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un système de gouvernement, il fallait compléter cet ensemble. de lois organiques, en attendant qu'on pût se livrer à un travail plus difficile, la révision de la loi fondamentale elle-même.

Parmi les lois organiques dont l'étude avait été faite avec le plus d'activité, se trouvaient la loi sur la garde nationale et la loi sur l'administration intérieure. La première fut entre la majorité monarchique et le pouvoir exécutif, l'occasion d'un nouveau conflit. De toutes les institutions qu'a léguées à la France la révolution de 1789, la garde nationale est une de celles qui ont provoqué le mouvement de réaction le plus absolu. Le 23 février 1848 a montré ce que pouvait, pour le malheur d'un pays, une faute de la bourgeoisie armée. Malgré d'incontestables services rendus depuis lors à la société, la garde nationale n'avait pu faire oublier encore cette triste responsabilité d'un jour. Aussi, le parti conservateur dans l'Assemblée nationale avait-il résolu de prévenir, par une organisation plus sévère, le retour de semblables dangers. A une armée de l'émeute, il voulait substituer une armée de l'ordre la loi qu'on préparait devait être, dans sa pensée, la loi du 31 mai de la garde nationale.

Mais l'accord d'où était sortie la loi organique du suffrage universel n'existait plus à cette entente avait succédé, des deux parts, une défiance mutuelle, peut-être également justifiée.

Quelques-uns des chefs parlementaires, désirant faire partager à l'Assemblée les défiances dont ils étaient animés, à l'égard du pouvoir exécutif, épiaient toutes les occasions de dénoncer comme suspectes les intentions de ce pouvoir. Le renouvellement triennal des élections de la garde nationale leur fournit un prétexte à des accusations nouvelles. A les en croire, le gouvernement voulait se saisir de la question, pour s'en faire un instrument de popularité, et pour présenter aux yeux du pays l'Assemblée comme l'obstacle permanent à l'extension des droits civiques.

Un projet de loi organique avait été soumis à l'Assemblée nationale le 29 juillet 1850, et bien que huit mois se fussent écoulés, les études de la commission spéciale n'étaient pas encore terminées et le rapport n'avait pas encore été déposé. Dans cette situation, la législation résultant de la loi du 22 mars 1851 et des décrets du gouvernement provisoire restait en vigueur, et,

aux termes de cette législation, les officiers de la garde nationale étaient soumis à la réélection après un délai de trois ans, à partir des élections générales qui leur avaient conféré leurs fonctions. Or les dernières élections générales ayant eu lieu le 5 avril 1848, le renouvellement de la garde nationale eut dû se faire de droit le 5 avril 1851. Mais le gouvernement et la commission avaient cru qu'il y aurait inconvénient au double point de vue de la tranquillité générale et de l'autorité de la loi organique qui se préparait, à appeler la garde nationale à procéder au choix de ses officiers, d'après une législation qui devait être profondément modifiée. Tous deux, en conséquence, s'étaient trouvés d'accord sur le principe de la prorogation des pouvoirs des chefs de la garde nationale; un dissentiment cependant s'était élevé entre eux sur le mode de conduite. Tandis que le gouvernement pensait que cette prolongation était de droit et devait résulter de la non convocation des électeurs à l'époque légale, la commission prétendait que la prorogation des pouvoirs ne pouvait être admise qu'en vertu d'une loi positive, et elle se fondait principalement sur la nécessité de couvrir ainsi la responsabilité du pouvoir exécutif; sollicitude dont néanmoins le ministère lui savait peu de gré, et derrière laquelle il soupçonnait quelque défiance.

On se rappelle que le mode d'élection de la garde nationale, avant la révolution de 1848, était direct pour tous les grades jusqu'à celui de capitaine, et à deux degrés pour les grades supérieurs.

Un décret du gouvernement provisoire avait introduit le suffrage universel direct et absolu dans la législation électorale de la garde nationale.

Or, pendant que le projet organique dont nous avons analysé les dispositions principales, était soumis à l'examen d'une commission spéciale, on répandit le bruit que le gouvernement, après avoir manifesté l'intention d'ajourner les élections de la garde nationale jusqu'après le vote de la loi nouvelle, se décidait subitement à en fixer le jour au 25 mars, conformément au décret du gouvernement provisoire.

Les partisans monarchiques de la loi du 31 mai s'émurent

de cette résolution qui atteignait, selon eux, la loi organique du suffrage universel. Est-ce donc, s'écria-t-on de nouveau, que vous voulez faire subsister côte à côte deux sortes de suffrage universel l'un régularisé, épuré pour l'élection des députés, l'autre illimité pour l'élection du Président et de la garde nationale? Est-il bien nécessaire d'imposer au pays une crise électorale? N'auriez-vous pas la pensée secrète d'abroger la loi, de diminuer tout au moins son autorité morale?

Mais, d'un autre côté, appliquer la loi du 31 mai aux élections de la garde nationale, avant qu'une disposition spéciale l'eût ordonné, c'eût été fournir un prétexte aux fauteurs de désordre et donner l'occasion de contester la première application faite en grand de cette loi.

Le 8 mars, le ministre de l'intérieur déclara renoncer à la réélection du 25 mars, mais en avançant cette fois que le gouvernement n'avait pas besoin d'être autorisé par une loi spéciale pour proroger le pouvoir des officiers et sous-officiers. Ici la commission se trouvait en désaccord avec le ministre.

Le gouvernement persistant dans cette attitude, la commission décida qu'elle soumettrait à l'Assemblée un projet de loi, tendant à surseoir aux élections jusqu'après la promulgation de la loi organique. L'urgence de ce projet transitoire fut votée le lendemain à une grande majorité (13 mars).

La discussion s'ouvrit le 15. Le gouvernement persévéra dans son refus absolu de s'associer à la présentation de la loi. Quant à la gauche, deux de ses orateurs, MM. Madier de Montjau et Jules Favre, saisirent cette occasion d'accuser l'Assemblée de violer la Constitution, de porter atteinte au suffrage universel, d'empiéter sur le droit des électeurs. Ils allèrent jusqu'à provoquer les officiers et les gardes nationaux à des manifestations séditieuses, en approuvant d'avance les protestations, les démissions et les refus de service. Auraient-ils mieux accueilli un acte du gouvernement qui aurait ajourné les élections? On en pouvait douter.

Voici, d'après le rapport de M. de Riancey, dans quel état la question se présentait devant l'Assemblée :

» Les dernières élections générales, indiquées d'abord au

18 mars, puis au 25, enfin au avril, par des décrets successifs du gouvernement provisoire, ont eu lieu, dans Paris, à cette date du 5 avril 1848, et, pour les départements, dans le courant du même mois. La période triennale imposée par la loi du 22 mars 1831 va donc expirer prochainement: il faut pourvoir à cette situation.

» Trois moyens se présentaient: avoir rendu la loi organique assez à temps pour que les élections pussent être faites d'après ses prescriptions; si ce résultat ne pouvait être atteint avant le 5 avril, faire procéder aux élections générales, d'après la législation en vigueur, c'est-à-dire d'après les décrets et arrêtés de 1848; ou, enfin, demander à l'Assemblée une loi transitoire qui, en ordonnant qu'il fût sursis aux élections jusqu'à la promulgation de la loi définitive, prorogeât pendant ce même laps de temps les pouvoirs des officiers. »

A ces trois moyens il faut en ajouter un quatrième qui eût consisté à laisser les choses dans l'état où elles étaient, les officiers conservant leurs grades et continuant à exercer leurs fonctions sans qu'il fût besoin d'une loi transitoire.

:

Il était un premier point hors de doute: c'est que la loi òrganique ne pourrait être promulguée avant le 5 avril comment se faisait-il que ce projet, déposé le 29 juillet 1830, ne fut pas, au mois de mars 1851, en état d'être discuté devant l'Assemblée ? La faute en était-elle aux événements politiques qui s'étaient succédé depuis cette époque, à la prorogation arrivée dans l'intervalle, à la nécessité où s'était trouvée la commission de recueillir de nombreux renseignements, ou bien à la lenteur des commissaires, ou enfin à la négligence du gouvernement et de ses agents, Il était difficile de le dire et de préciser, même après le débat qui eut lieu à ce sujet entre M. le rapporteur et M. le ministre de l'intérieur, de quel côté se trouvaient les torts. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce premier moyen dût être écarté tout d'abord.

Le second avait paru plus praticable, et le gouvernement s'y était d'abord arrêté; mais il se rendit bientôt aux observations de la commission; il reconnut avec elle le danger qu'il y aurait à

mettre en mouvement toute une population, alors que l'ordre et le calme étaient à peine rétablis, pour procéder à des élections qu'il faudrait recommencer quelques semaines après. La loi nouvelle d'ailleurs introduisait dans le mode d'élection de profondes modifications; elle condamnait implicitement les principes absolus posés par le gouvernement provisoire; l'application de ces principes ne paraîtrait-elle pas bizarre dans les circonstances actuelles? Ne paralyserait-elle pas d'avance les dispositions de la loi projetée, et n'enlèverait-elle pas à la discussion d'où elle devait sortir toute indépendance et toute autorité? Tels sont les scrupules qui avaient fait cesser les hésitations du gouvernement et l'avaient décidé à laisser les choses dans l'état actuel jusqu'à la promulgation de la nouvelle loi.

Or, il est une règle qui, suivant M. le ministre de l'intérieur, a toujours été admise aussi bien en matière politique qu'en matière administrative, que la Cour de cassation a consacrée dans un arrêt de 1837, que le gouvernement a plusieurs fois appliquée sous l'ancienne monarchie aux élections de la garde nationale, et qu'enfin la constitution de 1848 a elle-même reconnue. Cette règle c'est que les autorités dont l'ensemble constitue le corps politique, ne peuvent jamais subir de suspension ni de défaillance elles demeurent en exercice tant qu'il n'a pas été pourvu à leur remplacement, et c'est sous la responsabilité du gouvernement que leurs pouvoirs sont ainsi tacitement prorogés.

Tout en acceptant cette théorie comme parfaitement constitutionnelle, la commission avait cependant jugé insuffisante la solution proposée par le gouvernement. Elle avait pensé qu'il y avait plus à faire, et qu'une loi transitoire était nécessaire en droit, et en fait indispensable. Suivant elle, la responsabilité du gouvernement ne saurait être dégagée que par un acte du pouvoir législatif qui approuverait le sursis et suppléerait par une loi transitoire aux nécessités qui suspendaient l'exécution de la loi existante. En fait, il importait que les incertitudes et les hésitations jetées par certains partis dans les rangs de la garde nationale fusşent levées, que les espérances d'agitation fussent désarmées, et que la voix du législateur se faisant entendre, fit cesser tout scrupule sur la légitimité de la prorogation.

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