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tionale, une autre tribune s'était ouverte, une autre représentation populaire avait été appelée à formuler son opinion sur la question vitale de la révision. Les délibérations des conseils généraux tirèrent des circonstances un intérêt inaccoutumé. Les questions d'ordre politique y prirent le pas sur les questions d'ordre administratif. Cette session solennelle montra, une fois de plus, la sincérité du mouvement qui s'était déjà traduit par les vœux presque unanimes des conseils généraux et par quinze cent mille signatures. La séparation de la nation et de la législature ne pouvait être plus éclatante.

Sur 85 conseils généraux, car on connaît la situation spéciale du département de la Seine, qui n'a pas été appelé à élire de conseillers généraux depuis la révolution de février, 79 émirent un vœu en faveur de la révision.

Cinquante demandèrent purement et simplement la révision, conformément à l'art. 111. C'étaient ceux de l'Ain, de l'Ardèche, de l'Aube, de l'Aveyron, des Bouches-du-Rhône, du Calvados, du Cantal, de la Corrèze, de la Côte-d'Or, des Côtes-du-Nord, de l'Eure, du Finistère, de la Haute-Garonne, du Gers, de la Gironde, de l'Hérault, d'Ille-et-Vilaine, du Jura, de Loir-et-Cher, de la Loire, de la Haute-Loire, du Loiret, du Lot, de Lot-et-Garonne, de la Lozère, de Maine-et-Loire, de la Manche, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Mayenne, du Morbihan, de la Moselle, de la Nièvre, du Nord, de l'Orne, du Pas-de-Calais, du Puy-de-Dôme, des Basses-Pyrénées, du Rhône, de la Sarthe, de la Seine-Inférieure, de Seine-et-Oise, des Deux-Sèvres, de la Somme, du Tarn, de Tarn-et-Garonne, du Var, de la Vendée, de la Vienne et des Vosges.

Un, celui de la Loire-Inférieure, demanda également la révision conformément à l'article 111, mais en expliquant que dans sa pensée ce vœu avait pour but le retour de la monarchie traditionnelle, héréditaire et légitime.

Cinq demandèrent la révision dans le plus bref délai possible. C'étaient ceux de l'Aisne, du Doubs, de la Meuse, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Quinze demandèrent la révision pure et simple. C'étaient ceux de l'Allier, des Basses-Alpes, des Hautes-Alpes, des Ardennes, de

l'Aude, de la Charente, de la Charente-Inférieure, de la Dordogne, de l'Indre, d'Indre-et-Loire, des Landes, de la Meurthe, de la Haute-Saône, de la Haute-Vienne et de l'Orne.

Sept demandèrent la révision, en spécifiant l'art. 45 comme devant surtout être abrogé. C'étaient ceux de l'Ariége, de la Corse, de la Creuse, de l'Oise, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales et de Seine-et-Marne.

Un seul, celui de Vaucluse, demanda la révision partielle et légale dans le but de maintenir et de consolider la République.

Cinq conseils refusèrent de voter la révision: deux, ceux d'Eure-et-Loir et de l'Isère, crurent devoir s'abstenir dans la crainte de provoquer des débats irritants; trois, ceux du Cher, de la Drôme et de Saône-et-Loire, rejetèrent la révision par un vote formel.

Une autre question, celle de l'abrogation ou de la modification de la loi du 51 mai, fut laissée dans l'ombre par beaucoup de conseils. Sur 38 conseils qui s'en occupèrent, 11 émirent des vœux pour la révision de la loi du 31 mai: aucun n'en demanda l'abrogation; 22 rejetèrent purement et simplement les propositions qui leur avaient été faites en ce sens; 5 exprimèrent des vœux formels pour le maintien de la loi.

Mais tous avaient paru douloureusement frappés des dangers de la situation. On approchait tous les jours de l'époque indiquée par la Constitution pour le renouvellement simultané du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Chacun calculait avec effroi les chances de désordre que cette double échéance pourrait ajouter à une situation déjà si critique, déjà grosse de tant de périls et de complications redoutables. Chacun accusait l'imprévoyance et la légèreté des législateurs, qui semblaient avoir pris à tâche de faire éclater le vice originel du gouvernement républicain en ouvrant dans le même mois, à quelques jours d'intervalle, la succession des deux pouvoirs établis pour veiller sur les destinées du pays. Un assez grand nombre de conseils généraux cherchèrent le moyen de réparer cette imprévoyance, et ils crurent le trouver dans l'article 31 de la Constitution. Cet article était ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale est élue pour trois ans et se renouvelle intégralement.

» Quarante-cinq jours au plus tard avant la fin de la législature, une loi détermine l'époque des nouvelles élections. >>

Ne résultait-il pas de ces termes, quarante-cinq jours au plus tard, que le délai pourrait être devancé, suivant les circonstances? Ne pouvait-on pas les interpréter en ce sens qu'au lieu d'attendre le terme de rigueur, l'Assemblée en exercice pourrait convoquer les électeurs pour nommer l'Assemblée nouvelle trois mois, quatre mois, cinq mois avant l'expiration légale de ses pouvoirs?

De pareils remèdes indiqués par des réunions d'hommes graves et prudents en disaient plus que tout le reste sur la situation faite au pays. Ainsi, on imaginait une combinaison reposant sur la coexistence, sur le contact prolongé durant plusieurs mois de deux Assemblées, l'une en exercice, l'autre en expectative!

En résumé, pouvait-on contester la valeur de cette opinion presque unanime? L'opinion démocratique l'essaya en vain. On pouvait nier la compétence des conseils généraux en matière politique, ces corps étant d'ordinaire renfermés par la loi dans le cercle des affaires locales. Mais, dans des circonstances aussi graves, pouvait-on leur faire un reproche d'exprimer, sur une question de vie ou de mort, l'opinion d'hommes placés en contact immédiat et permanent avec les populations, et vivant de la vie du pays bien plus que les représentants eux-mêmes.

Pendant que s'ouvrait cette solennelle enquête, la France était plongée dans un calme sans sécurité, dans une tranquillité superficielle que les intrigues des partis ne devaient pas tarder à troubler.

L'anniversaire du 26 août fut, pour les orléanistes, l'occasion d'une manifestation politique. Le service commémoratif de la mort du roi Louis-Philippe, célébré dans l'église catholique de Londres, réunit les partisans divers, les amis anciens ou nouveaux de la monarchie constitutionnelle. Déjà la candidature de M. le prince de Joinville avait été ouvertement lancée. Ceux-là même qui ne l'approuvaient pas, et il n'en manquait pas dans le parti, l'acceptaient comme « une ressource extrême de salut pour le

pays, » et disaient : « Devant le vœu national, sincèrement exprimé, en face d'un grand péril public, le prince n'hésitera pas. »

Le 27, M. Guizot et M. Dumon furent présentés à la famille royale. Le duc de Nemours les engagea à une complète abstention, déclarant que, lui et les siens, étaient déterminés à attendre la volonté de la France. Mais comment concilier avec ce système d'abstention la candidature du prince de Joinville? La question fut faite, et le duc de Nemours répondit que cette candidature avait été lancée sans autorisation, mais qu'on ne la désavouerait pas. Le duc reconnut que cette candidature, si elle devenait sérieuse, serait combattue par les légitimistes, par les partisans de la fusion, par les anciens conservateurs bien disposés pour l'Elysée, par les conservateurs plus préoccupés de l'intérêt de la société que de l'intérêt d'une famille. Une défaite était donc probable.

Le duc ajouta, avec un grand sens, que, partisan de la fusion et regardant la restauration complète de la monarchie comme la seule solution définitive, il ne voyait pas cependant que la fusion eût fait de progrès.

Ainsi, la famille royale de Claremont acceptait la candidature du prince, mais timidement, sans vouloir s'engager dans une action positive, et avec la pensée secrète d'une restauration de la monarchie de juillet, A Claremont, comme à Froshdorf, on se retranchait dans un système d'espérances personnelles, d'abstention prudente, de défiances mutuelles.

Il faut convenir que les démocrates et les élyséens apportaient dans la lutte une énergie plus faite pour le succès.

Le jour même où s'ouvraient les vacances de l'Assemblée, la Montagne publiait, sous le titre de Manifeste de la Montagne au Peuple, une sorte de compte-rendu assez vide d'idées, mais tout plein des menaces habituelles à l'échéance de 1852. Les républicains extrêmes s'y vantaient d'avoir enfermé la France dans la Constitution comme dans une impasse.

Le Comité central démocratique européen répondit comme un écho de colères, par des exhortations fanatiques adressées aux révolutionnaires d'Italie.

La démocratie militante saisissait avec habileté toutes les occasions de miner le principe d'autorité, de discréditer toutes les institutions sociales.

Le procès dit du complot de Lyon fournit aux avocats des accusés un prétexte pour renouveler la scène déjà jouée deux ans auparavant devant la haute-cour de Versailles.

On se rappelle que M. Gent, avocat envoyé à Lyon en 1850 pour y défendre les insurgés du 15 juin 1849, avait formé dans les départements du Sud-Est une vaste association secrète. A sa voix, s'étaient établies, sur la rive gauche comme sur la rive droite du Rhône, dans le Gard comme dans Vaucluse, dans les BassesAlpes comme dans le Lot ou l'Hérault, dans les bourgades secondaires comme dans les villes, des réunions qui prenaient les dénominations de cercle des travailleurs, cercle démocratique, cercle national, cercle philanthropique, cercle montagnard, mais qui, sous la variété des titres, avaient ce caractère commun qu'elles étaient devenues le rendez-vous de tous les anciens présidents, orateurs ou habitués des clubs, et un foyer permanent d'agitation. La plupart s'annonçaient comme des institutions de bienfaisance et de secours; mais, observées de près, on ne tardait pas à reconnaître que la philanthropie n'était qu'une consigne, et que les cotisations qui s'y recueillaient étaient employées à des manœuvres politiques. Ces cercles correspondaient entre eux, envoyaient des émissaires faire de la propagande, soulever les passions dans les campagnes et colporter les nouvelles politiques ou les mots d'ordre.

Les cercles n'étaient pas les seuls moyens d'agitation mis en usage par ceux que l'ambition et l'exaltation de leur caractère portaient à recommencer la lutte contre la société et le gouvernement. A côté de ces réunions, et parallèlement avec elles, on vit se fonder un grand nombre de journaux démagogiques, au moyen d'une combinaison qui, sous le nom d'actionnaires, groupaient autour d'eux tous les hommes remuants et exaltés du pays.

Quinze départements avaient été ainsi enlacés dans un réseau insurrectionnel habilement et énergiquement formé. L'autorité surprit une partie des fils de cette vaste trame, et M. Gent, ainsi que plusieurs autres, eut à répondre de ces faits devant le conseil

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