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gardées par l'émeute. Les cultivateurs qui voulaient se rendre aux champs étaient retenus prisonniers ou enrôlés dans les rangs de l'émeute. Si les bandes d'alentour venaient se joindre aux anarchistes du dedans, la ville était peut-être perdue. Mais l'arrivée subite et inespérée d'une batterie d'artillerie qui se rendait à Perpignan calma comme par enchantement toute cette effervescence. Ceux qui ne s'étaient pas compromis encore se hâtèrent de rentrer dans leurs demeures; les autres s'enfuirent dans toutes les directions.

Mais des désordres plus graves menaçaient Béziers. Le 4, vers le matin, trois mille paysans environ y étaient accourus au chant de la Marseillaise. Ils prirent position sur le terrain de l'ancien cimetière, du côté de la route de Bédarieux.

La plupart des chefs de cette hideuse armée avaient revêtu un déguisement; quelques-uns s'étaient teint les bras et la figure; tous portaient des ceintures et des écharpes rouges. Ils entrèrent en délibération. Les centurions tirèrent au sort les quartiers de la ville, sur lesquels il leur était accordé un droit absolu de vie et de mort. Une contestation s'éleva entre les soldats de l'émeute, qui voulaient se fraction ner et commencer le pillage, et les chefs, qui croyaient avant tout nécessaire de s'emparer de la sous-préfecture et de la mairie. Cette dernière opinion prévalut : les colonnes d'attaque se formèrent.

A sept heures et demie du matin, on les vit descendre des faubourgs nord de la ville, armés de fusils, de faux, de broches, de serpes, de poignards et de gros bâtons. Cette troupe, repoussée de la sous-préfecture par un feu de peloton qui lui tua huit hommes et en blessa grièvement plusieurs autres, déboucha en désordre sur la place de Saint-Félix, et là, sans provocation aucune, tira sur deux citoyens inoffensifs, MM. Bernard-Maury et Vernhes qui se rendaient au collège de la ville pour retirer leurs enfants. M. Bernard-Maury tomba et quelques forcenés mutilèrent son visage et son corps à coups de faux et de serpe. M. Vernhes, blessé grièvement, fut également renversé. « Achevez-le,» s'écrièrent plusieurs de ces cannibales, et trente coups de fusil furent tirés sur ce corps inanimé.

Le flot de l'insurrection se porta de là sur la place Saint-Na

zaire, et un feu très-vif s'engagea entre les révoltés et la troupe qui gardait la sous-préfecture. Cinq soldats tombèrent, mais quarante insurgés furent atteints, dont sept mortellement. Une charge à la baïonnette acheva de disperser la révolte.

C'est à Bédarieux que se passèrent les scènes les plus atroces. Dans la soirée du 3 décembre, un émissaire vint porter à Bédarieux le signal de l'insurrection. La société secrète comptait dans ce canton autant de membres qu'il y avait d'ouvriers et de paysans, c'est-à-dire environ 3,000. Tous étaient organisés, armés et en communication avec les sociétés de Béziers, Lodève, Lyon, Paris et les autres grands centres.

Le 4 décembre au matin, les conjurés désertèrent les ateliers ou le travail de la campagne, se répandirent dans la ville et se réunirent dans un café. Là, les plus violentes excitations échauf– fèrent les têtes; les chefs proposèrent la prise de l'hôtel de ville et de la caserne de la gendarmerie. A l'entrée de la nuit, après force discours, on se porta à la mairie pour déposer l'autorité municipale. Le maire, M. Vernazobre, était seul à l'hôtel de ville avec le commissaire de police et la brigade. Aux sommations des insurgés, il répondit qu'il ne quitterait pas son poste; la bonne contenance des gendarmes intimida la foule, qui se retira en criant: Aux armes!

En vain le maire chercha à rallier les hommes d'ordre; aucun d'eux ne répondit à sa voix. Ainsi abandonné, il dut quitter la mairie, qu'il ne pouvait défendre; les insurgés s'y installèrent et organisèrent une commission municipale.

Cependant M. Vernazobre avait donné l'ordre au chef de la brigade de porter à Béziers et à Lodève des dépêches réclamant des secours. Deux gendarmes sortirent de la caserne pour exécuter cet ordre. Mais toutes les avenues étaient occupées par des sentinelles insurgées. Les deux gendarmes durent se replier sur la caserne après avoir fait feu pour se dégager.

Alors la foule se répand dans les maisons voisines, d'où elle dirige sur la caserne un feu nourri. La femme d'un gendarme est mortellement frappée dans sa chambre; la brigade enfermée soutient bravement le siége, et les insurgés, désespérant de forcer l'entrée, mettent le feu à la porte principale. Chassés par la

flamme et par la fumée, épuisés par la lutte, abandonnés à euxmêmes, trois des gendarmes se réfugient, en escaladant un mur mitoyen, dans une maison voisine. A ce moment, une bande pénètre, en enfonçant une porte de derrière, dans la cour de la gendarmerie.

Là, sur un tas de fumier, est étendu un gendarme blessé. Cinq ou six insurgés déchargent leurs fusils sur ce malheureux et l'achèvent à bout portant. On tue jusqu'aux chevaux de la brigade. Une corde, appendue au mur, indique aux assassins le chemin de la retraite des trois autres gendarmes; ils envahissent la maison où ces braves gens ont trouvé un refuge. On les cherche, on en découvre deux ; l'un est entraîné sur le seuil de la porte et renversé. Dix fusils sont braqués sur lui; il tombe mort. Chacun à l'envi s'acharne sur son cadavre. Parmi ces forcenés, on en remarqua deux dont la fureur venait d'un procès-verbal pour délit de chasse; la femme du gendarme assassiné est, à son tour, l'objet de brutalités obscènes.

Le maréchal des logis, blessé, est découvert dans une des pièces de la caserne en feu; il est achevé à coups de sabre et à coups de crosse, et son corps privé de vie est exposé aux plus honteux outrages. Quelques-uns de ces cannibales mangent et boivent assis sur le cadavre.

Le lendemain de ces horribles scènes, la commission municipale commence à fonctionner officiellement. Un certain Bonnal, horloger, ancien président de club, concourt aux actes de la justice et rédige des proclamations. Un autre reçoit les actes de l'état civil. Tous ensemble ils convoquent les notables négociants, et, sous prétexte d'augmentation de salaire ou de secours aux ouvriers malheureux, ils les forcent de payer au taux qu'ils déterminent le prix des journées consacrées à l'insurrection. 10,000 fr. sont ainsi extorqués à la frayeur des négociants. Jour et nuit des patrouilles d'insurgés sillonnent la ville et en occupent les avenues. La ville et l'administration sont en leur pouvoir. Sous la menace du pillage et de l'incendie, les habitants passent ainsi dans la terreur six mortelles journées.

Enfin, le 10 décembre, le bruit se répand que le général de Rostolan accourt à la tête d'une colonne.

Ce fut le signal de la délivrance pour les gens paisibles, et de la fuite pour les soldats du désordre.

Montpellier n'avait eu rien à craindre. Le général Rostolan y avait, dès le premier jour, fait cerner un club montagnard dont deux cents membres environ avaient été mis en lieu de sûreté.

Quelques autres points du département furent le théâtre d'agitations bientôt calmées. A Marseillan, à Florensac, la mairie fut quelque temps au pouvoir de l'émeute. A Capestang, les ouvriers vignerons et travailleurs de terre se réunirent en armes. Quelques-uns de ces malheureux, se croyant liés par les horribles serments prononcés dans les sociétés secrètes, ne marchaient qu'en pleurant. On désigna comme but de l'attaque la ville de Béziers. Beaucoup de ces malheureux s'apprêtaient naïvement au pillage et montraient les sacs dans lesquels ils comptaient renfermer leur butin.

Quand ces bandes diverses eurent atteint le point convenu de ralliement, à dix minutes de l'entrée de la ville, une certaine hésitation se déclara parmi les factieux. On venait de recevoir la nouvelle de l'insuccès de l'insurrection à Béziers. Mais les meneurs réussirent à relever le courage de leurs hommes.

On marcha en avant, mais la première démonstration militaire partie de la ville occasionna dans les rangs de l'émeute une terreur panique.

Les départements du Sud-Ouest se trouvaient dans les mêmes conditions d'éloignement et d'ignorance. Mais l'organisation des sociétés secrètes y était moins complète. Dans les Pyrénées-Orientales, Estagel fut la seule localité où il y eut à réprimer une tentative de désordre. A Perpignan, il n'y eut que quelques arrestations.

L'armée insurrectionnelle des Hautes-Pyrénées, ne pouvant songer à organiser un mouvement à Tarbes, où la population et l'armée lui étaient également hostiles, avait résolu de concentrer ses efforts sur Bagnères. Des émissaires avaient été envoyés dans les vallées de la Neste, d'Arreau et de la Barousse, promettant le sac de la sous-préfecture de Bagnères et le pillage de la marbrerie de Géruzet. De Bagnères, les bandes, grossies dans leur marche et encouragées par un succès, se seraient dirigées sur le chef-lieu.

Mais la vigilante énergie du sous-préfet fit échouer ce plan en assurant l'arrestation du chef des bandes, un nommé Gigoux, ancien sous-officier, candidat malheureux pour l'Assemblée législative.

Il fallut, dans le Gers, des efforts plus sérieux pour comprimer un mouvement général.

Au moment où arriva à Auch la malle-poste qui amenait M. Lagarde, nouveau préfet du département, parti de Paris le 2 décembre, le général commandant la subdivision et le procureur de la République prenaient des mesures pour résister à une invasion imminente des habitants des compagnes voisines. Il n'y avait en ce moment à Auch que trois escadrous du 6o hussards, sous les ordres du colonel Courby de Cognord, le brave officier de Sidi-Brahim. Le colonel eut bientôt raison des émeutiers de la ville. Mais, par la route de Bordeaux, au commencement de la nuit, s'avancèrent 4,000 insurgés venus de Vic-Fezensac, de Condom et des villages environnants. M. Saint-Lue Courborieu, procureur de la République, va courageusement haranguer ces malheureux. On leur distribue du pain qu'ils ont demandé dans le seul but de gagner du temps et de permettre à toutes les bandes de se concentrer. Mais ils refusent de se séparer : c'est le sac de la ville qu'il leur faut. L'heure de l'humanité est passée. L'intrépide colonel se lance avec 90 cavaliers au milieu de cette multitude armée de fusils, de pistolets, de sabres et de faux. Deux fois il la traversa, sabrant et renversant tout sur son passage, et ces masses terrifiées s'enfuirent, non sans avoir blessé trois officiers supérieurs, dixhuit hussards, et tué un hussard et un maréchal des logis. C'était une victoire chèrement achetée, mais Auch était sauvé et le département échappait à une conflagration générale.

Condom et Mirande étaient, pendant ce temps, au pouvoir de la révolte. Le 4 au soir, les nombreux anarchistes de Condom, au reçu de lettres particulières venues de Paris, vinrent en armes cerner la mairie, où s'étaient réunis le sous-préfet, le maire et le procureur de la République. Quelques hommes de gendarmerie ne pouvaient opposer une résistance sérieuse à une masse énorme d'assaillants. Les autorités durent se retirer. Les factieux s'emparèrent aussitôt de l'hôtel de la mairie, y établirent un gouverne

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