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M. Favre, avec son habileté ordinaire, était sorti du débat spécial pour aborder la grande thèse de la révision. M. Moulin, qui lui répondit, ramena la question à des proportions purement réglementaires il s'attacha à démontrer que les précautions prises par la Constitution établissaient des garanties suffisantes, et qu'il serait à la fois injuste et imprudent à l'Assemblée d'enchaîner dans un cercle inflexible et sa propre volonté et les vœux du pays. Renvoyant à M. Favre les reproches que cet orateur avait adressés à la commission : « c'est vous, dit-il, qui restreignez la souveraineté nationale. Votre système est aussi dangereux qu'antilibéral; il tend à comprimer l'élan des populations, et peut provoquer un jour les explosions les plus funestes. >>

Le vote n'était pas douteux. Tous les amendements proposés furent repoussés, même un paragraphe additionnel très-significatif, présenté par M. Vesin, et auquel une véritable avalanche de pétitions tombée sur le bureau du président, au commencement de la séance, donnait une opportunité incontestable. M. Vesin demandait qu'un rapport général sur les pétitions relatives à la révision, fût présenté avant le rapport spécial sur les propositions. M. Vesin rappela les scrupules que M. Léon Faucher avait manifestés à l'occasion des pétitions contre la loi du 31 mai. Celles qui assiégeaient journellement le bureau de l'Assemblée, étaient-elles plus sérieuses? Les vœux qu'elles contenaient étaient-ils librement exprimés? L'orateur cita certains faits qui, s'ils avaient été vrais, eussent engagé la responsabilité du pouvoir exécutif, dont les agents se seraient livrés pour obtenir des signatures à de coupables manœuvres.

A peine la proposition était-elle adoptée, qu'on vit se diriger vers le fauteuil du président M. le duc de Broglie, porteur de la proposition de révision de la Constitution, signée par les 233 membres de la réunion des Pyramides. Parmi les signataires, on ne remarquait pas un nom important de légitimiste. Entre ceux dont l'absence sur cette liste pouvait encore être remarquée, nous citerons MM. Molé, Thiers, le général Changarnier, Piscatory, Duvergier de Hauranne, Dufaure.

M. Payer, qui passait pour attaché à la ligne politique de

M. de Lamartine, présenta également une proposition tendant à la révision de divers articles de la Constitution, et notamment de l'article 20, qui portait que le pouvoir législatif est délégué à une assemblée unique, et de l'article 45, relatif à la non-réélection du président de la République.

La question était ouverte.

CHAPITRE VI.

LA RÉVISION.

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Inauguration du chemin de fer de Dijon, ovation populaire, discours officiel, discours vrai; est-ce une déclaration de guerre, interpellations, la doctrine de l'obéissance raisonnée, M. Changarnier protecteur de l'Assemblée; désaveu, ordre du jour; encore l'obéissance passive. M. Baze élu questeur, la loi des clubs. Commission de révision, discussion dans les bureaux, les opinions diverses, nomination des commissaires. La société du Dix Décembre et M. Carlier, proposition d'enquête parlementaire, ordre du jour. Séances orageuses, l'agglomération lyonnaise, M. Pelletier, discours abominable. Les cinq propositions de révision, nouvelle rédaction de la proposition de Broglie, sou adoption, amendement Charamaule écarté, M. de Tocqueville nommé rapporteur. Voyage du Président de la République; inauguration du chemin de fer de Poitiers, une municipalité républicaine, le Président recommandé à la générosité des citoyens, discours habile du Président, confusion des républicains, le vrai peuple; la démagogie à Châtellerault, discours conciliant; discours de Beauvais, foi du Président en lui-même ; Louis-Napoléon Bonaparte et le douzième bulletin du Comité de résistance. Rapport de M. de Tocqueville, la révision totale; prévision d'une candidature inconstitutionnelle, protestation de M. Odilon Barrot; la Constitution sera-t-elle consacrée par un vote contraire; la révision nécessaire est impossible. — Rapport de M. Melun (du Nord) sur les pétitions révisionnistes, un million et demi de signataires; manœuvres du gouverne ment, le mouvement national. Ouverture des débats sur la révision; M. Dupin, appel à la modération; M. de Falloux, la France des révolutions; MM. Payer et de Mornay; M. le général Cavaignac, la République de droit divin; M. Coquerel, le gouvernement de l'Evangile; les orateurs de la Montagne, M. Lagrange condamné au silence, M. Grévy, M. Michel (de Bourges), la monarchie calomniée ; M. Berryer, apologie admirable de la monarchie, la France n'est pas républicaine, les dangers de la réélection; fin de la semaine de tolérance, M. Victor Hugo, scandale, indignation de l'Assemblée, châtiments; M. Dufaure, résignation et légalité ; M. Odilon Barrot, argumentation solide; clôture du débat; la révision repoussée; alliances étranges. Les pétitions révisionnistes, M. Baze, ordre du jour portant

blâme contre le ministère, les ministres resteront; autres hostilités, M. Pradié et la responsabilité, les princes exilés sont-ils éligibles. L'Assemblée se proroge, chances restées à la révision; valeur du remède ; l'Assemblée d'un côté, le pays de l'autre; forte position du Président de la République. Sur le seuil même de cette grande discussion parlementaire, un incident assez grave vint encore animer les passions parlementaires. Le Président de la République inaugurait la section du chemin de fer de Paris à Lyon, comprise entre Tonnerre et Dijon (1er juin). L'empressement, l'enthousiasme des populations rurales accourues au-devant du prince ne peut se dire. Elles étaient groupées, nombreuses, compactes; autour des plus minces stations, elles couvraient les tranchées, les talus. Elles n'avaient pas été attirées par quelque solennité officielle, car le convoi passait devant elles sans s'arrêter, rapide comme la foudre. Ce qui les avait appelées de toutes parts, c'était moins le chemin de fer que le neveu de l'Empereur. L'ovation populaire du 10 décembre se retrouvait là tout entière, avec ses espérances transparentes, avec ses vœux à peine déguisés. Les cris de Vive l'Empereur! Vive Napoléon! accompagnèrent jusqu'à Dijon le Président de la République.

Le maire de Dijon se fit l'interprète des sentiments de ces masses sympathiques, en mettant aux pieds du prince, héritier du nom qui porta le plus haut la gloire de la France, la reconnaissance de la nation qui, sans doute, disait-il, « saurait, dans l'exercice de sa souveraineté, trouver la meilleure expression de sa reconnaissance. >>

Le Président de la République avait à ses côtés le président de l'Assemblée nationale, trois de ses vice-présidents et deux de ses secrétaires, le ministre de l'intérieur et plusieurs autres ministres. Il répondit :

« Je voudrais que ceux qui doutent de l'avenir m'eussent accompagné à travers les populations de l'Yonne et de la Côte-d'Or. Ils se seraient rassurés en jugeant par eux-mêmes de la véritable disposition des esprits. Ils eussent va que ni les intrigues, ni les attaques, ni les discussions passionnées des partis ne sont en harmonie avec les sentiments et l'état du pays.

>> La France ne veut ni le retour à l'ancien régime, quelle que soit la forme qui le déguise, ni l'essai d'utopies funestes et impraticables. C'est parce que je suis l'adversaire le plus naturel de l'un et de l'autre qu'elle a placé sa confiance en moi,

» S'il n'en était pas ainsi, comment expliquer cette touchante sympathie du peuple à mon égard, qui résiste à la polémique la plus dissolvante et m'absout de ses souffrances.

» En effet, si mon gouvernement n'a pas pu réaliser toutes les améliorations qu'il avait en vue, il faut s'en prendre aux manoeuvres des factions qui paralysent la bonne volonté des Assemblées comme celle des gouvernements les plus dévoués au bien public. C'est parce que vous l'avez compris ainsi, que j'ai trouvé dans la patriotique Bourgogne un accueil qui est pour moi une approbation et un encouragement.

» Je profite de ce banquet, comme d'une tribune, pour ouvrir à mes concitoyens le fond de mon cœur. Une nouvelle phase de notre vie politique commence. D'un bout de la France à l'autre, les pétitions se signent pour demander la révision de la Constitution. J'attends avec confiance les manifestations du pays et les décisions de l'Assemblée, qui ne seront inspirées que par la seule pensée du bien public.

» Depuis que je suis au pouvoir, j'ai prouvé combien, en présence des grands intérêts de la société, je faisais abstraction de ce qui me touche Les attaques les plus injustes et les plus violentes n'ont pu me faire sortir de mon calme.

Quels que soient les devoirs que le pays m'impose, il me trouvera décidé à suivre sa volonté. Et, croyez-le bien, Messieurs, la France ne périra pas dans mes mains. >>

Ce discours produisit sur l'Assemblée une émotion profonde et qui s'expliquerait difficilement si l'on s'en tenait au texte officiel publié par le Moniteur. Mais ce n'était un mystère pour personne que ce texte avant d'être livré à l'impression avait subi des retranchements importants. On citait notamment une phrase qui contenait contre le pouvoir législatif d'amères récriminations. M. le Président aurait dit que « si l'Assemblée lui avait donné son concours pour les mesures de répression, elle le lui avait refusé pour toutes les mesures de bienfaisance qu'il avait conçues dans l'intérêt du pays. »

M. Léon Faucher avait repris précipitamment la route de Paris pour empêcher que ces paroles ne fussent reproduites dans le journal officiel, et l'un des membres du bureau de l'Assemblée avait protesté du geste contre l'esprit qui les avait dictées.

Ces nouvelles tombèrent comme un coup de foudre sur l'Assemblée. La Bourse baissa, on se vit à la veille d'une crise. C'est une déclaration de guerre, disait-on; c'est une témérité injusti– fiable.

Des interpellations étaient inévitables: elles eurent lieu dans

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