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de guerre de Lyon. L'indulgence excessive peut-être du président de ce conseil pour les sorties inconvenantes des accusés et de leurs défenseurs, encouragea ces derniers à un scandale. Après vingt jours de débats, le 27 avril, ils désertèrent leur mission, M. Michel (de Bourges) en tête, et déclarèrent que la défense n'était pas libre, parce que l'autorité avait pris des mesures pour que l'arrivée ou la sortie des défenseurs représentants ne devint pas le centre d'attraction d'attroupements populaires.

En réalité, les avocats démocrates n'avaient fait qu'obéir à un mot d'ordre politique apporté de Paris. Les clubs et les sociétés secrètes leur avaient fait un devoir de cette abstention peu compatible avec les devoirs de la défense. C'est que l'abstention systématique était, jusqu'en 1852, la charte du parti démocratique. Point de révision immédiate, point de participation à un acte social ou politique, jusqu'au jour où triompherait le socialisme. Mais l'abstention ne devait pas aller jusqu'à l'immobilité. L'agitation électorale devait commencer dès le mois d'octobre, et, dès les premiers jours de ce mois, le peuple, convoqué dans ses comices cantonaux, y choisirait ses délégués, dont l'Assemblée, réunie au chef-lieu de département, nommerait les quatre-vingt-six membres qui formeraient le grand conclave électoral. Tel était le mot d'ordre émané de Londres et dirigé de Paris sur toute la France.

Mais le parti démocratique comptait sans les impatients, toujours disposés à tirer avant l'ordre et à escompter, par des récoltes partielles, les saturnales promises. On n'excite pas en vain les convoitises du pauvre inintelligent. L'appareil ridiculement sinistre des initiations avait échauffé les têtes, surtout dans ces contrées reculées où la civilisation n'a pas encore pénétré, pour ainsi dire.

Des assassinats, des révoltes, des tentatives de pillage vinrent mettre au jour, pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre, le funeste travail de démoralisation opéré par les sociétés secrètes. C'est dans l'Ardèche qu'éclatèrent les premiers symptômes.

Dans ce département, et principalement dans l'arrondissement de Largentière, chaque fête votive de commune était, depuis

quelque temps déjà, signalée par de graves désordres, et même par des tentatives de meurtre sur les gendarmes. A Orgnac, à Labastide, des cris de mort avaient été proférés; à Laurac, huit gendarmes, attirés dans un odieux guet-apens, assaillis à la fois par plus de quatre cents insurgés, blessés grièvement tous les huit, ne durent leur salut qu'à leur courage (10 août). C'est aux cris de: A bas les blancs! vivent les rouges! vive Ledru-Rollin ! vive la Guillotine! que se commettaient ces ignobles excès. La troupe, accourue en toute hâte d'Aubenas pour mettre fin à ces scènes anarchiques, fut attaquée au pont de Montréal par une bande venue de Largentière. L'énergie du jeune préfet de l'Ariége, M. Henri Chevreau, aidé de quelques gardes nationaux et de quelques fonctionnaires armés de fusils de chasse, put seule avoir raison de ces manifestations séditieuses. Mais ce ne fut pas sans avoir à lutter même contre certains représentants de l'autorité. Ainsi, à Vinezac, le 31 août et le 1er septembre, un maire socialiste ayant, malgré les prescriptions de l'autorité centrale, autorisé une fête votive qui devait servir de rendez-vous aux démagogues des environs, la force armée, survenue pour faire respecter l'arrêté préfectoral, fut attaquée, et dut répondre par des coups de feu aux pierres dont on l'assaillait. Le maire coupable fut arrêté, et des visites domiciliaires faites sur divers points amenèrent la découverte d'écrits anarchiques, d'armes et de munitions de guerre.

Le mal qui se révélait ainsi n'était pas nouveau. Les sociétés secrètes, malgré la vigilance de l'administration, s'étaient développées rapidement dans l'Ardèche. La configuration du sol, coupé de ravins et de torrents, en faisait un asile pour les coutumaces qui fuyaient les départements voisins placés sous le régime de l'état de siége. On agitait, évidemment en vue de l'aguerrir, cette contrée si bien disposée stratégiquement pour une insurrection. Il fallut recourir à un régime d'exception, et, le 12 septembre, le département de l'Ardèche fut mis en état de siége.

Ce n'était là qu'un prélude. Le 8 octobre, des désordres graves eurent lieu à Commentry (Allier). Un représentant, M. Sartin, y réunit dans un banquet les démocrates les plus exaltés de Mont

luçon, et lorsque l'autorité se présenta pour faire respecter la loi, le représentant ne craignit pas de donner l'exemple de la résistance. Un gendarme fut grièvement blessé. Les prisonniers faits furent délivrés, puis repris et délivrés de nouveau.

Mais c'étaient surtout les départements du Cher et de la Nièvre qu'avait enlacés l'action des sociétés secrètes; c'est là surtout qu'on devait tenir les affiliés en haleine, tantôt par des échassourées, tantôt par des démonstrations inquiétantes. Les cantons de Nérondes, de la Guerche, de Sancergues et de Sancoin étaient surtout travaillés par les meneurs. A la suite d'une instruction faite, le 10 octobre, à Précy, trois individus furent arrêtés, parmi lesquels le nommé Desmoineaux, ancien maire révoqué de Précy, démocrate exalté. Les prisonniers furent conduits à Sancerre.

Dans la nuit du 12 au 13, un nombre considérable d'ouvriers et de paysans de Précy, de Jussy et d'autres localités environnantes, se mirent en marche dans l'intention d'aller délivrer Desmoineaux et ses compagnons. Rendez-vous avait été donné à Héry, où devaient se rencontrer d'autres bandes venues de la Charité et de plusieurs autres communes du val de la Loire. De là, la colonne devait s'ébranler pour se diriger sur Sancerre.

La nouvelle du soulèvement étant parvenue à Bourges, la défense était organisée lorsque les insurgés arrivèrent à Ménétréol, à trois kilomètres environ de Sancerre. La colonne insurrectionnelle s'arrêta, et bientôt commença sa retraite, poursuivie par la gendarmerie et par les gardes nationales de Saint-Satur et de Sancerre, auxquelles s'étaient spontanément réunis les cantonniers des routes et du canal, sous la conduite de M. Ducros, ingénieur des ponts-et-chaussées. Plusieurs individus armés de pistolets et de poignards furent arrêtés et conduits à Sancerre. Pendant ce tèmps, M. le préfet de la Nièvre faisait diriger un escadron de chasseurs sur Précy; le général commandant le département du Cher se portait sur Sancergues avec 150 artilleurs. Les insurgés, déconcertés par ces combinaisons rapides de mouvements, se dispersèrent dans les bois, où vingt-six d'entre eux furent sai

sis.

Tout n'était pas fini. Le 14, les affiliés des sociétés secrètes dans le val de la Loire soulevèrent les communes de Besses, Saint-Lé

ger, Argenvières et Marseilles-les-Aubigny; le tocsin sonna toute la nuit. Des coups de feu furent tirés sur un maire; les anarchistes, le pistolet au poing, forçaient tous les habitants à les suivre, et se faisaient délivrer des vivres par voie de réquisition et d'urgence. Ils s'étaient d'abord portés sur Précy; mais, avertis que les troupes occupaient encore ce village, ils se dissipèrent en manifestant l'intention de se diriger sur la Charité et en proférant des menaces de mort et de pillage. Ceux des habitants paisibles, et le nombre en était grand, qui ne voulaient pas marcher avec eux, y étaient forcés par la violence.

A la nouvelle de ces désordres, 200 hommes du 41e de ligne furent envoyés de Bourges sur le théâtre des événements. Deux escadrons de hussards les suivirent de près.

Le préfet et le général d'Alphonse, qui étaient restés sur les lieux, firent fouiller les communes insurgées. La révolte céda partout devant ce déploiement de forces.

Ce nouveau soulèvement avait ceci de particulier qu'il avait éclaté sans cause avouée, avec un ensemble qui révélait une direction intelligente et un mot d'ordre général. C'était une véritable jaquerie.

L'instruction, dirigée par M. le procureur général Corbin, mit hors de doute que le mouvement était dû aux excitations d'nne vaste société secrète dont les ramifications s'étendaient dans plusieurs départements du centre, et notamment dans l'Allier, le Cher et la Nièvre. Les bandes s'étaient surtout, on l'a vu, recrutées par la force et par les menaces d'incendie et de mort. Un grand nombre d'insurgés arrêtés étaient porteurs d'une médaille comme signe de reconnaissance ceux-là étaient particulièrement armés de fusils et de couteaux-poignards. Les affiliateurs promettaient la suppression de l'impôt, le complet anéantissement de la bourgeoisie, le partage des terres labourables et le pacage dans tous les bois. On répondait, au premier coup de fusil tiré, d'une insurrection générale, appuyée par l'active coopération des garnisons de Bourges et de Nevers.

On conçoit tout ce que de telles promesses devaient avoir de puissance sur l'esprit d'un grand nombre de paysans encore abrutis par une ignorance héréditaire ou dépravés par les écrits fu

nestes répandus à profusion dans les campagnes, et qui leur enseignaient des doctrines si bien accueillies par les deux grandes passions du paysan, l'esprit de licence et la cupidité.

Ce qu'il y eut peut-être de plus déplorable que le désordre lui-même, ce fut l'attitude des nouveaux Girondins de la nouvelle République. Deux feuilles, représentant le parti gouvernemental dans la démocratie, ne surent pas trouver le courage d'approuver ou de blâmer les excès des révoltés. Elles préférèrent nier une sédition dont la France entière venait d'être témoin. Elles ne virent dans l'émeute armée de Sancerre et de Précy qu'une manifestation innocente de paysans allant réclamer la mise en liberté d'un magistrat sympathique. Quelle intelligence et quelle énergie pouvait-on attendre, au moment décisif, d'hommes politiques capables de semblables défaillances?

Et quelle situation se révélait! Quels commentaires odieux à ces attaques isolées, si nombreuses contre les soldats ou les gendarmes! A Grigny, le 18 septembre, trois gendarmes assassinés sur une grande route: partout des tentatives de rébellion, des prêtres menacés, des saturnales hideuses. Dans quelques campagnes de la Nièvre, chaque petit propriétaire était armé attendant l'attaque, déterminé à ne céder ni une heure de sa liberté, ni une parcelle de sa propriété, résolu à mourir les armes à la main plutôt que de subir l'insulte et les mauvais traitements promis si haut et annoncés par tant de voix. Chacun gardait sa famille, sa maison, et eût défendu l'une et l'autre contre l'invasion de ces nouveaux barbares, avec le courage du droit et du désespoir; car chacun savait qu'il n'y avait point de quartier à attendre de la part de ceux qui attaquaient la société pour la détruire.

Pour peu qu'un ouvrier, même des plus pauvres, refusât d'entrer dans ces associations de paresseux avides, il était considéré comme un aristocrate. Un marinier de la Loire disait à M. de Bourgoing : « Je n'ai que ma bourde et mon bateau ; si ces genslà venaient au pouvoir, ils me couperaient le cou. » Un ouvrier, gagnant trente sous par jour, travaillant chez un de ces chefs d'ateliers honorables et dévoués à la cause de l'ordre, disait : « Je ne sors plus de la nuit, et je me barricade dans ma maison. Ils ont dit à ma femme d'ici à peu on vous raccourcira tous, parce

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