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meneurs de la démagogie attisèrent habilement ces mésintelligences; la politique leur prêta ses passions, ses haines. Des sociétés secrètes se formèrent sur ces bases et ne tardèrent pas à envelopper ces contrées comme un vaste réseau.

A la nouvelle de la tentative faite sur Privas, une grande agitation s'était manifestée à Montélimart. Mais des mesures promptes et intelligentes furent concertées entre M. le sous-préfet Laurette et le major Carmier, du 13e de ligne, commandant l'état de siége. Quinze des agitateurs, parmi lesquels M. Combier, représentant, furent arrêtés.

Montélimart, centre administratif et politique, et Crest, centre industriel, devaient, dans le plan de l'insurrection, servir de points d'appui et de rendez-vous contre Valence, chef-lieu de la Drôme. Des intelligences, établies de longue main avec les communes de la rive droite du Rhône dans l'Ardèche, devaient assurer à la révolte la possession du pont suspendu.

L'insurrection souleva, pour agir contre Montélimart, les communes de Rochegude, de Marsanne, de Saint-Marcel et de Sauzet. L'énergie du juge de paix de Saint-Paul-Trois-Châteaux, M. Desvignes, eut, avec l'aide de quelques gendarmes de Pierrelatte, raison des insurgés de Rochegude, qui déjà avaient enfoncé les portes de la mairie.

A Saint-Marcel, un détachement de jeunes soldats se trouva tout à coup en face de 6 à 700 insurgés. Après une vive fusillade, la petite troupe dut rentrer à Montélimart. Mais le lendemain 7, une forte colonne des 13e et 63° de ligne, ayant à sa tête M. Laurette, balaya toute la route de Sauzet et la vallée de Roubion. Montélimart était dégagé.

Dans cette même nuit du 6 au 7, Crest était menacé par les contingents de Grane, de Chabrillant, de Bourdeaux, de Dieulefit.

A Grane, le curé de l'endroit et trois autres ecclésiastiques étaient réunis dans le presbytère, lorsqu'une bande envahit la cure, portant des fourches, des faux, des sabres, des fusils, des haches. Ces hommes réclament des armes, et, n'en trouvant pas, entraînent ces pauvres prêtres, ainsi que quelques blancs arrachés à leurs maisons. Ils se dirigent à la rencontre des insurgés

de Chabrillant; le tocsin sonne partout sur leur passage. Au nombre de 4 à 500, les insurgés se portent sur Crest. « C'est votre dernière procession, » disaient quelques misérables en parlant à leurs victimes, et ils adressaient à quiconque hésitait à les suivre de terribles menaces.

Un des vénérables prêtres ainsi emmenés par ces bandits, M. l'abbé Forget, a raconté, dans un simple et touchant récit, les impressions de ce triste voyage. « Les chefs, dit-il, avaient des figures d'assassins; il faudrait aller dans les bagnes pour en trouver de semblables. Un grand nombre cependant avaient des figures d'honnêtes gens; ils ne savaient ni où ils allaient ni pourquoi ils marchaient. »

On arriva ainsi près du pont de Crest; on se rangea sur deux lignes des deux côtés de la route. Tous les prêtres et les hommes désarmés furent placés en tête de la colonne.

A Saoux était fixé un autre rendez-vous des bandes à diriger sur Crest. Le 7 décembre, vers huit heures du matin, on y vit arriver les insurgés de la commune de Bourdeaux; une demi-heure après ceux de Dieulefit; puis vinrent les contingents de Sorfans et de Pont-de-Barret.

Vers onze heures du matin, la colonne réunie à Saoux se composait d'environ 4,000 hommes. Deux chefs du mouvement, Alvier et Marcel, publièrent une proclamation ainsi conçue : « Au nom de la loi : Rendez-vous tous sur la place pour de là marcher sur Crest... Malheur à ceux qui faibliront, ils seront morts. » Tout individu saisi dans sa maison ou rencontré dans les rues et sur les routes était enrôlé, sous peine d'être passé par les armes. « Ah! disaient les plus exaltés, si nous avions fait partout comme cela, nous serions plus nombreux..... >> Tout le monde tremblait.

On s'ébranla aux cris de: Vive Ledru-Rollin! Il ne resta dans Saoux qu'une arrière-garde composée des plus lâches et des plus féroces; ces scélérats assassinèrent le maire de Francillon : l'un d'eux tenait ce malheureux, pendant qu'un autre lui portait des coups d'un canon de fusil dans l'estomac et deux coups de baïonnette à la tête. Sa malheureuse fille, qui cherchait à le défendre, fat grièvement blessée.

Crest, but général désigné aux efforts des bandes socialistes,

n'était défendu que par de faibles détachements du 2o d'artillerie et des dépôts des 13o, 32° et 63° de ligne. Le capitaine Gillon disposa avec intelligence ces ressources qui pouvaient paraître insuffisantes. Il fit occuper un plateau qui domine la ville, plaça dans une tour les hommes de bonne volonté de la garde nationale et fit barricader le pont de la Drôme.

Dans la nuit du 6 au 7 un premier engagement eut lieu sur les hauteurs avec une forte bande qui eut environ cinquante hommes tués ou blessés. La troupe ne perdit que deux hommes.

Le 7 au soir, étaient arrivés en face de la tête du pont les contingents de Grane et de Chabrillant, huit cents hommes environ, dont cent cinquante au moins amenés là par force, les prêtres en avant de la colonne. Vingt-huit soldats gardaient la barricade du pont, ils recurent les insurgés par un feu de file qui jeta dans leurs rangs la mort et le désordre et qui, par un bonheur providentiel, épargna les malheureuses victimes destinées à servir de bouclier vivant à l'insurrection.

Les bandes se replièrent sur les hauteurs, cherchant à intercepter la route de Valence. On tourna leur position, on balaya la montagne à coups d'obusier et les insurgés en déroute complète évacuèrent la rive droite de la Drôme. Mais tout n'était pas fini.

Les bandes, si vigoureusement accueillies au pont de Crest, après s'être de nouveau recrutées à Grasse, à Cliousclat et à Mirmande, communes du canton de Loriol, interceptèrent la route entre Saulce et Derbières, et, dans la nuit du 8 au 9, se dirigèrent sur Loriol. Le maire de cette ville, connaissant trop bien les dispositions de son conseil municipal, s'était retiré à son château de la Gardette et s'y fortifiait. Le conseil municipal et les sapeurspompiers s'épouvantèrent et se refusèrent à la résistance. Seuls, vingt-trois hommes du 9° d'artillerie, venant du dépôt de Bourges, s'armèrent des fusils abandonnés par la garde nationale et se retranchèrent dans l'hôtel de ville, où on n'osa les attaquer.

En même temps, acharnement inconcevable et qui démontre la secrète et puissante organisation des socialistes, les gens de Bourdeaux et d'autres communes de Crest-Sud, revenaient encore une fois à l'attaque de Crest. On marcha à leur rencontre sur la route de Montélimart, et, à deux kilomètres de Crest, on les rencontra

au nombre de deux mille environ. Deux coups d'obusier et une fusillade nourrie les arrêtèrent. Mais bientôt ces forcenés reprirent leur mouvement en avant pour tourner la reconnaissance. Il fallut battre en retraite et se retrancher de nouveau derrière la barricade du pont de la Drôme. Un obusier et une pièce de huit furent disposés de manière à battre la route et le quai. La colonne insurrectionnelle s'avança résolûment, mais, à deux cents mètres, elle fut labourée par la mitraille et tout s'enfuit en désordre à la vue d'un grand nombre d'hommes couchés sur la poussière. Ceci se passait le 7 décembre. A partir de ce moment, Crest n'eut plus rien à redouter.

Pendant ce temps, l'autorité militaire et la population bourgeoise de Valence faisaient pour la défense de la ville de tels préparatifs que les insurgés, dont le quartier général était entre Loriol et Livron, comprirent l'impossibilité d'un coup de main et rentrèrent dans leurs communes respectives.

L'insuccès de ces diverses tentatives contre Crest, Montélimart, Loriol et Valence fit échouer un autre mouvement organisé, à Chavannes, canton de Saint-Donat, par le maire, un sieur Boffard. Le but avoué de la bande conduite par ce misérable, et à laquelle s'étaient joints les habitants les plus mal famés des communes de Veaunes, Chantemerle et Mercurol, canton de Tain, était le pillage du château de M. Galland, riche propriétaire.

Bien que rapproché d'un des siéges principaux de la révolte, le département du Gard fut moins éprouvé. Des craintes sérieuses agitèrent cependant le chef-lieu dans la journée du 6.

Une grande fermentation régnait dans plusieurs communes de la Vaunage et de la Gardonnenque. Les socialistes avaient pour consigne de se concentrer, d'une part, sur la route d'Alais, au point de jonction avec celle d'Anduze, de l'autre, sur la route de Montpellier, vers Milhaud. D'après ces ordres, des bandes armées s'échelonnèrent sur les routes d'Anduze et de Sommières, autour de Nîmes. Mais la tranquillité qui régnait au chef-lieu et les fortes dispositions prises par l'autorité les engagèrent à se retirer. Avignon fut plus sérieusement menacé.

Toutes les troupes et toute la gendarmerie du département de Vaucluse avaient été concentrées à Avignon. Cette mesure eut

pour effet d'assurer la sécurité du chef-lieu et de contenir toute la partie basse du département. Mais la partie montagneuse, qui s'étend à l'est, restait forcément abandonnée à toutes les entreprises. Ce fut surtout l'arrondissement d'Apt qui eut à souffrir de cette situation.

Le 8 au soir, toute la rive droite du Rhône s'agite. Cinq à six mille insurgés s'avancent sur Avignon, venant d'Apt. Le général d'Antist voudrait aller écraser cette colonne; mais ce serait livrer Avignon à une insurrection intérieure ; il ne peut que détacher -un piquet d'infanterie et de cavalerie sur un rassemblement qui attend les hommes d'Apt pour se réunir à eux. A l'approche des troupes, les hommes du rassemblement jettent leurs armes et prennent la fuite. On en arrête quarante-sept. Pendant ce temps, une autre petite colonne d'infanterie refoule les bandes jusqu'à Lisle. Cinquante hommes d'infanterie montés en omnibus et un escadron de hussards partent de Carpentras, courent à Lisle, trouvent la mairie dévastée et les insurgés partis pour Cavaillon. Ils les y poursuivent, leur tuent quelques hommes et fusillent trois prisonniers. Cette exécution épouvante les révoltés, qui reculent sur Apt. C'est là, mais seulement le 10, qu'une colonne, commandée par le colonel Vinoy, étouffe la révolte du département de Vaucluse.

Le département de l'Hérault fournit à l'histoire de la jaquerie de 1851 ses scènes les plus hideuses, ses enseignements les plus graves.

Dans la matinée du 4, des bandes armées, parties de MontBlanc, de Saint-Thibéry et d'autres villages environnants, se dirigèrent sur Béziers. En même temps d'autres insurgés se présentaient aux portes de Pézenas.

Dans Pézenas, des rassemblements se formaient. Mais la population se partageait en deux camps opposés. Un certain nombre de courageux citoyens àccouraient se ranger autour de leur maire. L'un d'eux, M. Joseph Billière, fut désarmé par quelques anarchistes et frappé de cinq coups de poignard qui le jetèrent à terre, baigné dans son sang. C'est à deux femmes que M. Billière dut d'être arraché à la fureur de ses assassins.

Cependant les têtes s'échauffaient. Les portes de la ville étaient

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