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qui désolent la société, et que le seul moyen de stimuler la générosité des particuliers était de respecter les fondations particulières. En conséquence, il laissa les hospices sous un régime qui se rapprochait de l'ancien état de choses.

Cependant la loi de l'an II ne périt pas tout entière. Son esprit resta dans la tradition administrative et servit à combattre les tendances à une charité trop étroite et trop exclusive, qui se manifestaient dans certaines fondations. En effet, beaucoup de ces fondations avaient leurs lois et leurs coutumes, lois rigoureuses qui laissaient expirer le malade à la porte de l'hôpital, parce qu'il ne se trouvait pas, par exemple, dans telle condition de domicile.

Il y avait sur ce point quelque chose à faire. On pouvait aussi chercher à modifier les conseils des hôpitaux et des hospices, dont les membres étaient nommés par l'autorité administrative.

Ces réformes, le projet de loi essayait de les réaliser. Il était divisé en deux titres; le premier ayant pour objet les conditions d'admission dans les hospices et dans les hôpitaux, le second ayant trait à l'administration de ces établissements.

En ce qui touche l'admission dans les hôpitaux, la commission avait pensé qu'il n'y avait lieu d'exiger aucune condition de domicile. Toutes les fois qu'un individu privé de ressources tomberait malade dans une commune, il aurait droit d'entrer dans l'hôpital existant dans cette commune.

Mais quant aux hospices, comme ces établissements ne sont pas, ainsi que les hôpitaux, destinés aux maladies qui réclament un secours immédiat, le projet de loi exigeait un domicile de cinq ans. La commission avait pensé que si l'on n'exigeait aucune condition de domicile, les villes qui ont des établissements de refuge les verraient envahis par des individus étrangers à la localité, qui dévoreraient bientôt les ressources nécessairement bornées des hospices.

En résumé, la commission n'avait pas prétendu apporter à nos institutions hospitalières des modifications bien profondes. Mais elle déclarait que ces modifications étaient les seules qui lui eussent paru praticables. Elle n'avait touché à aucune des bases des institutions hospitalières. Les unes sont pauvres, les autres ont

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de riches dotations; sur les 53 millions 500,000 francs de revenu que possèdent les 1,538 hôpitaux et hospices qu'il y a en France, plus de 38 millions sont perçus par 80 administrations hospitalières, tandis que 669 ne reçoivent pas 3 millions. Ce sont là certes de graves inégalités. Ce ne sont pourtant pas les seules 23 chefs-lieux d'arrondissement sont complétement dépourvus d'hôpitaux et d'hospices, et 824 cantons sur toute la France en possèdent. La commission reconnaissait et proclamait son impuissance en présence de ces inégalités, qu'explique dans une certaine mesure l'inégalité des besoins. Il n'y avait que les dictateurs peu scrupuleux de la Convention qui eussent pu se croire le droit de disposer des biens d'une fondation particulière. La société moderne pratique un autre moyen de secourir les hospices les plus pauvres : c'est d'abord la subvention des communes, ensuite la charité particulière.

La commission s'était proposé un double objet rendre l'accès de l'hôpital plus facile, modifier l'administration dans son personnel et dans son action.

Aujourd'hui le malade ne pouvait être admis à l'hôpital que s'il était domicilié dans la commune. Dans certaines villes, on exigeait un domicile spécial défini par la loi; dans d'autres, il fallait être inscrit sur les registres d'indigence. Le nouveau projet, on l'a vu, supprimait la condition du domicile, et disposait que lorsqu'un individu privé de ressources tomberait malade dans une commune, aucune condition de ce genre ne pourrait être exigée pour son admission à l'hôpital, sauf le recours, s'il y avait lieu, de l'administration des hospices contre la famille du malade. Un des vices de la législation, ou, plus exactement, de la pratique en vigueur, était celui-ci, selon la commission : Les habitants de la campagne, disait le rapporteur, sont privés de la plupart des ressources charitables qui sont à l'usage des habitants des villes, et notamment ils sont privés d'hôpitaux. Le projet leur en ouvrait l'accès; il chargeait le conseil général de désigner l'hôpital où pourraient être admis tous les malades indigents des campagnes d'une circonscription; les communes paieraient pour chaque malade un prix de journée réglé d'avance, le département viendrait au secours des communes trop pauvres

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pour supporter cette charge. En ce qui concernait les vieillards et les infirmes, la loi renvoyait à un règlement d'administration publique le soin de régler les conditions de leur admission dans les hospices.

La seconde partie du projet était relative à l'administration des hospices. Aujourd'hui ils étaient régis par des commissions nommées par les préfets, ou plutôt par des commissions permanentes, car ces commissions présentaient elles-mêmes la liste des candidats parmi lesquels le préfet devait choisir le membre qui remplacerait celui dont le sort déciderait la retraite, et qui pourrait toujours être réélu. Le projet faisait concourir à la composition des commissions administratives l'élection et le choix de l'administration supérieure, dans une proposition que l'Asseinblée se refusa à admettre (7 avril). 、

La réforme opérée dans les conseils d'administration, consistait à faire entrer dans ces conseils les pasteurs des cultes légalement reconnus, un membre du conseil général, et deux membres choisis par le conseil municipal.

A côté de ce projet de la commission se présentaient de nombreux amendements liés entre eux, et qui formaient presque des contre-projets. M. Maigne avait déposé un amendement qui avait pour but de fonder autant d'hôpitaux qu'il y a de cantons en France. Il ne s'agissait de rien moins que de 2,200 établissements de charité à créer. Pour parer aux dépenses considérables que nécessitait ce projet, M. Maigne proposait de prélever dix millions sur le traitement des fonctionnaires publics. Son amendement fut repoussé.

Un autre membre de la gauche, M. Delbecque présenta une série d'amendements, ayant pour objet de rapprocher le projet de loi de la législation de l'an II. L'article 1er du projet n'exigeait aucune condition de domicile; mais il voulait que celui qui se présente à l'hôpital fùt tombé malade dans la commune même où se trouve cet hôpital. M. Delbecque eût désiré que tout malade sans ressources fût secouru dans son domicile de fait ou dans l'hospice le plus voisin.

M. de Melun, rapporteur de la commission, combattit cet amendement. Il fit observer avec beaucoup de raison que le projet

avait prévu le cas où une commune serait privée d'établissements hospitaliers; que dans ce cas, les malades ou incurables indigents pourraient être admis dans les hospices et les hôpitaux du département. Le projet indiquait la marche à suivre et dans quelle mesure les communes devraient supporter la dépense occasionnée par le malade. Si le système de M. Delbecque était adopté, on substituerait aux précautions sagement prises par le projet de loi le régime de l'arbitraire et de la faveur. L'article premier fut adopté.

L'art. 2 de la loi concernait les hospices destinés aux vieillards et aux infirmes. Cet article exigeait un domicile de cinq ans dans la commune. M. Mortimer Ternaux fit observer qu'il n'était pas nécessaire de fixer un espace de temps; il est certaines maisons de refuge qui sont assez riches et assez vastes pour ne pas craindre d'être encombrées, alors même que tous ceux qui demandent à y être admis n'auraient pas résidé cinq ans dans la commune. Après quelques explications échangées entre le rapporteur, M. Mortimer Ternaux et M. de Montalembert, l'art. 2 fut renvoyé à la commission. Les autres articles du titre 1er furent votés sans difficulté.

L'art. 6 du projet réglait le personnel qui doit faire partie du conseil d'administration près les hospices ou hôpitaux. Ce conseil se compose du maire de la commune, président, du curé de la paroisse, d'un pasteur protestant, partout où il existe un consistoire, de deux membres choisis par le préfet, de deux membres choisis par le Conseil municipal, d'un membre du Conseil général, et d'un membre du bureau de bienfaisance. Cet article du projet rencontra deux adversaires: M. Delbecque et M. le ministre de l'intérieur.

M. Delbeeque voulait que le conseil fùt entièrement soustrait à l'influence de l'autorité administrative; en conséquence, il demandait que tous les membres fussent nommés par le conseil municipal. M. le ministre de l'intérieur, au contraire, demandait que le conseil municipal fût étranger à ces nominations, et qu'elles fussent confiées au préfet. M. le ministre rappela les services rendus par les conseils tels qu'ils sont actuellement composés. «Prenez garde, dit-il, de désorganiser un service qui

jusqu'à présent n'a soulevé aucune plainte : c'est toujours une faute d'augmenter le personnel des commissions. Les commissions les moins nombreuses sont toujours les meilleures. La présence d'un membre du conseil général et celle d'un membre du bureau de bienfaisance sont au moins inutiles. >>

M. le ministre craignait en outre que les membres nommés par le conseil municipal, qui est un corps délibérant et non un corps administratif, n'apportassent dans la commission des hospices des passions politiques, qui ne doivent jamais s'introduire dans une semblable réunion. En résumé, M. le ministre demandait le maintien de l'ancien personnel, et il n'admettait que l'adjonction des pasteurs des cultes reconnus par l'Etat.

Après quelques observations de M. de Melun, l'amendement de M. Delbecque fut mis aux voix, et rejeté par 400 voix contre 204.

M. Schoelcher demanda vainement que la loi interdît aux commissions des hospices, la faculté de renvoyer le convalescent lorsqu'il n'est pas encore en état de reprendre ses travaux. Cette dénonciation fut considérée comme calomnieuse, et cependant le fait n'est malheureusement que trop vrai.

La discussion se reprit encore à l'article 6 et au personnel de la commission administrative. Le système de M. Delbecque écarté, un autre système tout contraire fut présenté par M. Vaïsse, au nom du gouvernement; il consistait à faire prédominer dans le conseil l'élément administratif. La commission consentit à l'élimination du membre du conseil général et du membre élu par les maires des communes dont les indigents sont admissibles dans les hospices, aux termes de l'article 3. Elle acceptait en outre les amendements de M. Barthélemy St-Hilaire qui, aux ministres des cultes chrétiens, réclamait l'adjonction d'un ministre israélite, partout où il existe un consistoire.

Cette organisation parut à M. Dufaure radicalement mauvaise. En premier lieu, dit-il, elle établit une règle uniforme pour des établissements qui diffèrent entre eux par leur constitution, par leur importance, le nombre des individus qu'ils reçoivent, le chiffre des revenus dont ils disposent. D'autre part, elle substitue à une administration permanente, durable, ayant pour elle la

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