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Un autre chiffre qui indique la situation du commerce, c'est le produit de l'octroi. Ses revenus, qui étaient en 1847 et pendant les années antérieures, d'environ 34 millions, s'étaient abaissés, en 1848, à 26,519,000 fr.; ils se sont élevés, en 1851, à 37,279,000 fr. Dans cette somme, il est vrai, se trouve comprise celle de 2 millions environ résultant des taxes établies en 1848 et des produits du second décime; mais il n'en faut pas moins constater la reprise d'un mouvement ascensionnel très-sensible. La consommation de la viande s'est sensiblement accrue à Paris. Il y a été consommé, année moyenne, par chaque habitant, en viande de boucherie et de porc pendant l'année 1849, 59 kilogrammes 33 hectogrammes; en 1850, 64 kilogrammes 43 hectogrammes; en 1851, 68 kilogrammes 10 hectogrammes. La vente à la criée est une des mesures auxquelles est due cette heureuse amélioration.

Production agricole. Au milieu d'incontestables progrès, la situation de notre agriculture révèle aussi un mal caché dont les causes diverses peuvent être trouvées, soit dans les agitations politiques qui alarment les intérêts, soit dans la constitution économique et financière du pays. Au commencement de l'année, l'abondance inaccoutumée de quatre récoltes successives occasionnait une dépression progressive du prix des blés. La moyenne générale du prix de l'hectolitre de froment pour tout le territoire, qui dépassait encore 14 fr. au 31 décembre 1850, était descendue à 13 fr. 78 c. au 31 janvier. Comparé aux moyennes générales annuelles de toutes les années écoulées depuis 1797, le prix de 13 fr. 78 c. leur était de beaucoup inférieur, sans en excepter la moyenne de 1809 (14 fr. 86 c.) qui était la limite la plus basse des cinquante-trois dernières années. Malheureusement, cet avilissement même n'assurait plus aujourd'hui l'écculement des blés.

Les céréales ainsi descendues à 25 pour cent au-dessous de leur prix de revient, la production de la viande se trouvait gravement compromise. Car, toute l'agriculture de la France étant en souffrance par la complète annulation du commerce des grains, les agriculteurs se voyaient obligés de vendre leurs moutons, leurs veaux, leurs vaches, leurs bœufs, pour avoir de l'argent, afin de

payer leurs impôts et leurs frais de culture; ils préféraient vendre leur bétail plutôt que leurs grains, connaissant exactement la perte qu'ils auraient à supporter sur ce dernier produit, en cas de vente.

Cette situation anormale avait amené ce singulier résultat : une marchandise rare, de moitié insuffisante pour les besoins de l'agriculture et de la boucherie, offerte cependant et vendue à vil prix.

Quoi qu'il en soit de cette situation transitoire, le plus remarquable peut-être des progrès obtenus depuis cinquante ans, c'est l'accroissement des produits alimentaires qui permet de nourrir plus substantiellement sur la même surface de terre arable, une population qui s'est élevée de 25 millions à 36 millions d'hommes. C'est une véritable et pacifique augmentation de territoire. En effet, au témoignage de Vauban, du marquis de Mirabeau, de Lavoisier, la production moyenne du blé, en 1700, en 1750, en 1790, n'était que de 8 hectolitres par hectare; elle ne s'est élevée à 13 hectolitres, en 1840, qu'à la suite du grand mouvement de 1789, et de toutes les réformes qui en ont été la conséquence. Le salaire annuel des ouvriers de la campagne, estimé par Vauban à 200 fr. Let par Chaptal à 375 fr. sous l'empire, dépasse la moyenne de 450 fr. au milieu de ce siècle. Le nombre des bestiaux, toujours difficile à évaluer, particulièrement pour le passé, s'est accru dans des proportions analogues, et le recensement que le gouvernement ordonna cette année, démontrerait sans doute que la richesse rurale n'est pas restée stationnaire sous ce rapport, grâce à l'extension chaque jour croissante des prairies artificielles et des irrigations. La culture française dispose en ce moment de plus de 900,000 hectares plantés en pommes de terre, de 500,000 hectares produisant les légumes secs, et de près de 400,000 hectares de jardins potagers, richesses presque entièrement inconnues à nos pères.

Quels que soient cependant les progrès réalisés, voici, comme signe trop caractéristique de la condition de nos populations rurales, un fait capital qui semble dominer tous les autres : c'est le chiffre du nombre des bâtiments d'habitation, officiellement constaté en 1835. Ce chiffre indique 346.401 maisons des

champs à une seule ouverture; 1,817,328 à deux ouvertures; 1,320,937 à trois ouvertures seulement ! Ainsi, plus de trois millions de logements dans des villages, où ne saurait manquer l'espace, forcément restreint dans les villes, sont privés d'air et de lumière pour échapper à la taxe des portes et fenêtres ! C'est là pourtant que vivent, d'une vie trop souvent commune avec les bestiaux qui les nourrissent, plusieurs millions d'hommes, ceuxlà mêmes dont les modestes cotes foncières composent la plus sûre partie du revenu national. Si, comme l'expérience ne le prouve que trop dans les villes, la meilleure mesure du degré d'aisance des citoyens, c'est l'état plus ou moins habitable de leur domicile, on peut juger par ce simple fait de la condition encore trop arriérée des populations rurales de la France.

Sucres. On sait les difficultés que renferme la question des sucres on connaît son importance pour les intérêts les plus considérables du pays. Elle touche à notre agriculture, à notre commerce extérieur, à notre navigation marchande, à nos colonies. Elle met en présence les deux systèmes extrêmes qui divisent les économistes le régime protecteur et le libre

échange.

L'Assemblée adopta, le 13 juin, après des discussions interminables et trop souvent confuses, une loi établissant une tarification et une classification nouvelles, ainsi qu'un régime nouveau pour les raffineries. Peut-être était-ce ici l'occasion de faire u pas dans la voie de la vie à bon marché, surtout quand un sys tème relativement libéral était proposé par une commission composée d'hommes certainement prudents et soigneux en général, de sauvegarder les intérêts du trésor. Dans les discussions qui précédèrent le vote, M. Dumas défendit la pensée d'un dégrèvement hardi, considérable, avec une vivacité et des ressources de parole qui parurent un moment avoir ébranlé l'Assemblée, mais qui furent insuffisantes pour remporter la victoire. La question du dégrèvement, seule, remplit trois séances, et o n'en saurait être surpris, si on considère les importantes considérations qui s'y rattachent, si on se rappelle que c'est, en définitive, un des principes essentiels sur lesquels se fonde la révolution économique, accomplie il y a quelques années en

Angleterre par l'initiative hardie de sir Robert Peel, et qui a placé ce ministre au premier rang des hommes d'État de la Grande-Bretagne.

MM. Corne et Lestiboudois défendirent un amendement de M. Beaumont (de la Somme), tendant à maintenir le système de tarification fondé sur les types aujourd'hui en vigueur, en élevant le nombre des types à quatre. Le ministre du commerce s'attacha à montrer la supériorité de la tarification d'après la richesse constatée par la saccharimétrie, et il répéta qu'il considérait, quant à lui, le saccharimètre comme un procédé très-exact et bien supérieur, dans tous les cas, au mode actuel de taxation. M. Benoist d'Azy, qui avait présenté un amendement modifiant toutes les dispositions du projet, et notamment le système de la tarification d'après la richesse du sucre brut, auquel il voulait substituer une taxation combinée d'après la richesse et d'après le rendement en sucre raffiné, s'attacha à justifier cette partie de son amendement. Enfin, M. Dumas défendit le même principe de taxation, qu'il avait au surplus, étant ministre, inséré au projet de loi.

Il y eut un point admis par tout le monde, c'est que le système actuel de taxation ne pouvait être maintenu. Chacun reconnaissait ce qu'il y avait d'abusif et de criant dans un système qui assujettissait au même droit du sucre à 97 degrés de pur, et du sucre à 87 ou 88 degrés; chacun savait, en outre, que ce système était contraire à l'égalité, et particulièrement préjudiciable aux colonies, puisque celles-ci produisent du sucre à plus bas titre que la sucrerie indigène, qui emploie des procédés plus perfectionnés. La plupart des amendements qui se référaient à celle partie de la loi débutaient par cette déclaration, que les droits seraient perçus en proportion du sucre pur, etc. Mais les uns, en maintenant le système des types, se bornaient, comme celuide M. de Beaumont, à prescrire l'établissement de quatre types seulement; tel autre, comme celui de M. Benoist d'Azy, sans s'expliquer sur le mode d'appréciation de la richesse saccharine, et en laissant à un décret présidentiel le soin de décider si ce mode d'appréciation serait le saccharimètre ou tout autre procédé, appliquait un droit gradué d'après une échelle qui descendait de

100 degrés jusqu'à 50; droit qui était, au reste, combiné d'après la richesse et le rendement présumé.

le

Le système en vigueur avait, selon quelques-uns, deux vices essentiels il fixait le type normal trop haut, et faisait ainsi peser sur tous les sucres de qualité inférieure un impôt disproportionné. En ne reconnaissant que deux types seulement au lieu d'un plus grand nombre, et en frappant du dixième du droit en sus le type supérieur, il laissait un écart trop considérable entre l'un et l'autre, et il était souvent nuisible au contribuable premier vice, c'était donc le défaut de concordance de la base de l'impôt avec la chose imposée. Le second vice, c'était l'inexactitude du mode d'appréciation des sucres par rapport aux types; il en résultait un arbitraire nécessaire qui laissait la porte ouverte aux discussions et aux plaintes des contribuables, qui pouvaient toujours se croire lésés.

Ces deux vices avaient-ils disparu dans les divers amendements qu'on proposait? Evidemment non, en ce qui concernait l'amendement de M. de Beaumont, qui n'admettait que quatre types, tandis que la richesse des sucres journellement mis dans le commerce, varie de 86 à 96 ou 97. Le gouvernement néerlandais, ainsi que le rappelait M. Benoist d'Azy, avait récemment, dans sa colonie de Java, vingt types, qu'il avait réduits à quatorze. Cela se rapprochait de la tarification d'après la richesse; c'était là de la saccharimétrie rudimentaire et sans l'application des méthodes que la science avait récemment inventées. Si l'on se méfiait de ces méthodes et qu'on ne voulût pas les appliquer à la perception de l'impôt, le mieux serait encore de suivre l'exemple de la Néerlande, et d'adopter autant de types, c'est-àdire autant de droits gradués qu'il y a, en réalité, de degrés différents de richesse des sucres. Mais c'est alors que l'on verrait les inconvénients de la classification par la couleur. L'avantage de la saccharimétrie n'est pas seulement, disait-on, d'offrir un mode d'appréciation très-sûr, de donner, à un centième près, le degré de richesse du sucre soumis à l'expérience, selon les deux rapports approuvés par la Société d'encouragement et par l'Académie des Sciences, c'est encore de fermer la porte aux contestations, de donner aux contribuables cette garantie que ce

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