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posent une science. Car, c'est leur nature, qu'elles aient entre elles des rapports et des liaisous, qui font qu'elles n'entrent dans l'esprit que les unes par les autres; que quelques-unes qui doivent s'entendre par elles-mêmes, et qui sont les sources des autres, doivent les précéder; et que les autres doivent suivre, selon qu'elles dépendent de ces premières, et qu'elles sont liées entre elles, et qu'ainsi l'esprit devant se conduire des unes aux autres, doit les voir en ordre; et c'est de cet ordre qui fait l'arrangement des définitions, des principes et du détail, d'où il est facile de juger combien il y a de différence entre la manière de voir le dé tail des vérités qui composent une science mise en confusion, et la vue de ce même détail rangé dans son ordre; puisqu'on peut dire qu'il n'y en a pas moins qu'entre la vue d'un tas confus de matériaux destinés pour un édifice, et la vue de l'édifice élevé dans sa symétrie.

« Le dessein qu'on s'est proposé dans ce livre est donc de mettre les lois civiles dans leur ordre naturel; de distinguer les matières du droit, et les assembler selon le rang qu'elles ont dans le corps qu'elles composent naturellement; diviser chaque matière selon ses parties; et arranger en chaque partie le détail de ses définitions, de ses principes et de ses règles, n'avançant rien qui ne soit ou clair par soi-même, ou précédé de tout ce qui peut être nécessaire pour le faire entendre. Ainsi, ce n'est pas un abrégé qu'on s'est proposé de faire, ou de simples institutions; mais on a tâché d'y comprendre tout le détail des matières dont on doit traiter,

• On s'est proposé deux premiers effets de cet ordre, la briéveté par le retranchement de l'inutile et du superflu, et la clarté par le simple effet de l'arrangement. Et on a espéré que, par cette briéveté et cette clarté, il serait facile d'apprendre les lois solidement, et en peu de temps, et que même l'étude en devenant facile serait agréable. Comme la vérité est l'objet naturel de l'homme, c'est la vue de la vérité qui fait son plaisir; et ce plaisir est plus grand à proportion que les vérités sont naturelles à notre raison, et qu'elle les voit dans leur jour sans peine.»

Voilà le dessein de son livre, ce n'est pas un abrégé, c'est un cours complet de droit. Tout y est bref par le retranchement de l'inutile et du superflu, tout y est clair et précis par le simple effet de l'arrangement.

J'emprunterai encore ici les paroles de l'auteur pour expliquer comment il a cité sur chaque article les textes des lois.

« Il est facile de juger, dit-il, par les remarques qui ont été faites sur la manière dont les lois sont recueillies dans le droit romain, qu'il n'a pas été possible de citer sur chaque article un texte unique qui y répondit, et qu'il a été nécessaire en plusieurs endroits d'assembler divers textes pour former le sens d'une règle ; comme au contraire on a été obligé en d'autres de donner à la règle plus d'étendue que n'en a le texte, pour le faire entendre. Mais on n'a pas laissé de garder partout une exacte fidélité, pour ne détourner aucun texte hors de son séns, et pour ne rien avancer sans autorité ; parce qu'encore que les règles qu'on a tirées des textes des lois portent le caractère de la vérité par l'équité naturelle qui en est l'esprit, il est nécessaire de les affermir par l'autorité de ces textes des lois du droit romain, qui ajoute à leur certitude, que l'esprit se met en repos, voyant déja la vérité par luiméme, et s'assurant encore que son jugement est soutenu de celui de tant de personnes habiles qui ont été les auteurs de ces lois, ct de l'approbation universelle qu'elles ont depuis tant de siècles.»

Mais cette autorité sur laquelle s'appuyait Domat ne suffit plus aujourd'hui. Les notables changemens apportés par la législation nouvelle ont introduit dans les œuvres de notre illustre auteur une lacune que personne peut-être n'eût osé remplir, si le plan n'eût été tracé d'avance.

A l'exemple de Domat, j'ai retranché le superflu pour placer le nécessaire. L'esprit sera encore en repos par l'autorité du droit romain qu'il pourra vérifier à son gré. Les retranchemens que j'ai faits, sont les abrégés des articles qui se trouvent à la tête de chaque section des anciennes éditions, de même que la législation nouvelle et la jurisprudence du royaume me dispensent aujourd'hui de rapporter des fragmens des textes du droit romain, mis à la fin de la plupart des articles.

Ainsi, je me suis contenté dans les notes de renvoyer à la loi romaine avec l'indication nécessaire, sans faire précéder ce renvoi du texte même de la loi.

Cette abréviation m'a permis de faire aux œuvres de Domat une addition importante: à la suite de chaque question traitée par l'auteur, j'ai placé l'indication des articles de nos codes, ainsi

que toutes les dispositions législatives et réglementaires qui s'y rapportent, de manière qu'on trouvera à la suite du texte de l'ancien droit, la corrélation ou conférence de toutes les dispositions du droit nouveau qui s'y rattachent. En sorte que, par les applications que j'ai faites, on reconnaîtra facilement la liaison et l'explication mutuelle que se donnent les deux législations.

Ce travail est accompagné d'un autre dont l'utilité est incontestable, je veux parler de la citation des lois, arrêtés, sénatusconsultes, décrets, ordonnances du Roi, avis du conseil d'état, décision des ministres, et des arrêts rendus sur chaque matière depuis la promulgation des codes.

Les divers éditeurs de Domat n'avaient point encore fait payer par la nouvelle magistrature ce tribut de reconnaissance à la mémoire de l'illustre auteur des lois civiles; et cependant personne ne méritait plus un tel honneur que celui qui, après avoir fait les beaux jours de l'ancien barreau, est encore la plus ferme autorité du barreau moderne.

Enfin, de tous les anciens et modernes jurisconsultes, Domat est celui dont l'ouvrage s'est acquis le plus de célébrité, et par la profonde sagesse qui règne dans son plan, et par la supériorité de la méthode neuve et ingénieuse avec laquelle il développe tout le système de la législation civile des divers peuples qui ont eu des institutions.

Ainsi, l'étude du droit romain est aussi indispensable que celle de la législation actuelle; cependant les modernes s'occupent presque exclusivement du droit nouveau, et négligent l'ancien, soit qu'ils y trouvent plus d'embarras pour l'expliquer, soit qu'ils le regardent comme moins utile. Mais les lois civiles de Domat ont été la base de nos codes, il était donc nécessaire d'aplanir les difficultés qui séparaient les deux législations; c'est ce que j'ai essayé de faire, en les mettant continuellement en présence et en montrant leurs différences et leurs rapports. Pour démontrer la nécessité de connaître l'une et l'autre, j'ai dû chercher, recueillir et classer sous les articles des lois civiles et du droit public de Domat, toutes les dispositions législatives et réglementaires qui nous gouvernent aujourd'hui, concurremment avec les lois et réglemens anciens, qui ne sont plus en vigueur, mais qui sont encore consultés avec fruit.

Comme le dit un philosophe anglais (1), « accompagnez vos lois de raison qui les justifient. C'est un repos ménagé dans une carrière fatigante et aride: ce sera un moyen de plaisir si, à chaque pas qu'on fait, on trouve la solution de quelque énigme, si on entre dans l'intimité du conseil des sages, si on participe aux secrets du législateur, si, en étudiant le livre des lois, on y trouve encore un manuel de philosophie et de morale. C'est une source d'intérêt que vous faites jaillir du sein d'une étude, dont l'ennui repousse aujourd'hui tous ceux qui n'y sont pas attirés par la nécessité de leur condition, c'est un attrait pour la jeunesse, pour les gens du monde, pour tous ceux qui se piquent de raison et de philosophie, et bientôt il ne sera plus permis d'ignorer ce qu'on aura rendu facile et agréable à apprendre.

« Cet exposé des raisons rendra les lois plus faciles à concevoir. Une disposition dont on ignore le motif ne jette pas des racines profondes dans l'intelligence; on ne comprend bien que les choses dont on comprend le pourquoi. Les termes de la loi peuvent être clairs et familiers; mais ajoutez-y la raison de la loi, la lumière augmente; il ne peut plus rester de doute sur la véritable intention du législateur, l'intelligence de ceux qui la lisent communique immédiatement avec l'intelligence de ceux qui l'ont faite.

« Plus les lois se conçoivent facilement, plus il est aisé de les retenir. Les raisons sont une espèce de mémoire technique; elles servent de lien et de ciment à toutes ces dispositions qui ne seraient sans elles que des fragmens et des ruines dispersées. Les lois seules pourraient se comparer à un dictionnaire de mots. Les lois, accompagnées de leurs raisons, sont comme une langue dont on possède les principes et les analogies.

« Les raisons mêmes deviennent une espèce de guide pour les cas où la loi serait ignorée : on peut préjuger ses dispositions, et par la connaissance acquise des principes du législateur, se mettre en sa place, le deviner ou conjecturer ses volontés, comme on présume celles d'une personne raisonnable avec laquelle on a vécu et dont on connaît les maximes. » Ce que désirait Bentham, il était facile de l'éxécuter en France. Nous avons les lois civiles de Domat, où l'on a puisé la majeure partie des articles de nos

(1) Bentham, Traité de législation civile et pénale, t. 3, p. 83 et suiv.

codes qui ne donnent pas de définitions, tandis que notre profond jurisconsulte pose la question, et la développe avec une telle lucidité qu'il ne laisse rien à désirer.

« Le dessein de mettre les lois civiles en ordre, dit Domat, a engagé à composer un traité des lois qu'on a jugé aussi nécessaire pour bien entendre les lois civiles, que l'est pour apprendre la géographie une connaissance au moins générale du système entier du monde, telle que nous la donne la cosmographie.

<<< Toutes les lois ont leur source dans les premiers principes, qui sont les fondemens de la société des hommes; et on ne saurait bien entendre la nature et l'usage des différentes espèces de lois, que par la vue de leur enchaînement à ces principes, et de leur rapport à l'ordre de la société dont elles sont les règles. C'est donc dans le système et dans le plan de cet ordre universel qu'il faut reconnaître la situation et l'étendue des lois civiles, ce qu'elles ont de commun avec les autres espèces de lois, ce qui les distingue, et plusieurs vérités essentielles pour les bien entendre, et pour en faire de justes applications dans les matières où elles se rapportent. C'est aussi dans ce même plan qu'on distingue quelles sont ces matières, et quel est leur ordre; et toutes ces vues, et de leurs matières, feront le sujet de ce traité des lois.

« La première partie des engagemens a été divisée en cinq livres: l'un intitulé Préliminaire, parce qu'il contient trois matières communes à toutes les autres et qui doivent les précéder; le premier des quatre autres, où il est traité de la première espèce d'engagemens, qui sont ceux où l'on entre par les conventions: le second qui contient la seconde espèce d'engagemens, qui sont ceux où l'on entre sans conventions: le troisième, des suites de ces deux sortes d'engagemens, qui y ajoutent ou les affermissent; et le quatrième, des suites des mêmes engagemens, qui les anéantissent ou les diminuent. Suivant ce plan, on a compris, ensuite du Traité des Lois, ce livre préliminaire, et le premier des quatre autres, où il est traité des conventions; et cette suite contient les trois autres livres. Ainsi, on a, dans ces cinq livres de la première partic, tout ce qui regarde les engagemens, c'est-à-dire la première partie des matières de ce livre des Lois Civiles.

"

Pour la seconde partie, elle contient la matière des successions. Ainsi, on aura dans ces deux parties tout ce que Domat

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