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Hamma et de Bouffarick ont livré, en 1850, un total de 174,343 sujets ligneux et de 21,033 sujets herbacés.

La colonisation progresse donc, c'est là un fait considérable. Mais peut-être n'est-ce pas toujours dans sa voie véritable. Écou tons un homme dont l'intelligence supérieure et le dévouement incessant ont été déjà si utiles à l'Afrique française, M. LautourMézeray, préfet du département d'Alger. L'opinion de cet admi nistrateur éminent est qu'il faudrait abandonner en Algérie les cultures faciles et de grande étendue, plus exposées peut-être que toutes les autres aux inconvénients du climat. L'avenir du pays est dans les cultures riches et étrangères à la France, dans les essais multipliés sur les variétés nombreuses de l'agriculture industrielle.

M. Lautour-Mézeray juge ainsi les différentes parties de la richesse algérienne.

L'élève du bétail y dénote beaucoup d'incurie. La race ovine pourrait cependant être une des grandes ressources du colon. Le fonds de la race est excellent; le type est le mérinos pur. Qu'arrive-t-il cependant? Les troupeaux sont composés d'une si grande quantité de métis que les laines mélangées ne prennent à la teinture que des nuances différentes, n'arrivant ainsi que dépréciées sur les marchés français; il faudrait rétablir l'homogénéité.

La race chevaline arabe est abâtardie. On ne met pas assez de soin dans le choix des juments poulinières; on les fatigue par des travaux pénibles et continuels pendant la gestation, et on met trop tôt au travail leurs jeunes produits.

La race bovine est de tous les produits agricoles celui qui a le plus d'avenir. Onze départements du midi de la France demandent à l'Espagne, à la Suisse et à l'Italie une partie de la viande qui leur manque. Elle pullule en Algérie. Mais le bétail y est élevé dans de mauvaises conditions hygiéniques. Aux grandes sé cheresses l'animal ne trouve aucune réserve de fourrages; aux grandes pluies, aucun abri.

La garance, qui a fait la fortune du Comtat, le lin, le chanvre et surtout le chanvre géant de l'Inde, l'arachide, le sésame que nous demandons à l'étranger, le miel et la cire, ces produits si renommés de l'Afrique sous la domination romaine, les fleurs

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pour essences, les capres, le sumac pour le corroyage des peaux de luxe, voilà les cultures que M. Lautour-Mézeray recommande comme parfaitement appropriées au sol et au climat. Par ses soins se poursuivent d'intéressantes expérimentations sur la culture du pavot à opium, de l'indigo, du thé, du camphrier, de l'arbre à quinquina.

Ces progrès si longtemps attendus, mais aujourd'hui si rapides, l'achèvement prochain de la conquête allait les étendre encore et les consolider. Au printemps de 1851, une expédition dans la Petite-Kabylie fut décidée : elle avait pour but de débloquer la place de Djijelli, d'assurer nos relations commerciales, de protéger nos colonies civiles et de rétablir les communications entre Philippeville et Constantine.

Ce projet fut, dans l'Assemblée nationale, le prétexte d'objec tions étranges, qui ne tendaient à rien moins qu'à établir l'indépendance de populations vivant au sein même de nos possessions africaines, sans reconnaître notre domination.

On ne s'en tînt pas à nier, malgré l'avis de tous les hommes compétents tels que MM. Cavaignac, Lamoricière, Bedeau, Charras, l'utilité de l'expédition projetée. On alla jusqu'à élever une objection constitutionnelle sur le droit que pouvait avoir le gouvernement d'ordonner une expédition sans consulter l'Assemblée, lorsque la Constitution déclarait qu'aucune guerre ne pouvait être entreprise sans l'assentiment du Pouvoir législatif. C'était pousser jusqu'à l'excès la manie des conflits. MM. Raudot et Emile Barrault se firent les organes de ces singuliers scrupules.. L'Assemblée repoussa ces doctrines excessives par un ordre du jour qui obtint 378 voix contre 269 (24 mars).

L'expédition suivit donc son cours. On va voir si elle était nécessaire.

Depuis longtemps l'attention du gouvernement était fixée sur les montagnes qui bordent le littoral entre Dellys et Philippeville. Cette partie du pays était restée en dehors de notre autorité, alors que l'Algérie tout entière, de la frontière de Tunis à celle du Maroc, de la Méditerranée aux limites sud du Sahara algérien avait reconnu notre domination. Le groupe de montagnes plus particulièrement connu sous le nom de Kabylie est habité par

une population belliqueuse, mieux armée et mieux organisée pour la résistance que les Arabes, parlant un langage différent, obéissant à des habitudes et à des mœurs qui lui sont propres. Sous le gouvernement turc, les Kabyles avaient toujours échappé à l'action des chefs qui administraient les tribus et jouissaient d'une indépendance complète, sinon en droit, du moins en fait. Ils fréquentaient les marchés des contrées soumises pour écouler leurs produits et s'approvisionner de céréales; mais ils n'admettaient qu'avec répugnance les étrangers au milieu d'eux, et, vivant dans une sorte d'isolement; ils ne prenaient part ni aux querelles ni aux révoltes des populations limitrophes à leurs montagnes.

Aussi, avait-on réservé la question de la soumission de la Kabylie jusqu'au moment où les tribus arabes seraient entièrement pacifiées. Déjà quelques relations commerciales s'étaient établies avec plusieurs parties de ce massif montagneux; on pouvait choisir le moment opportun d'une expédition définitive, le caractère ombrageux de ces populations sauvages les éloignant des agitations causées par le fanatisme, et les discussions intestines ayant sur elles plus d'empire que les intérêts collectifs de la religion et de la nationalité.

Les premiers efforts avaient été dirigés d'abord à l'est de Dellys, dans la vallée du Sebaou, qui longe le territoire de plusieurs tribus kabyles riches et guerrières. On avait surveillé les pentes sud du Djurjura, brisé les liens de l'administration régulière créée par Abd-el-Kader, et établi à Gour-el-Ghozlan le poste permanent d'Aumale. Le résultat de ces succès avait été de couvrir l'est de la province d'Alger et de dominer les principaux débouchés du Djurjura. On avait par là établi une barrière protectrice en face de la Metidja. On résolut alors de séparer en deux parties le massif qui s'étend de Dellys à Philippeville, en ouvrant une route de Sétif à Bougie. De là suivit la soumission de la vallée de l'Oued-Sahel et la libre communication entre Alger et Bougie par Aumale. Le Djurjura était enveloppé et surveillé.

Ce massif était cependant devenu un foyer d'agitations incessantes. C'est pour cela que les armes françaises allaient visiter les tribus du Sahel de Djijelli et de Collo.

A la nouvelle de l'expédition; les Kabyles s'apprêtèrent à la résistance. Ils y étaient surtout poussés par un prétendu chérif, surnommé Bou-Baghla (l'homme à la mule) qui prêchait la guerre sainte dans leurs montagnes. Le 19 mars, Bou-Baghla attaqua la Zaouïa-de-Chellata et en chassa le marabout Sy-benAly-Chérif notre allié. Les rassemblements menaçants, formés en face des troupes de la subdivision d'Aumale, devinrent tellement agressifs, qu'il fallut attaquer et enlever le village de Selloum (10 avril). Bou-Baghla se retira dans le bas de la vallée de l'Oued-Sahel et, le 10 mai, se présenta devant Bougie. Une charge vigoureuse sortie de la place balaya ces bandes fanatiques jusque vers le col de Thizi, où les Mezaïa, nos alliés, les fusillèrent à bout portant.

Abandonné des contingents kabyles, Bou-Baghla avait dû s'éloigner. Mais Bougie restait bloqué à distance.

Cependant le général Saint-Arnaud réunissait à Milah une division de douze bataillons, quatre escadrons, huit pièces de montagne, en tout huit-mille hommes partagés en deux brigades commandées, l'une par le général de Luzy, l'autre par le général Bosquet. Le 11 mai, l'armée descendit du Fedy-Beïnem, en vue de l'ennemi, et enleva les retranchements du ravin escarpé de l'Oued-Dja, opération qui permit de ravager les villages des Ouled-Askar et des Ouled-Mimoun. Malgré toutes les difficultés de terrain, la division réussit à descendre vers l'embouchure de l'Oued-Kébir et à entrer dans la plaine, tout en attaquant sur son passage les plus beaux villages de la vallée. Le 16, elle bivouaquait à Djidjelli.

Le gouverneur général s'y était rendu dès le 14 pour prendre des mesures contre l'insurrection qui grandissait dans le cercle de Bougie. Le général Camou et une partie de la brigade Bosquet furent dirigés de ce côté.

Le 19, le général de Saint-Arnaud repartit de Djijelli, établit son camp à Dar-el-Guidjali, au milieu des Beni-Amran et enleva. les fortes positions occupées par des masses énormes de Kabyles. Le 19 et le 20, les ennemis perdirent près de cinq cents hommes. Ces brillants combats amenèrent la soumission des Beni-Ahmed, des Beni-Khetab et de trois grandes fractions des Beni-Amran.

Pendant ce temps, le général Camou opérait contre les Kabyles insurgés à la voix de Bou-Baghla, sur la route de Sétif à Bougie. Renforcé le 50 mai par le général Bosquet, il donna le 1er juin, une vigoureuse leçon au faux chérif, dont les bandes furent écrasées, et dont les tentes et bagages restèrent entre nos mains. Le chérif se retira chez les Beni-Yala.

De son côté, le général de Saint-Arnaud forçait, e 26 mai, les Beni-Foughal et les Bens-Ourzeddin à la soumission. A dater de ce moment, la colonne n'eut plus un seul coup de fusil à essuyer jusqu'à son arrivée à Djidjelli, le 2 juin. Sur son passage, les Kabyles s'empressaient de demander l'aman et de donner des otages.

Le 5 juin, le général de Saint-Arnaud se porta à l'ouest contre quelques tribus qui refusaient d'exécuter leurs promesses de soumission. Trois engagements brillants (9, 10 et 12 juin) forcèrent les Beni-Aissa, les Beni-Maad, les Ouled-Nabet et les Beni-Segonal à reconnaître notre supériorité.

L'Ouest pacifié et Djidjelli débloqué, tandis que le général Camou soumettait toutes les tribus du cercle de Bougie et réinstallait Sy-ben-Ali-Chérif dans sa Zaouïa-de-Challata, le général de Saint-Arnaud se portait vers l'Est pour y achever sa tâche. A partir du 19 juin, il lutta chaque jour contre des tribus nombreuses qui ne se soumettaient qu'après une résistance acharnée le 26 eut lieu un combat d'arrière-garde qui coûta cher aux Kabyles, mais qui nous occasionna aussi des pertes sensibles. Le colonel Marulaz y déploya, dans une lutte corps à corps de quelques centaines de cavaliers contre 3,000 Kabyles, une rare intrépidité.

Après le cercle de Djidjelli, le général de Saint-Arnaud entama le cercle de Collo, où il terrifia plusieurs tribus par des exécutions faites contre leurs villages et par des combats sanglants. Le 17 juillet, tout était terminé.

Presque tous les pas de notre armée, pendant cette brillante expédition, avaient été arrêtés par des difficultés qu'on ne saurait comprendre si l'on n'a apprécié, par ses yeux, la configuration tourmentée de la Kabylie: ravins profonds, cols élevés, pentes abruptes, rochers escarpés, sentiers rendus praticables la

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