Page images
PDF
EPUB

refus à la demande du pouvoir exécutif, il fallait voter sans bruit, il fallait refuser sans phrases. Sur une question semblable, la discussion, c'est le scandale. La défense comme l'attaque du pouvoir exécutif avaient peut-être manqué de mesure et de prudence, et le résultat le plus clair du vote allait être une division plus profonde entre les fractions de la majorité. L'Assemblée avait perdu une excellente occasion de reprendre l'ascendant en se montrant généreuse, et de forcer le Président de la République à se montrer reconnaissant d'un bon procédé. Elle grandissait, comme toujours, le pouvoir exécutif en lui donnant l'attitude de la victime. Un vote d'adoption eut remis pour quelque temps toutes choses en place. La Montagne eût été conséquente à ses habitudes et à ses principes en rejetant la loi; la majorité eût obéi à sa nature en l'adoptant, chacun serait rentré dans son rôle.

Une manifestation attendue de l'opinion publique suivit le rejet des frais de représentation. Des souscriptions nombreuses s'organisèrent pour donner directement au Président de la République ce que lui refusait l'Assemblée. Le gouvernement eut le bon goût et l'habileté, tout à la fois, de refuser ces témoignages de sympathie. I sut même tourner au profit de sa popularité un acte que l'opinion savait interpréter comme une vengeance mesquine. Une réduction notable de l'état de maison présidentiel suivit de près le vote et on vit avec intérêt cette résignation facile qui ne retranchait rien à la force véritable. C'était comprendre les habitudes et les mœurs de la France, fort éloignées, il faut bien le reconnaître, de la médiocrité spartiate ou américaine dans le pouvoir.

En résumé, le pouvoir exécutif avait gagné en unité, en popularité; l'Assemblée se divisait et voyait chaque jour l'opinion publique se retirer d'elle davantage. Cette disposition des masses éclairait et augmentait incessamment un besoin fondamental del la société, le besoin de durée dans le pouvoir. Comment ne s'apercevait-on pas qu'on personnifiait à plaisir, qu'on incarnait, pour ainsi parler, dans un seul homme les espérances et les aspirations de l'immense majorité d'une nation qui ne demande qu'à vivre et à travailler avec sécurité ?

Dès le 14 février, un certain nombre de membres de l'Assemblée, pénétrés des dangers de la situation, avaient formé, des débris de l'ancienne réunion de la rue des Pyramides, une réunion nouvelle, sous la triple présidence de MM. Baroche, Léon Faucher et Beugnot. Cette réunion, dite élyséenne, devint dès ce jour dans l'Assemblée, le noyau compact d'un parti.

Ailleurs, continuait de se manifester par des actes une alliance bizarre, impossible. Le 20 février, la nomination de la commission de la loi départementale et municipale donnait ce résultat étrange: Président, M. le général de Lamoricière; vice-président, M. de Laboulie; secrétaire, M. de Larcy; vice-secrétaire, M. Farconnet. Au total, deux légitimistes et deux montagnards de nuance diverse. Si l'on rapprochait ces concessions mutuelles des tendances hautement avouées de ces deux partis, on ne pouvait assez s'étonner d'une entente aussi complète entre des principes aussi ennemis. Ainsi, un des organes de la Montagne se réjouissait de voir se consommer une séparation définitive entre les deux pouvoirs, et voyait un triomphe pour la République dans ce spectacle de désordre et de déchirement.

D'autre part, un nouveau manifeste politique, parti de Venise, condamnait par la loyale affirmation de principes invariables, la conduite et les alliances présentes des légitimistes parlementaires. M. le comte de Chambord y atténuait, non sans habileté, les récentes témérités du manifeste de Wiesbaden et s'engageait à donner de sérieuses garanties aux principes modernes d'égalité et de liberté sur la forte base de l'hérédité monarchique.

Voici, dans sa teneur complète, ce document important, qui parut sous la forme d'une lettre de félicitations adressée à M. Berryer, à l'occasion de son dernier discours.

» Mon cher Berryer,

« Venise, le 23 janvier 1851.

>> J'achève à peine de lire le Moniteur du 17 janvier, et je ne veux pas perdre un instant pour vous témoigner toute ma satisfaction, toute ma reconnaissance pour l'admirable discours que vous avez prononcé dans la séance du 16.

>> Vous le savez, quoique j'aie la douleur de voir quelquefois mes pensées et mes intentions dénaturées et méconnues, l'intérêt de la France, qui pour moi passe avant tout, me condamne souvent à l'inaction et au silence, tant je crains

de troubler son repos et d'ajouter aux difficultés et aux embarras de la situation actuelle ! Que je suis donc heureux que vous ayez si bien ex primé des sentiments qui sont les miens et qui s'accordent parfaitement avec le langage, avec la conduite que j'ai tenus dans tous les temps! Vous vous en êtes souvenu; c'est bien là cette politique de conciliation, d'union, de fusion qui est la mienne, et que vous avez si éloquemment exposée; politique qui met en oubli toutes les divisions, toutes les récriminations, toutes les oppositions passées, et veut pour tout le monde un avenir où tout honnête homme se sente, comme vous l'avez si bien dit, en pleine possession de sa dignité personnelle.

» Depositaire du principe fondamental de la monarchie, je sais que cette monarchie ne répondrait pas à tous les besoins de la France, si elle n'était eu harmonie avec son état social, ses mœurs, ses intérêts, et si la France n'en reconnaissait et n'en acceptait avec confiance la nécessité. Je respecte mon pays autant que je l'aime ; j'honore sa civilisation et sa gloire contemporaine autant que les traditions et les souvenirs de son histoire. Les maximes qu'il a fortement à cœur et que vous avez rappelées à la tribune, l'égalité devant la loi, la liberté de conscience, le libre accès pour tous les mérites à tous les emplois, à tous les honneurs, à tous les avantages sociaux, tous ces grands principes d'une société éclairée et chrétienne me sont chers et saciés comme à vous, comme à tous les Français. Donner à ces principes toutes les garanties qui leur sont nécessaires par des institutions conformes aux vœux de la nation, et fonder, d'accord avec elle, un gouvernement régulier et stable, en le plaçant sur la base de l'hérédité monarchique et sous la garde des libertés publiques, à la fois fortement réglees et loyal ment respectées; tel serait l'unique but de mon ambition. J'ose espérer qu'avec l'aide de tous les bons citoyens, de tous les membres de ma famille, je ne manquerai ni de courage ni de persévérance pour accomplir cette œuvre de restauration nationale, seul moyen de rendre à la France ces longues perspectives de l'avenir, sans lesquelles le présent, même tranquille, demeure inquiet et frappé de stérilité.

>> Après tant de vicissitudes et d'essais infructueux, la France, éclairée par sa propre expérience, saura, j'en ai la ferme confiance, conuaître elle-même où sont ses meilleures destinés. Le jour où elle sera convaincue que le principe traditionnel et séculaire de l'hérédité monarchique est la plus sûre garantie de la stabilité de son gouvernement. du développement de ses libertés, elle trouvera en moi un Français dévoué, empressé de rallier autour de lui toutes les capacités, tous les talents, toutes les gloires, tous les hommes qui, par leurs services, ont mérité la reconnaissance du pays.

>> Je vous renouvelle encore, mon cher Berryer, tous mes remerciments, et vous demande de continuer, toutes les fois que l'occasion vous en sera offerte, à prendre la parole comme vous venez de le faire avec tant de bonheur et d'à-propos. Faisons connaître de plus en plus à la France nos pensées, nos vœux, nos loyales intentions, et attendons avec confiance ce que Dieu lui inspirera pour le salut de notre commun avenir.

>> Comptez toujours, mon cher Berryer, sur ma sincère affection.

[ocr errors][merged small]

1

CHAPITRE III.

LES PARTIS A L'OEUVRE.

[ocr errors]

L'utopie de la Tactique parle

Le parti républicain, ses divisions, les deux Montagnes, églises particulières, les proscrits, démocratie cosmopolite; l'idée démagogique allemande, organisation du communisme en Europe; direction veritable de la propagande anarchique en France. L'amnistie réclamée à l'Assemblée Nationale; anDiversaire du 24 février, désordres à Mâcon, à Poligny, à Montpeller, à Angoulême, à Marsillargues; manifestation anarchique de la garde nationale de Strasbourg, démission collective des officiers, rassemblements, dissolution et désarmement; interpellations à ce sujet, ordre du jour. -- Banquet des égaux à Londres, scission entre les socialistes et les révolutionnaires, M. Louis Blanc et l'État serviteur, M. A. Blanqui, toast sauvage, qui a du fer a du pain. Les réfugiés en Suisse. L'amnistie repoussée. Menées des napoléoniens, tentative avortée. Les partis monarchiques, réapparition de la proposition Creton, M. Berryer repousse l'abrogation de la lui d'exil; M. Marc Dufraisse, apologie du régicide, indignation de l'Assemblée; ajournement de la proposition Creton. fusion, attitude significative des princes d'Orléans. mentaire, M. Berryer propose le re mboursement des 45 centimes, propositions analogues; proposition de M. de Larochejacquelein relative aux officiers démissionnaires. La presse religieuse, mandement de monseigneur l'archevêque de Paris, lettre pastorale de monseigneur l'évêque de Chartres, monseigneur l'archevêque de Paris la défère au concile provin cial. Menaces à court terme, la Voix du Proscrit, exhortation à l'esprit révolutionnaire en Ita'ie et en Autriche; essai de révolte armée en France, les passions politiques et religieuses dans le midi, sociétés secrètes, affilia tions découvertes; racine des sociétés secrètes, comité révolutionnaire de Londres, union des communes, communi-me pur, doctrines sanguinaires ; organisation d'une propagande à Paris, Bulletins du Comité de résistance; arrestation de quelques meneurs Caractère de l'insurrection future, dissensions entre les chefs, Barbésiens et Blanquistes. Les théoriciens démocrates, comité parisien pour la révolution espagnole, les blasphèmes de l'apostat Gavazzi, M Ledru-Rollin et J.-J. Rousseau. Exploitation habile des folies révolutionnaires, le spectre rouge, jaquerie ou dictature. → L'opinion publique à Paris, apathie profonde. Tentative avortée d'émeute, suspension du cours de M. Michelet. L'ense guement officiel anarchie mo.ale, professeurs d'athéisme; réaction religieuse, progrès de l'enseignement catholique.

[ocr errors]

Ce serait retracer d'une façon bien incomplète l'histoire des

partis en France, que d'en prendre les traits dans l'Assemblé Nationale seulement, ou dans les régions officielles du pouvoir exécutif. L'administration à tous ses degrés, la presse sous toutes ses formes, l'opinion publique dans ses rapports avec les sentiments et les intérêts des masses ou avec les passions et les calculs des partis militants, voilà les sources véritables d'une histoire de la France pendant cette année si féconde en agitations morales et en événements imprévus.

Au moment où se dessinait, comme on vient de le voir, l'antagonisme des deux pouvoirs, un seul parti travaillait avec éclat pour la réalisation d'un avenir prochain. Le parti républicain, ou pour mieux dire le parti socialiste, car celui-ci avait absorbé celui-là, nouait avec une patiente énergie les fils du tissu, dans lequel il comptait, à un jour donné, envelopper la France. Ce n'est pas dans les régions parlementaires qu'il eût fallu chercher la direction suprême de cette conspiration savante. Car, là aussi, triste signe des temps, le parti extrême lui-même était divisé. On y comptait deux Montagnes, l'une composée de vingt-cinq, l'autre de quatre-vingt-cinq membres, l'une politique surtout, l'autre exclusivement socialiste. Encore ne faut-il pas oublier quelques églises particulières comptant presque autant de chefs que de soldats. Et, en dehors de l'Assemblée, le parti des proscrits, fier de ses épreuves, les considérant comme des titres, prétendant à gouverner de Londres l'ensemble des mouvements de la démocratie et suivant d'un œil jaloux et sévère, ceux qu'il appelait dans la Voix du Proscrit: « Les gagistes du suffrage universel. »

Enfin, pour compléter le tableau, une sorte de démocratie européenne, mobile, circulante, comme disait lord Palmerston (circulating); c'était comme l'armée cosmopolite de la révolution moderne.

Parmi les émigrés du Coblentz révolutionnaire, les Allemands avaient sur tous le mérite de la sincérité. Ils allaient franchement jusqu'au lout de l'idée démagogique. On le vit par un compte-rendu de l'autorité centrale, comité secret établi à Londres. Cette espèce de rapport était adressé à une association secrète communiste, qui étendait ses ramifications sur toute la

« PreviousContinue »