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On se rappelle ces incidents d'une triste vulgarité : l'affaire de M. Mauguin et celle du prétendu complot Alais. Dans la première, le pouvoir législatif avait peut-être, avec quelque violence, dépassé les limites de son droit et froissé inutilement le pouvoir judiciaire par l'élargissement forcé d'un représentant arrêté en vertu d'un jugement régulier. Cette excursion imprudente sur le terrain d'un pouvoir respectable avait irrité les amis de la légalité et donné quelque apparence de raison à ceux qui se plaignaient d'une atteinte semblable à l'indépendance du pouvoir exécutif. Quant au complot ridicule inventé par un agent inférieur, la haute position des deux hommes qu'on avait dit menacés ne servait qu'à rendre plus éclatante l'absurdité de l'invention, et aussi à montrer dans tout son jour la maladresse malveillante qui avait voulu s'en faire une arme de parti.

La décision sur la mise en liberté de M. Mauguin, témoignait d'autant mieux des dispositions peu bienveillantes d'une portion considérable de la droite, qu'elle avait été improvisée, en quelque sorte, contre le ministère, sans nécessité évidente. Un ajournement à la prochaine séance, comme le demandait M. le ministre de la justice, n'eût compromis sérieusement aucun grand principe. M. de Vatimesnil, en invoquant, pour appuyer la proposition un peu absolue sans doute de M. de Larochejaquelein, le principe de l'inviolabilité parlementaire, avait été conduit à exagérer les faits. Peut-être la magistrature, dans le silence de la constitution, avait donné une interprétation trop restreinte, trop littéraire à l'inviolabilité du représentant. Mais qui eût pu croire qu'il avait été dans sa pensée de porter atteinte à la souveraineté législative ?

Une disposition légale rendue par l'Assemblée eût donc autant, et plus peut-être maintenu les droits de sa souveraineté, que l'acte qui avait brusquement cassé un jugement régulièrement rendu.

Mais en vain, on se le rappelle, M. le ministre de la justice, réservant le principe, s'était placé sur ce terrain; en vain il avait insisté pour que l'Assemblée donnât une forme moins âpre à sa pensée. Les préoccupations politiques l'avaient emporté et on avait eu ce triste spectacle d'un questeur faisant ouvrir de haute lutte les portes d'une prison pour dettes.

Le parti pris était d'autant plus évident en cette circonstance que, deux ou trois jours après, divers représentants déposaient des propositions tendant à faire fléchir le principe de l'inviolabilité parlementaire devant le droit légitime du créancier. Et il semblait que l'Assemblée dût s'y montrer favorable dès qu'elle aurait à rendre une véritable décision législative, en dehors des passions du moment.

Dans la situation que le débat du 28 décembre, compliqué de la résolution prise, le 29, par le bureau, au sujet du maintien de M. Yon, faisait au ministère vis-à-vis de l'Assemblée, il ne pouvait se maintenir que par un vote qui effaçât d'une manière éclatante les derniers dissentiments. Mais la première séance de l'année nouvelle retrouva l'Assemblée dans les mêmes dispositions d'hostilité mal déguisée.

Bientôt la majorité donna au ministère une nouvelle preuve d'un mauvais vouloir dont la démission des ministres devenait l'impérieuse conséquence.

Un journal dévoué au pouvoir exécutif (la Patrie) avait publié un ordre du jour, contenant des instructions à l'armée de Paris sur la conduite qu'elle aurait à tenir en cas d'émeute. M. Jérôme Napoléon Bonaparte présenta, le 3 janvier, une demande d'interpellations à adresser au sujet de ces instructions. Bien qu'on en eût attribué toute la responsabilité à M. le général Changarnier, il était évident que c'était, avant tout, au supérieur hiérarchique, au ministre de la guerre, que revenait la responsabilité des faits.

Il y avait là un scandale à exploiter, quoique ceux qui saisissaient ce prétexte n'ignorassent ni à quelle époque, ni dans quelles circonstances avaient été données ces instructions, si tardivement incriminées. M. le ministre de la guerre, auquel se réunit M. Baroche, réclama l'ajournement des interpellations à trois jours, pour avoir le temps de vérifier l'origine et l'authenticité de cette pièce. Mais M. le général Schramm n'était en cause que pour la forme, et la chambre, moitié curiosité, moitié désir d'aviver le conflit, autorisa les interpellations séance tenante.

M. Napoléon Bonaparte ne négligea rien pour engager une querelle entre l'Assemblée et le général Changarnier. Il insista sur

les termes étranges de ce document, négligeant de dire, il est vrai, quelle en était la date et quel titre il portait.

Le bruit fait autour de cette pièce nous fait un devoir de la rapporter in extenso. Ce n'était autre chose que l'ordre du jour suivant, publié dans les journaux à la fin d'octobre 1848. Depuis cette époque, cet ordre du jour n'avait cessé de figurer dans tous les livres d'ordre des légions de la garde nationale, et il avait été reproduit, dans le mois de décembre 1848, dans les livres d'ordre des corps de l'armée de Paris, lorsque M. le général Changarnier en avait pris le commandement.

<< Si, contrairement à nos espérances, la garde nationale avait encore à livrer un combat, le général en chef ne donnerait qu'un petit nombre d'ordres qu'il s'efforcerait de rendre clairs et précis ; mais les circonstances de l'engagement et les mouvements de l'ennemi pouvant obliger à modifier les dispositions premières, il convient d'informer la garde nationale que quand un officier d'étatmajor apporte un ordre, il faut que celui à qui il s'adresse lui demande :

» 1o Son nom et la présentation de sa commission, si l'officier d'état-major ne lui est pas connu ;

2o Le nom de l'officier général ou supérieur par qui l'ordre est envoyé ;

>>3° L'heure et le lieu où l'officier d'état-major a quitté l'officier général ou supérieur dont il porte un ordre.

>> Avec ces précautions prises, sans formalisme inutile, on évitera toute méprise sur les dispositions que le général a l'intention de faire prévaloir en dernier lieu.

>> Lorsqu'une légion sera fractionnée en plusieurs détachements, le chef de chacun de ces détachements pourra, pour la plus prompte exécution des ordres, les recevoir quelquefois directement par les officiers de l'état-major général, sans que ces ordres aient passé par l'intermédiaire du colonel qui sera prévenu séparément.

» Il est bien entendu que la garde nationale ne devra obéir, pendant le combat, qu'aux ordres donnés par ses chefs ou par les officiers de l'état-major général, sans tenir compte des avis, conseils ou semblants d'ordre qui pourraient être donnés par les autorités administratives ou même par des représentants du peuple.

>> La garde nationale ne devra jamais se laisser approcher de plus de cent cinquante pas par les groupes nombreux, même non armés.

» Paris, le 16 août 1848.

Pour ampliation :

» Le général commandant en chef,
Signé CHANGARNIER.

» Le général chef d'état-major général,

» PERROT. >>

Instruction pour le cas de combat.

Paris, le 4 mai 1850.

En cas d'insurrection, les troupes ne prendront les armes et ne seront mises en mouvement que pour engager le combat.

Si les troupes n'ont pas été consignées à l'avance, on réunira dans chaque corps ce qui sera immédiatement disponible et on se portera aux positions de combat, en laissant au quartier le nombre d'officiers et de sous-officiers nécessaire pour réunir les absents au fur et à mesure de leur rentrée.

Il en sera fait ensuite un ou plusieurs détachements qui seront dirigés sur leurs positions respectives, en bon ordre, avec toutes les précautions que les circonstances pourraient exiger.

Au moment où elles arriveront sur leurs positions, on rappellera aux troupes que nul ne doit s'écarter du rang, que la loi punit de mort tout militaire qui pendant le combat s'absente pour songer à sa sûreté personnelle, et que des peines très-sévères menacent également ceux qui commettent des actes de pillage.

Les corps se rendront à leurs postes marchant militairement, sans bruit de caisse ou de musique; ils seront précédés d'une avant-garde, suivis d'une arrière-garde, ne laisseront personne marcher sur leurs flancs, et encore moins pénétrer dans l'intérieur des colonnes.

Les corps ou détachements marcheront très-rapidement et sans s'inquiéter de quelques coups de fusil qui pourraient être tirés contre eux. Là où on aura le loisir de s'en occuper, il faudra envoyer de petits détachemens, très-énergiquement commandés, qui devront rentrer au pas de course dès qu'ils auront fait prompte et sévère justice des scélérats qui auront osé tirer sur les troupes.

Les troupes arrivées à leurs positions ne permettront à personne de les approcher; une ligue de factionnaires tiendra à la distance de 150 mètres au moins, non-sculement les agitateurs, mais encore les curieux; on ne laissera se former aucun groupe, même en apparence inoffensif; toute tentative pour rompre la ligne des factionnaires sera repoussée par la force. On établira des postes dans les maisons voisines situées aux angles des rues, et principalement dans celles d'où la vue pourra s'étendre au loin et dans la direction des communications importantes.

Les troupes étant en position ou même engagées, il devra être fait de fréquents appels et on veillera avec le plus grand soin à ce que personne ne sorte du rang pour entrer dans les cabarets.

De leurs positions respectives les troupes tendront à se mettre en communication avec celles qui leur sont limitrophes, par de fortes patrouilles, marchant d'un pas rapide et résolu et sans tolérer qu'il se forme aucun obstacle sur leur passage.

Dans le cas où des barricades seraient élevées, il faudrait distinguer entre deux hypothèses : si la première barricade à enlever ne présente ni un grand relief ni une grande solidité, un petit nombre d'hommes, lancés vivement, s'en emparerait probablement sans résistance, surtout en la prenant à revers, les émeutiers ne défendant pas les obstacles qui ne les mettent pas complétement à couvert; il faudrait avoir la précaution de montrer à distance des détachements de la force des sections échelonnés à de courts intervalles.

La chute d'une première barricade est bientôt suivie de l'abandon de celles qui peuvent se trouver en arrière.

Si au contraire la barricade qui fait obstacle est solide et d'un relief qui en rende l'accès difficile et meurtrier, il faut résolument et sans aucunement s'inquiéter des plaintes des habitants ni des dégâts qu'il faudra faire subir à leurs propriétés, entrer dans les maisons qui se prolongent dans la direction de la barricade, monter dans les combles et cheminer en se frayant un passage à travers les murs, peu résistants à cette hauteur, jusqu'au point d'où l'on puisse plonger dans la barricade. Il n'est pas à craindre qu'à partir de ce moment elle soit longtemps défendue.

Les hommes les plus alertes pourront, en se glissant sur les toits, arriver à des positions d'où ils prendraient les insurgés à revers; ce moyen devra être essayé chaque fois qu'il sera jugé praticable.

Il arrivera souvent que les barricades pourront être tournées, soit sur leurs flancs, soit à revers; ces mouvements exécutés judicieusement et à propos peuvent faire tomber tout à coup une résistance qui aurait paru formidable. Ils devront être tentés chaque fois que les dispositions des lieux le permettront.

Le général en chef ne doute pas qu'une fois la lutte engagée, MM. les généraux et chefs de corps ne sachent justifier l'entière confiance qu'ils lui inspirent, et qu'assurés d'avance de sa complète approbation pour les mesures les plus énergiques qu'ils pourront être appelés à prendre, ils ne sachent faire face à toutes les éventualités, et prendre l'offensive la plus vigoureuse sans attendre des ordres qu'il ne sera peut-être pas toujours facile de leur faire parvenir. Le général en chef, CHANGARNier.

Pour copie conforme :

Le général de brigade, chef de l'état-major général,

ROLLIN.

Il est vrai que, dans ces instructions, on ne trouvait aucune des recommandations suivantes très-gratuitement imaginées par le journal reproducteur: 1° N'obtempérer à aucune réquisition qu'après en avoir reçu l'ordre du lieutenant général; 2o Sans pitié pour tous les gardes nationaux pris dans l'émeute; 3o Ne pas écouter les représentants; 40 Fusiller à l'instant les traîtres; 5° Tomber sur tous ceux qui feraient courir de faux bruits, tels que la mort du général en chef; 60 Tous ceux qui s'abstiendront pendant le combat, fusillés.

Cet ordre du jour dont M. Napoléon Bonaparte faisait un prétexte de scandale, n'avait donc jamais existé. Dans aucune des instructions données, soit à la garde nationale, soit à l'armée de Paris, le droit constitutionnel de réquisition des troupes, attribué à l'Assemblée, n'avait été mis en question. En 1848, il est vrai,

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