutionnaire avait été organisé au mois de mars 1793. De cette époque, au mois de juin 1794, les jurés avaient envoyé cinq cent soixante dix-sept accusés au supplice, ce qui portait la moyenne des condamnations capitales à trente-neuf par mois. Terrible supputation, si nous songeons au nombre considérable d'innocents englobés dans ces hécatombes, mais qui pâlit et s'efface tout à coup, si, détournant les yeux du tribunal de Fouquier-Tinville, nous les portons sur quelques-unes de nos provinces en proie à de féroces représentants du peuple. Joseph Lebon désolait les départements du nord. Il avait établi à Arras le centre de ses opérations, et c'est de là qu'il s'élançait à de fréquents intervalles sur les villes voisines, suivi des juges stipendiés de son tribunal criminel, d'un bourreau et d'une guillotine ambulante. Son passage était marqué par le deuil et la désolation, et l'on aurait pu suivre ses traces, rien qu'en prêtant l'oreille aux cris et aux sanglots des mères et des épouses privées par ce monstre des objets les plus chers. En vain les populations éplorées réclamaient-elles près de la Convention la punition ou tout au moins le rappel du proconsul. Les Comités qui souffraient sous leurs yeux les excès de Fouquier-Tinville, ne pouvaient condamner Joseph Lebon.

Quinze cents Lyonnais, en moins de deux mois, avaient péri par la hache ou par la mitraille, par les ordres du représentant Collot-d'Herbois. Marseille et Toulon, derniers refuges du fédéralisme, avaient vu leurs populations décimées par les députés Fréron

et Barras; le farouche Maignet avait établi à Orange (Vaucluse) un tribunal révolutionnaire central, et d'un bout à l'autre de la France, le peuple agonisait sous le couteau des Montagnards et de la populace.

Mais tout cela n'était rien encore, devant ce qui se passait dans le chef-lieu de la Loire-Inférieure. Un représentant du peuple nommé Carrier (1), ex-procureur à Aurillac, y avait été envoyé

(1) CARRIER (Jean-Baptiste), né à Yolai, dans l'Auvergne, en 1756; mort à Paris, sur l'échafaud, le 17 décembre 1793. - Procureur à Aurillac en 1792, Carrier fut nommé membre de la Convention nationale par le département du Cantal. Envoyé à Nantes, par l'Assemblée, pour y réprimer les complots royalistes qui s'ourdissaient continuellement dans l'ouest, il fit son entrée dans cette ville le 8 octobre 1795. Son horrible férocité, jusqu'alors sans aliment, se révéla tout à coup sur cette scène, par les actes les plus atroces. Accusant de lenteur le tribunal révolutionnaire, il suspendit les simulacres de procédure dont on usait encore envers les accusés, s'entoura d'une bande de sicaires, et envoya chaque jour au supplice plus de cinq cents personnes, sans aucune espèce de jugement. Les prisons étaient tellement encombrées de suspects, que les fusillades et les noyades au moyen de bateaux à soupape ne pouvaient suffire à les vider; plusieurs milliers d'infor tunés, entassés pêle-mêle dans des cloaques, y périssaient au milieu d'une atmosphère chargée de miasmes pestilentiels. Quinze mille victimes furent ainsi immolées par ce bourreau; les carrières qui avoisinent la ville de Nantes étaient couvertes de cadavres, à demi ensevelis, et les eaux de la Loire en étaient tellement infectées, que la municipalité avait fait défense aux citoyens d'en boire. -Robespierre avait succombé, et avec lui le régime de la terreur; Carrier avait été rappelé, il avait repris sa place dans la Convention nationale, et ses crimes demeuraient impunis, lorsque le procès de quatre-vingt-quatorze Nantais qui avaient été envoyés devant le tribunal révolutionnaire de Paris par le Comité de Nantes, révéla à la France épouvantée les forfaits de ce monstre. Le tribunal n'étouffait plus, comme autrefois, la défense des accusés; ceux-ci prouvèrent 'eur innocence et en même temps les crimes du représentant du peuple qui les avait fait incarcérer. L'opinion publique s'émut de ces révélations, et l'Assemblée ordonna provisoirement qu'il serait gardé à vue dans son domicile. Aussitôt mille voix s'élevèrent contre lui. Les habitants de Nantes l'accusèrent, dans une adresse à la Convention nationale, d'avoir fait fusiller jusqu'à des enfants, qu'il nommait des louveteaux. Traduit enfin devant le tribunal révolutionnaire, il fut arrêté dans la nuit du 23 au 24 octobre 1794 par le citoyen Lafond, adjudant de la section de la Cité, qui lui arracha un pistolet des mains, au moment où il allait se soustraire par un suicide à la vindicte des lois. Condamné à la peine de mort avec deux de ses complices, Michel Moreau dit Grandmaison, et Jean Picard,

en mission, pour y étouffer les derniers germes du fédéralisme et ceux plus vivaces de la chouannerie. Après la déroute de Savenay, une multitude de Vendéens, soldats, laboureurs, vieillards, femmes et enfants avaient fait leurs soumissions et avaient obtenu une amnistie. Carrier, en arrivant à Nantes, commença par déclarer qu'il ne ferait grace à personne, et il jeta provisoirement les malheureux Vendéens dans d'infects cachots, d'où il les tirait par troupes de cent et cent cinquante pour les faire mitrailler au fond des carrières. Enfin, renouvelant une infernale invention du fils parricide d'Agrippine, il lança sur la Loire des bateaux à soupapes, remplis de victimes vouées à la mort, et les eaux du fleuve engloutirent chaque nuit plusieurs centaines de malheureux. Lorsque les officiers municipaux de la ville de Nantes osaient faire quelque remontrance à Carrier, au sujet de ses cruautés, il leur répondait avec des jurements effroyables et dans son horrible langage: « Vous êtes tous des j... f... qui ne << savez pas votre métier..., le premier b...., qui me parle encore << de ça, je l'envoie cracher dans le panier rouge. » (Je l'envoie à la guillotine.)

Paris n'eut bientôt plus rien à envier à ses aépartements. La loi du 22 prairial transforma son tribunal révolutionnaire en une véritable Commission martiale, chargée seulement de constater l'identité des individus dévoués au supplice par les chefs des Montagnards. Fouquier-Tinville poussa un rugissement de volupté, en recevant la copie du décret qui devint, entre ses mains, un thème de sang, auquel il ajouta mille variations horribles de sa façon. Avec l'ancienne loi, toute terrible qu'elle était, six cents exécutions avaient eu lieu en quinze mois; avec la nouvelle, plus de douze cents têtes roulèrent sur l'échafaud en soixante-dix jours. Fouquier, dont les instincts sanguinaires se réveillèrent avec une affreuse énergie, dès qu'il eut entre les mains les moyens de les

membres du comité révolutionnaire de Nantes, Carrier monta sur l'échafaud en s'écriant: « Je meurs victime et innocent. Mon dernier vœu est pour la république et pour le salut de mes concitoyen

TOME II.

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