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bannis; on n'y avait voulu voir que des mesures de précaution provisoire, n'atteignant en rien la capacité civique, à l'instar des jugements rendus contre les contumaces de juin 1848 ou de juin 1849. C'était là un ballon d'essai, destiné à éclairer la route, à frayer le chemin aux candidatures orléanistes.

Cependant, tous ces derniers efforts avaient épuisé l'Assemblée. Elle se prorogea du 10 août au 4 novembre. La commission de permanence, nommée aux termes de la Constitution, renfermait, outre les membres du bureau, les membres dont les noms suivent: MM. Didier, Changarnier, Dufougerais, Cavaignac, SauvaireBarthélemy, de Montigny, Berryer, Vitet, Poujoulat, de Melun (du Nord), Passy, Druet-Desvaux, d'Ollivier, Gouin, Bernardi, de Montebello, Bocher, de La Tourette, l'amiral Cécile, Rullière, Hubert-Delisle, Boinvilliers, de Kermarec, de Bar, Grouchy.

Les partisans de la révision ne désespéraient pas encore. Bientôt l'opinion publique allait trouver une occasion nouvelle de se manifester par la voix des conseils généraux. M. Odilon Barrot avait réuni, au moment du départ, un assez grand nombre de représentants dans la pensée commune d'employer le temps de la prorogation à seconder ce mouvement. Mais changeraient-ils les dispositions de l'Assemblée elle-même, convertiraient-ils ces représentants du pays qui marchaient au rebours du pays? Cela paraissait peu probable et les bons citoyens s'en désolaient, comme si le vote seul de la révision eût dû sauver la France!

Eh! quoi. La révision votée eût-elle résolu à l'instant toutes les questions pendantes, tranché d'un seul coup le nœud de la situation, rendu possibles ou faciles les solutions proposées par les organes de la presse, ou implicitement contenues dans les manifestations de l'opinion publique ? Non, sans doute; la révision décrétée, ce n'était pas le renversement de la république, la restauration d'une monarchie quelconque. Mais peut-être l'Assemblée y eût-elle gagné d'échapper aux accusations que le pays lançait contre elle dans son malaise. Dans sa douleur, dans ses craintes, le pays accusait, de tous ses maux, celui des deux pouvoirs de l'État qui s'arrogeait dans la Constitution l'autorité souveraine. Peut-être, si la majorité de l'Assemblée nationale eût signalé le mal dans son principe, peut-être n'eût-on plus accusé

de toutes parts que la Constitution. Ce jour-là, il n'y aurait en ni vainqueurs ni vaincus, les partis seraient restés en présence, avec leurs prétentions diverses; mais, au moins, beaucoup aurajent su à qui s'en prendre, et eussent espéré, de la révision, un avenir meilleur.

Au lieu de cela, l'Assemblée s'était montrée impuissante. Elle rentrait dans l'ombre par une prorogation qui ressemblait à une démission collective, et la France se retrouvait devant une pensée énergique, calme, suivie, comprise depuis longtemps par les instincts populaires, et qui leur montrait une chance de salut.

Ainsi s'opérait lentement et d'une manière continue, la séparation du pays et du Parlement. Un des plus vieux soldats, un des plus expérimentés combattants des armées parlementaires, M. Barrot, avait signalé à la Chambre ce mouvement insensible. qui entraînait la nation et ses représentants dans deux courants opposés « Il ne faut pas, disait-il, juger de l'état du pays par nos propres débats; il ne faut pas supposer que la même fièvre politique agite les populations. » Et l'honorable représentant ajoutait, avec un sens profond de l'opinion publique : « C'est une suite inévitable de la permanence qu'à votre insu, malgré tous, vivant dans cette atmosphère des passions politiques, toujours avec les mêmes préoccupations, les mêmes tendances, vos appréciations ne soient plus les mêmes que si vous vous retrempiez pendant un temps plus ou moins prolongé dans la vie commune, dans vos rapports avec vos commettants, dans les habitudes professionnelles, dans cette masse dont vous êtes sortis. Vous cheminez trois ans sous cette influence, pendant que les masses qui vivent, elles, de la vie commune, qui ne font pas de la politique leur préoccupation exclusive et continuelle, qui se retrempent dans leurs travaux, dans les diversions de la famille, dans les communications d'homme à homme, ces masses restent calmes, froides, et conservent leur appréciation des situations et des actes. »

M, Odillon Barrot touchait là, avec une grande justesse, un des vices si nombreux de cette Constitution, que la Chambre s'obstinait à conserver.

Mais, enfin, la solution désirée paraissait devenue impossible.

La société, qui n'abdique pas, allait chercher à simplifier le problème. Puisqu'on était acculé à une éventualité fatale, puisqu'on avait à jouer contre l'anarchie, en 1852, une grande et décisive partie, toute la question était de savoir s'il y avait plus de chances de la gagner à la jouer seul, qu'à la jouer à deux. La révision votée, on eût été deux à lutter; or, en pareil combat, la victoire est à l'unité d'action.

L'Assemblée avait été impuissante à voter la révision. Elle abdiquait donc, pour 1852, entre les mains du Président de la République.

Lorsque se rouvriront les portes de l'Assemblée nationale, la crise politique sera près de son terme. Les événements se précipiteront et les passions ne laisseront aucune place aux affaires. Nous pouvons donc, dès à présent, considérer la session comme terminée, et en signaler les principaux résultats législatifs, économiques et financiers.

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CHAPITRE VII.

ASSISTANCE, MORALISATION.

Questions sociales, éveil donné par la révolution de février, tendances de l'Assemblée nationale, optimistes et pessimistes; bilan des travaux en ce genre. Enquête sur le travail agricole et industriel, avortement; demande d'une enquête supplémentaire, déclamations, M. Madier de Montjau et M. Mortimer Ternaux, l'association de Clichy, M. Nadaud et M. Loyer, le salariat et le capital, M. Boysset, la misère à Lille, exagérations fâcheuses ; le supplément d'enquête repoussé. – M. Crestin, refonte de la législation, la société calomniée.-Bains et lavoirs publics, scrupules des conservateurs, MM. Raudot et de Vatimesnil, vote de la loi. - Création d'un conseil supérieur de l'assistance, rapport de M. Dufaure, rapport de M. de Melun, énumération des travaux en ce genre, le conseil supérieur de l'assistance approuvé ; la charité. Contrat d'apprentissage, proposition Peupin, lacunes de la législation, projet du gouvernement, vote; situation des domestiques ou gens à gages, art. 1781 du code civil, M. Nadaud en demande la suppression, proposition Heurtier et Riché, rapport de M. Chegaray, prise en considération, discussion peu sérieuse, l'art. 1781 maintenu.- Monts de piété, réduction de l'intérêt, projet du gouvernement, contre-projets de la Montagne, suppression des commissionnaires, l'Assemblée se déjuge, vote de la loi. Hospices et hôpitaux, histoire de la charité publique; projet de loi réglementant l'admission dans les hôpitaux et hospices et l'administration de ces établisse ments; renvoi à la commission, ajournement Caisse des retraites, utili

té de cette institution. Assistance judiciaire, troisième délibération, vote. Réforme pénitentiaire, mission de M. Perrot, proposition de MM. Boinvilliers et Dupetit-Thouars, les colonies pénitentiaires. Bibliothèque des prisons, M. Carlier, heureux effet de cette institution. Police des cafés et cabarets, proposition Vaudoré-Pidoux, prise en considération. Bourse des travailleurs, repoussée. Taxe des théâtres, le droit des pauvres.- Falsification des subsistances alimentaires. Sapeurs-pompiers, vote définitif de la proposition Antony Thouret.

la charité privée.

-

La charité publique et

Parmi les travaux entrepris en commun par le gouvernement et par l'Assemblée nationale, nous choisirons d'abord, pour les

réunir en un seul faisceau, tous ceux qui ont eu pour objet la guérison des plaies sociales. Assistance, moralisation, protection et direction des classes souffrantes, tel est le vaste champ ouvert désormais à la plus utile, à la plus noble des enquêtes. On comprendra qu'en dehors des questions purement politiques, nous donnions la première place aux questions de ce genre.

Un excellent résultat de la dernière commotion sociale, qui en a eu tant de funestes, c'est d'avoir placé irrévocablement au premier rang des obligations de l'État la recherche incessante des moyens d'améliorer la situation morale et matérielle des populations déshéritées. Disons, à l'honneur de l'Assemblée dont nous retraçons l'histoire, qu'elle aura accompli sa tâche, sinon avec une intelligence parfaite des nécessités sociales, au moins avec un zèle incontestable. Il faut pourtant reconnaître ici encore la déplorable influence des passions politiques d'un côté, une défiance justifiée, mais peut-être excessive, des innovations; de l'autre, une vue souvent trop absolue, l'oubli systématique des conditions et des nécessités humaines, et une témérité dangereuse dans le choix des moyens.

Chez les uns, la recherche, sans doute très-sincère, des moyens d'améliorer le sort des classes souffrantes, se présentait, le plus souvent, avec un fâcheux commentaire d'invectives et d'accusations passionnées. C'était toujours ce reproche banal adressé à des adversaires politiques de voir avec indifférence les douleurs du peuple. C'était toujours cette prétention singulière au monopole du progrès. Si l'on avait trouvé un remède efficace aux misères, si l'on possédait des moyens pratiques de rendre meilleure la situation des travailleurs, qu'avait-on besoin de suspecter les intentions d'autrui? Il n'y avait, sans doute, rien de mieux à faire que de présenter un système arrêté, praticable, supérieur à tous les autres. Au lieu de cela, on n'apportait que la violence et l'emphase, moyens malheureux pour dissimuler l'indigence des idées.

Il est sans doute facile de se poser comme les défenseurs exclusifs de ceux qui souffrent, de montrer sans cesse leurs plaies, de les sonder d'une main imprudente, au risque de les envenimer inutilement, alors que l'on n'indique aucun moyen de les

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