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ne sera pas la décision arbitraire d'un agent de la douane qui le taxera, mais un appareil exact et identique pour tout le monde.

Le 2 avril, à la suite d'une série d'observations présentées avec force par M. Buffet, et réfutées savamment par M. Dumas, l'Assemblée adopta le système de la tarification d'après la richesse et le rendement. Mais ce n'était là qu'un principe, et la difficulté commençait au moment où il s'agissait d'en régler l'application.

Cette difficulté, le lendemain même, on put s'en rendre compte, et le rapporteur, M. Beugnot, demanda l'ajournement de la discussion. La commission s'occupa donc de conformer l'ensemble de la loi au nouveau principe de la tarification d'après la richesse absolue des sucres bruts et leur rendement en sucres cristallisables. Les nouvelles résolutions de la commission furent soumises à l'Assemblée le 28 avril.

La tarification d'après la richesse absolue reposait sur une idée simple, puisque la constatation exacte de la richesse est facile ; mais le rendement n'est pas proportionnel à la richesse, et il décroît au contraire dans une proportion plus forte que celle-ci. Voilà pourquoi l'Assemblée avait voulu que dans la base des droits à établir, il fût tenu compte à la fois de la richesse et du rendement. Ce système, tout le monde l'avouait, est le plus juste; si la commission l'avait écarté, c'est parce qu'elle le trouvait d'une exécution impossible. En effet, il est aisé de connaître la richesse d'un sucre brut, il ne l'est pas du tout d'apprécier par avance le rendement de ce sucre au raffinage; le premier fait est certain, permanent, absolu; le second est incertain et variable à l'infini, suivant une foule de causes et de circonstances. A défaut d'une loi de rendement, impossible à établir sur une base rigoureusement exacte, la commission avait adopté celle que la pratique la plus générale doit faire regarder comme la plus voisine de l'exactitude. Or, cette règle serait celle-ci : Quand la richesse du sucre brut varie d'un degré, ce même sucre au raffinage varie de deux. Ainsi, du sucre brut à 95 ponr cent de pur donne ordinairement au raffinage 90, du sucre à 94 pour cent donnera 88, du sucre à 93 pour cent donnera 86, etc.; de même, en remontant l'échelle, du sucre à 96 pour cent de pur donnera 92, du

sucre à 97 pour cent donnera 94, etc. Le droit normal étant de 45 fr. pour du sucre à 95 pour cent de pur, qui donne 90 au rendement, le droit monte ou s'abaisse de 1 fr. par degré de sucre pur ou par deux degrés de sucre cristallisable.

Telle était la base adoptée par la commission. Cette base ne fut attaquée par personne; voici seulement où était le point litigieux. La règle admise pour le rendement paraissait un peu hypothétique. Le gouvernement, dans l'intérêt du trésor, et les représentants de la sucrerie indigène, dans l'intérêt de cette industrie, demandaient que, tout en adoptant les bases de la tarification proposées par la commission, on soumît les raffineries à l'exercice. La commission repoussait cette proposition; M. Beugnot, son rapporteur, et M. Benoist d'Azy l'avaient combattue; elle trouva dans le ministre du commerce un défenseur habile (28 avril.)

Le lendemain, l'Assemblée prit la décision regrettable que lui avait inspirée le gouvernement. Les raffineries seraient donc soumises à l'exercice. Or, on sait quelle est sur les industries l'influence déplorable de ces formalités tyranniques.

En résumé, la loi du 13 juin établissait la tarification des sucres d'après la double base de leur richesse et de leur rendement au raffinage. Les raffineries étaient soumises à l'exercice, afin que l'impôt pût atteindre les excédants qui seraient constatés sur le rendement légal. Aux termes de la loi, la classification des sucres non raffinés continuerait d'avoir lieu au moyen de types. Des deux types actuels, un seul (le premier type) était maintenu. Mais il devait y être ajouté un sous-type correspondant à la qualité des sucres coloniaux, qui est connue sous le nom de bonne quatrième. La loi supprimait aussi la distinction qui existait, pour les sucres étrangers, entre les sucres terrés et les sucres bruts. Quelle que fût la provenance des sucres, et de quelque manière qu'ils eussent été fabriqués, la taxe dont ils seraient passibles serait déterminée par leur nuance. Ils formeraient, pour l'application de l'impôt, trois classes comprenant la première, les sucres de nuance supérieure au premier type actuel ; la seconde, les sucres de nuance égale, au plus, au premier type et supérieure au sous-type; la troisième, les sucres de nuance égale ou inférieure au sous-type.

Dans ce système de tarification, le droit normal de la première classe était de 47 fr. 50 cent. par 100 kilogr. pour le sucre indigène, de 42 fr. 50 cent. pour le sucre des colonies, et de 58 fr. pour le sucre étranger. Pour la deuxième classe, le droit était réduit de 3 fr. par 100 kilog. Une seconde réduction de 3 fr. par 100 kilog. était opérée sur la troisième classe. Enfin, d'après les dispositions combinées des art. 9 et 15 de la nouvelle loi, les taxes différentielles, applicables en raison des provenances, étaient de quotité fixe pour chaque classe. Les sucres des colonies françaises, au delà du cap de Bonne-Espérance, seraient admis à un droit inférieur de 3 fr. par 100 kilogr. à celui qui portait sur les sucres des colonies d'Amérique. Le droit normal des sucres étrangers était abaissé de 5 fr. par 100 kilogr. pour les sucres de la Chine, de la Cochinchine, de Siam et des Philippines, et de 3 fr. pour les sucres des autres contrées de l'Inde. Il était, au contraire, augmenté de 10 fr. par 100 kilogr. pour les sucres venant des entrepôts par navires français, et de 15 fr. par 100 kilogr. pour les importations effectuées par navires étrangers, sans distinction de provenance.

L'art. 15 de la nouvelle loi réglait aussi le régime des sucres raffinés aux colonies. Ces sucres acquitteraient, comme ceux qui seraient raffinés dans les fabriques de sucre indigène, un droit supérieur de 10 pour cent à celui des sucres au-dessus du premier type. La prohibition générale dont la loi du 28 avril 1816 frappait l'importation des sucres raffinés, ne subsisterait, par consé'quent, qu'à l'égard des sucres raffinés à l'étranger.

Un nouveau système de primes était substitué, par l'art. 10 de la loi, aux drawbacks dont jouissaient jusqu'alors les sucres réexportés après raflinage. Mais ce nouveau régime ne serait appliqué qu'à l'époque de la mise en vigueur de l'ensemble de la loi. Rien n'était changé provisoirement aux rendements d'après lesquels les taxes d'entrée étaient actuellement restituées. Ils restaient fixés à 70 pour cent pour les sucres mélis ou quatre-cassons entièrement épurés et blanchis, ainsi que pour les sucres candis secs et transparents, et à 73 p. 010 pour les sucres lumps ou tapés, de nuance blanche.

Les conditions établies par la loi du 3 juillet 1840, pour l'ad

mission des sucres au drawback, se trouvaient aussi provisoirement maintenues. Cette admission continuerait de n'avoir lieu que sur la production de quittances ayant au plus quatre mois de date au jour de la déclaration, et se rapportant à des sucres arrivés directement des pays hors d'Europe par navires français. Ainsi que cela était de règle aujourd'hui, celles de ces quittances qui seraient relatives aux anciens droits ne seraient valables qu'autant qu'elles auraient été délivrées pour des sucres de nos colonies au premier type, ou pour des sucres étrangers bruts autres que blancs, ou terrés bruns dits moscouades. A l'égard des sucres soumis aux nouveaux droits, la loi du 13 juin ayant supprimé la distinction précédemment établie, pour les sucres étrangers, entre les sucres bruts et les sucres terrés, on serait autorisé à admettre, pour toutes les provenances, les quittances concernant les sucres de nuance égale, au plus, à celle du premier type, c'est-à-dire les sucres rentrant soit dans la classe de ce type, soit dans celle du sous-type.

On verra dans l'Annuaire pour 1852 quelles difficultés la pratique devait opposer à l'application de la loi nouvelle.

Choisissons, maintenant, parmi les projets ou propositions discutés ou votés, les plus importants 'au triple point de vue du commerce, de l'industrie et de l'agriculture.

Et d'abord, ici comme en politique, déblayons le terrain des propositions radicales inspirées par l'esprit de système.

Octrois. Une proposition de MM. Joret et Soubiès, relative à l'abolition des octrois, et une autre de M. Sauteyra, tendant au remplacement des octrois, centimes additionnels et taxes municipales, par un impôt sur le capital, se présentèrent devant la Chambre, le 4 février.

La pensée qui avait inspiré M. Joret était sans doute une pensée généreuse. Il désirait venir en aide aux classes nécessiteuses et aux populations agricoles. Mais le moyen indiqué était-il pralicable, efficace ?

L'opportunité fut d'abord contestée par M. le ministre de l'intérieur et par M. Heurtier. La loi communale était prête

l'une

de ses dispositions concernait les revenus des communes. Pourbuoi ne pas attendre la discussion de cette loi?

On compte en France 1,438 communes qui ont des octrois. Leur recette annuelle, déduction faite du prélèvement du trésor, s'élève à 80 millions. C'est à l'aide de ces ressources qu'elles peuvent pourvoir aux dépenses des salles d'asile, des hospices et autres établissements de bienfaisance. M. Joret ne voulait sans doute pas la suppression de ces institutions créées en faveur des classes pauvres. En proposant l'abolition des octrois, il aurait donc fallu indiquer immédiatement les moyens nécessaires pour remplacer leurs produits. M. Joret remettait à une loi, qui interviendrait ultérieurement, le soin de chercher ce remplacement, soit dans un impôt sur le revenu, soit dans un impôt sur le capital, soit dans toutes autres ressources. En d'autres termes, il proposait l'ajournement des moyens pour suppléer aux produits des octrois. Cela était-il admissible? Pouvait-on abolir un impôt dont la nécessité était reconnue sans s'être assuré préalablement qu'il pourrait être remplacé par un autre impôt, offrant` moins d'inconvénients dans son établissement et sa perception? L'impôt tant sur le revenu que sur le capital, a d'ailleurs été expérimenté il y a six ou sept siècles, et les difficultés qu'il soulève ont dù y faire renoncer. Les octrois ont aussi une origine très-reculée. On les supprima en 1791, mais au bout de quelques années il fallut les rétablir. Un essai avait donc été fait, il n'avait pas réussi, serait-il sage de le recommencer? Aujourd'hui il était parfaitement loisible aux communes, en se renfermant dans les limites de l'impôt direct, de substituer cet inpôt à celui des octrois et réciproquement. Si elles adoptaient l'un de préférence à l'autre, n'était-ce pas évidemment qu'elles y trouvaient un avantage? La proposition de M. Joret eût eu pour résultat de leur faire perdre cette faculté, c'est-à-dire qu'elle eût porté atteinte aux franchises municipales dont il est question aujourd'hui d'élargir le cercle. Il est vrai que l'honora ble membre invoquait un intérêt respectable, celui des classes pauvres. Mais ne voyait-il pas que si l'impôt sur le capital était substitué aux octrois, le propriétaire ferait payer plus cher le loyer des instruments de travail? quel soulagement en résulterait-il donc pour les travailleurs? Il y avait, au surplus, une observation toute récente et qui trouvait naturellement sa place

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