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nies lancées contre l'industrie française, qu'on représentait comme incapable de marcher seule et sans protection, ressortit de l'exposition universelle faite à Londres dans le Palais de cristal.

C'était là une idée née en France au milieu des agitations de 1848. C'est au lendemain des luttes civiles, en pleine dictature, que cette conception d'une exposition générale de l'industrie des nations commença à germer. Mais le moment était assez mal choisi pour indiquer à la production universelle pour rendez-vous pacifique ce Paris agité sans cesse par l'émeute, cette capitale d'un pays incertain de l'avenir. Et d'ailleurs où en était alors l'industrie française pour prendre l'initiative d'un mouvement semblable? Ses usines se fermaient par centaines, ses fabriques de luxe mouraient d'inanition, ses artistes, ses ouvriers émigraient en masse à l'étranger.

Déjà onze fois, depuis 1815, la France à qui le monde entier doit l'initiative des institutions utiles au progrès de la société, avait donné le spectacle d'un concours national entre les arts utiles. L'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Prusse, l'Autriche, la Russie et les Etats Scandinaves l'avaient, tour à tour, suivie dans cétte voie féconde, et avaient successivement établi, d'après son exemple, des expositions nationales. L'Angleterre, seule, était restée en arrière. Mais, cette fois, l'Angleterre comprit quel parti elle pouvait tirer de nos discordes. Elle s'empara de cette idée féconde (Voyez plus loin, Grande-Bretagne), La France était devancée : elle n'avait plus qu'à accepter la lutte sur un terrain étranger.

Le gouvernement français, pensant que la France allait prendre une large part dans cette lutte industrielle, et qu'elle devait s'y présenter dans les conditions qui conviennent à une grande nation, proposa pour les dépenses de l'exposition de Londres un crédit de 500,000 francs, tant pour les transports des divers objets que pour leur remise au lieu d'exposition, les frais de commissariat, de surveillance, d'inspection et autres dépenses matérielles et imprévues. La commission nommée approuva, par l'organe de M. Benoist d'Azy, les crédits réclamés et proposa un vote d'urgence (25 janvier). Elle proposa, en outre, d'accorder au mi

nistre du commerce et de l'agriculture une somme de 100,000 fr. pour achat d'échantillons, dessins et objets divers, et une somme de 50,000 francs pour subvention à accorder aux ouvriers ou aux contre-maîtres qui seraient autorisés à se rendre à l'exposition de Londres.

La ville de Paris envoya pour son compte; quatre-vingt-six ouvriers environ, et consacra à cet objet une somme de 10,000 fr., à laquelle la chambre de commerce avait ajouté 20,000 fr. Dans les départements, soixante chambres de commerce ou chambres consultatives, répondant à l'appel du gouvernement, aidées par des subsides municipaux ou par des dons volontaires, avaient fait les frais du voyage pour cent soixante chefs ou sous-chefs d'ateliers et travailleurs de tous corps de métiers. Enfin l'Etat, grâce au fonds de 50,000 fr. voté le 27 janvier par l'Assemblée nationale, avait pourvu au complément de la dépense.

Le résultat de cette vaste enquête fut des plus significatifs. On vit d'un côté une fabrique dont tous les efforts tendent vers ce but, d'inonder l'Europe de ses produits, et de l'autre quelques échantillons marqués au coin du goût de chaque nation et plus appropriés à son propre usage qu'à un emploi universel. C'était la première impression qu'on éprouvait à la vue de cette exposition où les Anglais l'emportaient par le nombre et le poids, par l'utilité pratique, tandis que le reste du monde n'y présentait que des spécimens choisis, mais rares.

La France seule, tout en conservant ce monopole du goût que nulle nation ne lui dispute, luttait, pour une foule de produits manufacturés, avec sa rivale si abondamment pourvue de matières premières et si fière de son génie industriel.

Bien que la plupart de nos grands fabricants se fussent abstenus de figurer au Palais de Cristal, bien que la France sortît de la crise de 1848, pour rentrer dans la crise de 1852, bien que les exposants anglais fussent quinze fois plus nombreux que les notres et qu'ils fussent chez eux, sur cent soixante-dix grandes médailles, le jury international en attribua cinquante-six à la France.

Et cependant, que de manœuvres avaient été employées pour affaiblir l'éclat de cette victoire !

Sans doute il serait injuste de demander à une autre nation qu'à la France cette bienveillante impartialité, cette générosité chevaleresque qui distingua toujours notre pays; mais, enfin, il peut être permis de faire observer que l'exposition d'Hyde-Park a été surtout une exposition anglaise. L'industrie britannique s'était fait la part du lion. Admirablement servie par les circonstances, car, seule en Europe, elle avait échappé à la crise révolutionnaire, placée sur son propre terrain, disposant de toutes les facilités de transport, elle n'avait pas eu honte de s'adjuger plus de la moitié de l'espace consacré à l'industrie du globe : elle avait réservé à ses machines le privilége du mouvement qui devait mettre en relief leur puissance; elle s'était assuré la majorité dans le jury; forcée, pourtant, par l'évidence irrésistible de la supériorité française, elle avait dû abandonner à la France plus de récompenses qu'à tous les autres pays, qu'à l'Angleterre ellemême. Mais, pour dissimuler sa défaite, elle avait surtout accordé les médailles d'honneur aux produits français portant un caractère artistique. Quant aux marchandises constituant réellement des produits manufacturés, le jury avait usé d'un assez triste subterfuge pour éviter de récompenser les tissus français, on décida qu'il ne serait pas accordé de médailles à ce genre de fabrication. C'était se condamner soi-même pour atteindre autrui; c'était, comme le dit M. Charles Dupin, être partial avec impartialité.

Ajouterons-nous que la jalousie de Sheffield et de Birmingham avait fait enlever à M. Charrière, cet éminent praticien, la grande médaille qui, de l'avis de tous, lui était due; dirons-nous encore que Beauvais et ses admirables tapisseries avaient été laissés dans l'ombre, et qu'on avait porté sur la liste des grandes médailles, à titre d'exposants anglais, des Marochetti, des Erard, des Morel!

Le principal résultat de cette grande enquête par comparaison, serait sans doute de démontrer la nécessité de réviser les clauses exorbitantes de notre tarif de douanes. La protection et la prohibition qui font la base de notre système ont eu sans doute pour effet d'assurer les premiers pas de notre industrie naissante. Mais aujourd'hui, il devenait prouvé que cette industrie, désormais hors de page, avait atteint le premier rang pour un grand nombre

d'articles, même pour ceux à l'égard desquels est maintenue la prohibition absolue, à savoir les toiles peintes, les mérinos, les mousselines de laine, les filés de laine, les bronzes et une foule d'autres.

Un autre excellent résultat de ce grand concours des nations sera sans doute la leçon donnée à nos ouvriers par la classe ouvrière de la Grande-Bretagne. Avec cette facilité d'assimilation qui leur est propre, nos travailleurs ont dû comprendre la puissance de l'esprit d'ordre et de discipline, d'activité réglée. Ils sont revenus de Londres avec des préjugés de moins et de bons exemples de plus.

La visite faite à la municipalité parisienne par le lord-maire de Londres et par les commissaires de l'exposition universelle, a mis en lumière un autre résultat de ces solennités internationales. Ce contact des peuples par le rapprochement de leurs forces productives doit contribuer à créer des relations profitables, à resserrer les liens, à éteindre les haines. Sans doute, il y aurait quelque exagération à en conclure une étroite solidarité des peuples et une union sans réserve; mais la civilisation générale ne peut que gagner à ces efforts qui déplacent le terrain des rivalités, et qui assurent le développement pacifique des peuples par les arts et par l'industrie.

CHAPITRE XI.

LE COUP D'ÉTAT.

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Les conseils généraux, vœu presque unanime pour la révision. — Les orléanistes, candidature du prince de Joinville, entrevue politique à Claremont, M. le duc de Nemours et M. Guizot, abstention et défiances. Manifeste de la Montagne, manifeste du Comité central démocratique européen, procès de Lyon, désertion de la défense par les avocats, l'abstention à terme. Les impatients, révoltes et jaquerie, assassinats; guet-apens de Laurac, affaire de Largentière, fête votive de Vinezac, un maire socialiste, état de siége; banquet de Commentry, résistance à l'autorité, M. Sartin; le maire de Précy, soulèvement, les insurgés mis en fuite, nouveau soulèvement, répression, les affiliations secrètes, attitude des feuilles démocratiques; état de la Nièvre, M. Dupin et l'instabilité; le Cher et la Nièvre en état de siége; arrestations à Paris, le comité allemand; l'opinion publique à Paris, procès de presse, impopularité de la presse. - Bruits de coup d'Etat; discours d'inauguration des halles; retraite du ministère, M. Billault, nouveau ministère, sa signification; circulaire du ministre de la guerre, l'obéissance passive, le décret de réquisition arraché dans les casernes, proclamation du préfet de police. Réouverture de l'Assemblée, Message, projet de rappel de la loi du 31 mai, l'urgence repoussée, hésitations; les sanguins, M. Baze et la réquisition directe, l'Assemblée la repousse; alarmes; reprise de la proposition Pradié, double jeu de la Montagne, langage hardi du Président de la République, discours du Cirque; bruits de conspirations monarchiques; besoin général d'une dictature; concessions tardives de l'Assemblée. - Election de M. Devinck, l'abstention.

Les préparatifs du coup d'Etat, arrestations, la questure; décret, appel au peuple, proclamation à l'armée; impressions populaires; tentatives des représentants pour se réunir, séance à la mairie du 10e arrondissement, dispersion et arrestation des membres; décret de la haute cour de justice, protestation du conseil d'État, M. Molé; préparatifs militaires, précautions prises contre la presse; réunion de la Montague, proclamation; le combat à Paris, la victoire.

Quelques jours après la clôture des séances de l'Assemblée na

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