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à l'action de l'autorité centrale. Il est aisé de comprendre les inconvénients d'un pareil régime sur un terrain si brûlant et si souvent exploité par les apôtres du socialisme, par les agents de l'émeute et de l'insurrection; on conçoit quels obstacles journaliers et permanents i créait à la surveillance et à l'action du pouvoir chargé de maintenir l'ordre et la tranquillité publique.

Ces quatre villes et ces huit ou dix villages qui se touchent, qui font un seul corps, étaient divisés en municipalités ayant chacune son administration distincte, ses agents spéciaux. Il s'en suivait que le plus souvent, en traversant un pont, une rue, un ruisseau, le délinquant pouvait échapper à l'agent qui le poursuivait; à travers ces polices circonscrites et diverses, une surveillance générale était presqu'impossible.

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Le but du projet de loi soumis à l'Assemblée était de remédier à cet état de choses, et, dans cette vue, il proposait de concentrer la police de Lyon et des communes environnantes dans les mains du préfet du Rhône, en lui conférant une partie essentielle des attributions qui sont remplies à Paris par le préfet de police.

Depuis 1793, la guerre civile n'a que trop souvent ensanglanté la ville de Lyon et les localités voisines. En 1817, en 1831, en 1834, 1848, 1849, la guerre civile a exercé ses ravages dans les rues et dans les campagnes, et en ce moment même, le département du Rhône et les départements voisins étaient soumis au régime de l'état de siége.

M. Pelletier répondit à la demande d'urgence par une glorification de la révolte.

Si M. Pelletier s'était borné à rappeler que les conseils municipaux qu'on voulait dépouiller de leurs attributions avaient protesté contre cette mesure; s'il s'était même contenté de signaler le projet de loi comme le premier anneau d'une chaîne qui riverait bientôt toutes les grandes villes de France à l'autorité de la police, et qui anéantirait le droit des municipalités au profit de cette dernière, l'Assemblée eût écouté avec calme ces considérations qui étaient dans la question. Mais il soutint que le gouvernement se défiait de l'armée, et qu'on voulait organiser, sous les ordres des nouveaux préfets de police, des légions de gardes

municipaux prêts à obéir à tous les ordres; il fit l'éloge de l'indiscipline, il prédit l'envahissement du socialisme dans le sein même de ces cohortes dévouées; il parla de dix mille ouvriers. sans ouvrage qui se trouvaient à Lyon; il montra l'avenir gros de menaces, et il descendit de la tribune au milieu des applaudissements de la gauche et des murmures de la majorité.

M. Faucher ne voulut pas laisser ces menaces sans réponse; il protesta contre ce qu'il appela un abominable discours. A ce mot, la Montagne tout entière se leva. Des interpellations injurieuses furent adressées au ministre. Quelques représentants de ce côté descendirent de leurs bancs en faisant des gestes menaçants; des représentants appartenant à l'opinion contraire envabirent les couloirs et le pied de la tribune; ils encouragèrent le ministre de leurs applaudissements; alors il se fit un tumulte inexprimable, et pendant près d'un quart d'heure la séance fut suspendue.

Quand enfin le calme revint, le ministre déclara que les injures qu'on lui adressait n'atteignaient pas à la hauteur de ses dédains. Le mot n'était pas neuf, et il n'eut pas tout l'effet qu'on en attendait, mais M. Faucher fut plus heureux lorsqu'il dit que c'était en vain qu'on essaierait d'effrayer la majorité par des menaces, que la Législative, aussi bien que la Constituante, saurait braver les fauteurs d'insurrection. I montra tout ce qu'il y avait de dangereux pour la liberté dans le discours qui venait d'être prononcé, et il ajouta que si de pareilles provocations étaient souvent apportées à la tribune, le régime parlementaire deviendrait impossible.

La loi fut adoptée, le 19 juin, par 448 voix contre 214.

Le 21 juin, c'était encore après une discussion irritante que l'Assemblée votait la loi prorogeant pour un an l'autorisation accordée au gouvernement d'interdire les clubs et autres réunions politiques.

Pendant que ces pénibles débats agitaient la Chambre et l'empêchaient de se livrer à des études vraiment sérieuses, la commission de révision se trouvait, après la clôture de la discussion générale, en face de cinq propositions différentes.

1o Celle de M. Payer, qui demandait la révision dans le sens

d'une modification de détails et d'un développement du principe républicain;

2o Celle de M. Bouhier de l'Écluse qui voulait la nomination d'une Constituante chargée de ramener la France à ses lois fondamentales, d'affirmer, de déclarer ces lois qui, disait-il, sont éternelles et n'ont besoin que d'être constatées. M. Bouhier de l'Écluse demandait encore la nomination d'un Président provisoire le 2 mai 1852;

3° La proposition de M. Creton, qui avait pour but de faire convoquer une Assemblée de révision chargée de décider quelle serait la forme du gouvernement, et de rédiger une Constitution en conséquence de cette décision.

En voici le texte :

« Art. 1 L'Assemblée émet le vœu qu'à l'expiration de la législature une Assemblée Constituante soit convoquée à l'effet de procéder à la révision totale de la Constitution de 1848.

>> Art. 2. En émettant le vœu de révision totale, l'Assemblée Législative entend que les pouvoirs de l'Assemblée de révision soient illimités, et que cette Assemblée établira définitivement les bases du gouvernement et de l'administration du pays.

» En conséquence, l'Assemblée Nationale constituante sera d'abord appelée à statuer entre la république et la monarchie.

» Art. 3. Dans le cas où la république serait confirmée, l'Ass emblée décidera si le pouvoir législatif doit être délégué à deux Assemblées, et si le chef du pouvoir exécutif ne doit pas être élu par les deux Assemblées réunies.

» Art. 4. Dans le cas où la monarchie serait adoptée, l'Assemblée rédigera et promulguera une charte constitutionnelle dont l'observation devra être jurée par le chef de l'Etat à son avénement au trône.

>> L'Assemblée procédera, dans la plénitude des pouvoirs qui lui auront été délégués par le peuple français, à la désignation de la personne qui sera revê— tue du pouvoir monarchique pour le transmettre héréditairement. »>

4o La proposition de M. Larabit ainsi conçue :

« 1° Que l'Assemblée Législative émette le vœu d'une révision de l'article 45 de la Constitution en ce qui concerne la rééligibilité du Président de la République ;

» 2° Que cette révision ne soit pas déférée à une nouvelle Assemblée Constituante, mais à la souveraineté du peuple français appelé à voter pour l'élection du Président de la République ;

» 3° Qu'à cet effet une proclamation de l'Assemblée avertisse le peuple français qu'à lui seul appartient de dire s'il veut ou non réélire le même Président. »>

50 Enfin, la proposition de M. le duc de Broglie, patronée par la réunion des Pyramides.

La proposition de M. Creton fut rejetée par tous les membres, à l'exception de M. le général Cavaignac.

Les propositions de M. Larabit et de M. Bouhier de l'Écluse, furent accueillies par la question préalable comme inconstitutionnelles.

La proposition de M. Payer également écartée, restait la proposition de M. le duc de Broglie, signée par les 233. M. le duc de Broglie en abandonna la rédaction, et la transforma en une proposition pure et simple de révision totale, dont les considérants n'invoquaient plus le principe de la souveraineté nationale.

La rédaction nouvelle était ainsi conçue :

« L'Assemblée législative, vu l'art. 111 de la Constitution (1), « émet le vœu que la Constitution soit revisée en totalité, con>>formément audit article. >>

Neuf membres de la commission votèrent pour la proposition nouvelle. C'étaient: MM. le duc de Broglie, de Montalembert, Moulin, Dufour, de Tocqueville, Berryer, de Corcelles, de Melun (du Nord) et Odilon Barrot. Six votèrent contre. C'étaient MM. le général Cavaignac, Charràs, de Mornay, Jules Favre, Baze et Charamaule.

Un seul paragraphe additionnel fut proposé. M. Charamaule voulait qu'on ajoutât au texte de la proposition ces mots : « Pour l'amélioration et la consolidation de la république. Cet amende

(1) Voici le texte de cet article :

« Art. 111. Lorsque, dans la dernière année d'une législature, l'Assemblée nationale aura émis le vœu que la Constitution soit modifiée en tout ou en partie, il sera procédé à cette révision de la manière suivante :

» Le vœu exprimé par l'Assemblée ne sera converti en résolution définitive qu'après trois délibérations consécutives, prises chacune à un mois d'intervalle et aux trois quarts des suffrages exprimés. Le nombre des votants devra être de cinq cents au moins.

» L'Assemblée de révision ne sera nommée que pour trois mois.

» Elle ne devra s'occuper que de la révision pour laquelle elle aura été convoquée.

» Néanmoins elle pourra, en cas d'urgence, pourvoir aux nécessités législatives. >>

ment fut combattu par MM. Berryer et de Montalembert par cette raison qu'il n'appartenait pas à l'Assemblée de limiter en quoique ce fùt les pouvoirs de la Constituante. Mis au voix, l'amendement fut rejeté par 12 voix sur 15. Deux membres avaient seuls voté pour, MM. Charamaule et Jules Favre. M. le général Cavaignac s'était abstenu.

Restait à nommer un rapporteur : M. de Tocqueville fut désigné par 8 voix (25 juin).

Le Président de la République continuait à parler à la France du haut de ces tribunes improvisées que lui élevaient les fêtes de l'industrie. L'inauguration de la section de Tours à Poitiers (1er juillet) lui fournit une occasion nouvelle de se mettre en rapport avec les populations. La municipalité de la ville de Poitiers passait pour républicaine, et on disait que sur des ordres envoyés de Paris par les meneurs des sociétés secrètes, le ban et l'arrière-ban des démocrates allaient être convoqués sur toute la ligne du chemin de fer pour donner une leçon de républicanisme au chef de l'Etat républicain. La veille de la solennité, dans une proclamation inconvenante, le maire de la ville de Poitiers recommandait à la générosité de ses administrés l'hôte qu'ils allaient recevoir. On s'attendait à un scandale.

Le discours adressé par ce maire au Président exprima l'espoir que la légalité serait respectée par tout le monde et que les institutions républicaines sortiraient de la crise de 1852 saines, sauves et raffermies. Le Président, dont les paroles étaient attendues avec une curiosité pleine d'inquiétude et d'émotion, répondit avec une réserve et une mesure parfaites; rien dans son toast ne rappelait les allusions agressives du discours de Dijon. En voici le

texte :

« Monsieur le maire,

» Soyez mon interprète auprès de vos concitoyens pour les remercier de leur accueil si empressé et si cordial.

» Comme vous, j'envisage l'avenir du pays sans crainte, car son salut viendra toujours de la volonté du peuple, librement exprimée, religieusement acceptée. Aussi j'appelle de tous mes vœux le moment solennel où la voix puissante de la nation dominera toutes les oppositions et mettra d'accord toutes les rivalités; car il est bien triste de voir les révolutions ébranler la société, amonceler

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