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De quoi se plaint-on, que veut-on, répondaient les membres les plus calmes de l'ancien parti de l'ordre? Que le ministère ne soit pas l'expression complète de la majorité? Mais de quelle majorité? Est-ce de celle du 18 janvier, celle qui rassemblait sous un même drapeau MM. Thiers, Cavaignac et Nadaud? Veut-on parler de l'ancienne? Mais alors n'oubliez pas que la minorité du 18 janvier en était une des fractions les plus importantes. Et d'ailleurs n'est-il pas puéril de s'attacher aux questions de personnes, quand les événements s'accumulent menaçants devant nous.

Le ministère nouveau fut installé le 11 avril. Le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, n'attendit pas que des interpellations lui fussent adressées pour donner à l'Assemblée les explications qu'elle était en droit d'attendre. Il monta à la tribune pour exposer la politique du cabinet. Cette politique serait celle. de la majorité.

Un membre de la gauche ne se sentit pas satisfait par cette assurance, et vint se rendre l'organe de certains scrupules, de certaines susceptibilités. N'y avait-il pas lieu de s'étonner, dit M. Sainte-Beuve, en voyant trois ministres, MM. Baroche, Fould et Rouher, reprendre leur place deux mois après qu'un vote solennel les en avait dépossédés? N'y avait-il pas là un défi porté par le pouvoir exécutif à l'Assemblée? Mais ce fut en vain que M. Sainte-Beuve chercha à réveiller les échos du 18 janvier. La majorité ne s'émut ni au souvenir de ses anciennes colères, ni aux perspectives menaçantes d'un 18 brumaire développées devant elle par l'orateur.

M. Sainte-Beuve avait proposé un ordre du jour de non-confiance. Le scrutin s'ouvrit sur l'ordre du jour pur et simple réclamé par les partisans du nouveau ministère. Le nombre des votants était de 602; 327 voix se réunirent pour l'ordre du jour pur et simple; 275 voix se prononcèrent dans le sens contraire. L'ordre du jour pur et simple fut donc adopté par une majorité de 52 voix. Un assez grand nombre de membres appartenant à toutes les fractions de la majorité s'étaient abstenus.

Cinquante-deux voix de majorité, c'était là un début assez malheureux pour une administration qui avait tant besoin de force et d'appui.

Ainsi l'ordre du jour pur et simple, demandé sur la proposition d'ordre du jour motivé de M. Sainte-Beuve, n'avait été voté au scrutin, en faveur du ministère, que par 327 voix contre 275, c'est-àdire avec une majorité relative de 52 voix, et seulement 25 voix au delà de la majorité absolue. 80 membres environ s'étaient abstenus, qui, s'ils eussent pris part au vote, auraient singulièrement modifié le scrutin; car on prétendait que leur abstention se fondait sur ce que, sans aller jusqu'à voter contre le ministère, ils ne s'étaient pas senti assez de confiance pour voter en sa faveur. De fait, parmi ces abstenants, on trouvait les noms de MM. Thiers, Vatimesnil, Kerdrel, Larochejaquelein, Maleville, Dufaure, Duvergier de Hauranne, de Mornay, Roger du Nord, Favreau, Chambolle, Dampierre, Bedeau, Chapot, Richard, etc., tous adversaires déclarés du malheureux cabinet du 10 janvier.

Voilà dès le premier jour la situation du nouveau ministère, patroné cependant, assurait-on, à son avénement, par quelques-uns des représentants les plus éminents de la majorité.

CHAPITRE V.

PRÉLUDES DE LA RÉVISION.

Vacances de Pâques, courte trêve. Reprise des travaux, vente des journaux sur la voie publique, loi de 1849; propositions de MM. Pascal Duprat et Baze, l'égalité dans la prohibition ou dans la liberté; opinion de la commission; les sous-entendus de la discussion; rejet de la proposition Pascal Duprat, prise en considération de la proposition Baze; libre exercice des professions d'imprimeur et de libraire, proposition de M. Dain, dangers peu sérieux de l'arbitraire. — Signes précurseurs de la discussion sur la révision, démission de M. Dupin refusée par la Chambre; ajournement de la loi organique de l'administration intérieure, urgence déclarée pour une prorogation des pouvoirs des conseils électifs. La révision et la loi du 31 mai; essais de conciliation tentés par le ministère; les adversaires et les résultats de la loi du 31 mai; les adversaires et les partisans de la révision; discussions théoriques et passions personnelles, M. Pascal Duprat, candidatures inconstitutionnelles. Coup d'œil sur les partis au moment de la révision; MM. Ledra-Rollin, Victor Considérant, Rittinghausen et Emile de Girardin, l'anarchie. Emeute à Aspet et à Saint-Gaudens, tentatives de pillage à Nérondes. Saisie de publications incendiaires, le dixième bulletin du comité de résistance, manifeste du comité du centre, proclamation de la nouvelle Montagne, le vrai dixième bulletin. Terreurs exploitées, encore le Spectre rouge; mandement de monseigneur l'archevêque de Paris, le mal et le remède. Les partis monarchiques, intrigues fusionnistes, rapprochement stérile, M. le comte de Chambord, M. le duc d'Aumale et madame la duchesse de Parme; la politique d'idonéité; la politique légitimiste, M. de Falloux. Les élyséens; entrevue de M. de Persigny avec M. le général Changarnier; la société du dix décembre. Candidatures présidentielles, pétitions pour la révision et pour la rééligibilité du Président; proposition de révision de la réunion des Pyramides. Propositions Moulin et Morin, réglementation du débat; M. Emile de Girardin, succès de scandale; prise en considération. Orages précurseurs; dépêche télégraphique de M. Léon Faucher; M. Napoléon Bonaparte et la garde nationale; M. Hennequin, la garde nationale selon Robespierre; théorie du succès en révolution, M. Crémieux. Onzième bulletin du comité de résistance. Avalanche de pétitions, proposition Chapot. Vote sur les propositions Moulin et Morin,

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M. Jules Favre, M. Vesin, adoption. vision de la Constitution.

Dépôt des propositions pour la ré

Accueilli avec quelque défiance par la majorité, le nouveau ministère obtint une trêve de quelques jours, pendant laquelle il put rassurer les uns, calmer les autres, et étudier les nombreuses questions laissées en souffrance pendant le long intérim parlementaire.

On allait entrer dans la semaine marquée par la fête la plus solennelle des trois cultes reconnus. M. Sainte-Beuve avait, le 9 avril, proposé à l'Assemblée de s'ajourner du 12 avril au 28, et, sur les observations de M. Coquerel, l'Assemblée avait décidé qu'elle prendrait huit jours de repos, du 16 au 24.

Après les vacances de Pâques, la discussion trouva pour premier terrain des propositions contraires, relatives à la vente des journaux sur la voie publique. Il s'agissait de l'application rigoureuse de la loi du 27 juillet 1849 et de l'interprétation que lui avait donnée la jurisprudence (Voyez l'Annuaire pour 1849).

On se rappelle qu'un article de cette loi avait pour objet de soumettre le colportage des écrits imprimés à l'autorisation de l'administration. Cet article devait-il s'appliquer aux journaux ? Beaucoup d'excellents esprits avaient pensé que la dispoposition de la loi de 1849 ne concernait pas les écrits périodiques; la jurisprudence des Cours d'appel et de la Cour de cassation en avait décidé autrement. Toute discussion interprétative devenait désormais inutile, la voie législative restait seule à ceux qui pensaient que de la loi ainsi interprétée il pouvait résulter quelques abus. En effet, on se plaignait de ce que le gouvernement, usant rigoureusement du droit que lui accordait la loi du 27 juillet 1849, permettait la vente sur la voie publique aux journaux d'une certaine couleur, à l'exclusion d'autres journaux, organes de l'opinion contraire. Il y avait là une inégalité qu'on voulait faire disparaître.

Deux moyens se présentaient pour arriver à ce but. On pouvait remettre les choses dans l'état où elles se trouvaient en 1849; rendre la voie publique aux journaux, quelle que fût leur opinion, permettre de nouveau une lutte à armes légales; ou bien

on pouvait interdire à tous, sans distinction, la voie publique. C'étaient là deux systèmes bien tranchés que patronaient M. Baze pour la prohibition, M. Pascal Duprat pour la liberté. La commission, par l'organe de son rapporteur, M. Langlais (Sarthe) reconnut que la question ne présentait à aucun point de vue le caractère d'une question constitutionnelle. Suivant elle, si la liberté de publier ses opinions appartient à chaque citoyen, il appartient aussi à la société de régler l'exercice de cette liberté. Tout mode de publication est donc essentiellement dans le domaine de la loi. L'intérêt particulier, le droit individuel, doivent s'effacer ici, comme partout, devant l'intérêt et le droit de la société.

S'occupant d'abord de la proposition de M. Pascal Duprat, la commission estimait qu'il y aurait inconséquence et témérité de la part de l'Assemblée, à effacer elle-même cette loi de prévoyance, en livrant aux journaux la voie publique. L'Assemblée, disait le rapport, a vu s'agiter devant elle, sans être séduite, toutes les théories de la liberté et de la publicité sans limites. La multiplication des journaux ne lui a pas paru le seul moyen ni même le meilleur d'instruire et de moraliser le peuple. Elle n'a pas cru à une puissance de la vérité telle, que la société fût dispensée de toute prévoyance, comme si la pénalité et le jury avaient enlevé à la presse tous ses dangers. L'état présent de la France dicte d'ailleurs à l'Assemblée sa résolution. Le calme règne encore dans le pays, mais l'ère des agitations est prochaine. L'esprit d'anarchie n'a-t-il pas déjà assez de moyens de parler aux passions du peuple, sans qu'on l'autorise encore à élever ses tribunes sur la place publique? Bientôt sa voix seule y serait entendue. C'est l'effet ordinaire d'une telle liberté. Jamais elle n'a produit que le monologue des factions, en multipliant les organes de cette presse si connue dans nos troubles civils. Abaissez la barrière, immédiatement vous verrez cette presse renaître, injurieuse et violente, comme dans tous les temps; agitant les populations, exploitant les souffrances du travail, calomniant la société, étouffant la voix des opinions sages et pacifiques, se dérobant à la répression par la continuité même de ses attaques. C'est une véritable fièvre qu'on donnerait au pays, sous prétexte d'y animer la

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