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En même temps se préparait, dans les régions militantes de la majorité, un autre engagement dont la loi du 31 mai fournissait encore le champ de bataille. M. Baze fut chargé de faire aboutir une proposition de guerre restée dans les cartons. Le temps était venu, selon l'honorable questeur, de se prononcer sur un point fort grave de doctrine constitutionnelle : sur la législation qui devrait régir l'élection présidentielle. Pour ne laisser aucun prétexte au mécompte ou à la surprise, un membre de la majorité, M. Desmars, voulait que l'Assemblée déclarât que la même loi électorale serait applicable à l'élection du Président de la République et à celle des représentants du peuple.

La proposition de M. Desmars fut, sur la demande de M. Baze, mise à l'ordre du jour du 28 mars.

Mais ce n'était pas là le seul point à éclaircir. M. Dabeaux proposait d'appliquer la loi du 31 mai aux élections municipales; M. Victor Lefranc demandait une enquête sur les résultats de cette même loi: enfin, M. Arnaud (de l'Ariége) en demandait l'abrogation formelle.

Pourquoi donc, disaient les auteurs et patrons de la loi du 31 mai, ne pas en finir tout d'un coup avec ces inquiétudes, avec ces attaques de toute espèce? Pourquoi ne pas faire résoudre la question du suffrage universel ou du suffrage réglé pour les élections municipales comme pour la garde nationale, comme pour l'élection du Président de la République?

C'est que, à tort ou à raison, de nouveaux doutes s'étaient élevés dans les rangs des conservateurs monarchiques sur les intentions secrètes du gouvernement.

La commission de l'administration intérieure décida, à une assez forte majorité, que la loi organique municipale, au lieu de s'en référer à la loi des élections politiques du 31 mai 1830, déterminerait elle-même les conditions des élections communales.

Dans la soirée du même jour (21 mars), la réunion des Pyramides tint séance sous le coup de l'émotion produite par cette résolution. Dans la journée, des bruits s'étaient répandus sur la formation d'un nouveau ministère: on disait la loi du 31 mai menacée. M. Godelle proposa de décider que la réunion n'ac

corderait son concours qu'à un ministère dont la ferme résolution serait de maintenir, sans aucun changement, la loi du 31 mai 1850, parce que la moindre modification apportée à cette loi atténuerait l'autorité morale dont elle devait rester entourée et ouvrirait la voie à d'autres changements sous l'effet desquels elle finirait bientôt par s'écrouler. MM. Heurtier, Chasseloup-Laubat et Denjoy, qui faisaient partie de la commission d'administration intérieure, se rencontrèrent dans ce conseil donné à la réunion: que tous ceux d'entre vous qui regardent la loi du 31 mai comme une condition de salut pour le pays, se tiennent sur leurs gardes et s'apprêtent à la défendre; car, évidemment, la majorité de la commission semble disposée à l'affaiblir et à préparer sa ruine.

MM. Léon Faucher, Baroche, Lestiboudois, Janvier, Lebeuf et Drouyn de Lhuys prirent ensuite la parole, et firent ressortir la nécessité de ne rien décider qui pût être regardé comme de nature à porter, même indirectement, la moindre entrave à la liberté du chef du pouvoir exécutif dans le choix de ses ministres; mais il fallait, ajoutèrent-ils, « déclarer hautement que la réunion était plus que jamais convaincue, en considérant l'état actuel du pays et les dispositions des partis dans l'Assemblée, de la nécessité de maintenir intacte la loi du 31 mai, considérée comme elle doit l'être et comme elle le fut par ceux qui l'ont votée, c'està-dire comme une loi destinée à régler toutes les élections qui doivent avoir lieu en vertu du suffrage universel, et qui restera comme le véritable titre de l'Assemblée législative à la reconnaissance du pays. » La réunion s'associa tout entière à l'expression de cette opinion, et c'est à l'unanimité qu'elle prit la résolution sui

vante :

« La réunion déclare qu'elle est résolue à maintenir, dans son intégralité, la loi du 31 mai 1850 comme loi organique des élections politiques, départementales et municipales. »

Deux jours après, la réunion des Pyramides chargeait M. Léon Faucher de demander la mise à l'ordre du jour très-prochaine des différentes propositions qui avaient été présentées concernant la loi électorale du 31 mai. Cette détermination avait pour but de faire vider le plus tôt possible les questions qui avaient été soulevées. On voulait que l'Assemblée, en déjouant les attaques

débat sérieux n'était possible qu'au cas où le gouvernement aurait contredit ces conclusions; mais le ministre de l'intérieur prit tout d'abord la parole pour renouveler la déclaration qu'il avait déjà faite de la conformité de sentiments du pouvoir exécutif et de l'Assemblée nationale, sur l'application d'une loi électorale unique pour l'élection présidentielle, et pour les élections législatives. Quelque précises et explicites que fussent les paroles du ministre, l'Assemblée, tout en repoussant la prise en considération de la proposition de M. Desmars, crut devoir les constater officiellement par le vote d'un ordre du jour motivé que présenta M. de Vatimesnil. Quoique le fond même de la discussion se fût pour ainsi dire dérobé, la physionomie de cette séance fut assez vive pour qu'en des temps plus calmes, où on ne se fût pas habitué aux émotions journalières du parlement, elle eût pu prendre rang parmi les plus intéressantes. On remarqua surtout le soin avec lequel fut écartée des termes de l'ordre du jour motivé, l'indication de la loi du 31 mai.

L'ordre du jour était conçu en ces termes : « L'Assemblée, après avoir entendu la déclaration faite au nom du pouvoir exécutif, adoptant les motifs développés dans le rapport de la commission d'initiative, décide qu'il n'y a pas lieu de prendre la proposition en considération, et passe à l'ordre du jour. »

M. Dupont (de Bussac) déclara, au nom de la Montagne, que les partisans du suffrage universel ne pouvaient s'associer à l'ordre du jour, sans approuver indirectement la loi du 31 mai. Aussi, la Montagne ne prit pas part au scrutin, et l'ordre du jour fut adopté par 466 voix contre 21 (26 mars).

Quelques jours après, 3 avril, comme pour mieux marquer l'attitude de la Montagne, et montrer dans quel intérêt, et au nom de quelles défiances diverses elle repoussait la loi du 31 mai, M. Pascal Duprat déposait la proposition suivante :

» Art. 1er. Tout individu qui, par ses discours, ses écrits ou une manœuvre quelconque, aura provoqué ou soutenu, pour l'élection présidentielle, l'une des 'candidatures interdites par l'art. 45 de la Constitution, sera puni d'une amende de 1,000 à 5,000 fr. et d'un emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus, avec privation des droits civiques pendant dix années. La peine scra doublée s'il s'agit d'un simple fonctionnaire. De la part des fonctionnaires

supérieurs, des ministres et du Président de la République, l'acte sera considéré comme un crime de haute trahison.

» Art. 2. Il ne sera tenu aucun compte, après le vote, des bulletins qui violeraient la disposition ci-dessus du pacte constitutionnel. Ces bulletins seront déchirés sans qu'il puisse en être fait mention dans les procès-verbaux, et il sera retranché autant de voix du chiffre des votants.

Art. 3. En cas d'infraction, les membres des bureaux seront punis correctionnellement d'une amende de 500 à 3,000 fr. et d'un emprisonnement de six mois au moins et de trois ans au plus. Ils pourront être privés pendant cinq ans de leurs droits civiques.

>> Art. 4. La présente loi, suivie de l'article 45 de la Constitution, restera affichée dans toutes les comunes de la République jusqu'à la prochaine élection présidentielle. »

Au milieu de toutes ces luttes, la crise ministérielle durait toujours, et le ministère provisoire n'avait pu encore faire place à un ministère définitif. Le 31 mars, une note publiée dans les journaux semi-officiels, annonça que les diverses combinaisons ministérielles essayées par le Président de la République, avaient successivement et définitivement échoué. Résultat déplorable! s'écrièrent les partisans attardés du régime constitutionnel. S'en tiendra-t-on là? A-t-on fait tout ce qu'il fallait faire pour constituer un ministère sérieux, définitif? Est-ce que le ministère transitoire en serait réduit à passer à l'état de ministère définitif? Si on l'a toléré dans sa première forme et dans ses conditions annoncées, pourrait-il suffire à la responsabilité d'événements graves? C'était là tout simplement se tromper d'époque et déplacer, soit à plaisir, soit par suite de préjugés vieillis, la base de la responsabilité nouvelle. On faisait entendre encore que si la note communiquée tendait à préparer la reconstitution du ministère du 31 octobre, ce rajeunissement d'une administration tombée sous le blâme de la Chambre serait un acte de bon plaisir tout à fait inadmissible. Et on s'adressait solennellement au Président de la République on faisait appel à son patriotisme, à son honneur, à sa conscience. La conclusion cachée sous ces prémisses était la nécessité, pour le pouvoir exécutif, de se livrer, sans conditions, aux diverses nuances réunies de la majorité parlementaire; c'était de revenir au 10 décembre 1848, et de recommencer le gouvernement du parti de l'ordre.

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On se complaisait dans ces plaintes assez transparentes quand, enfin, la crise arriva à son terme.

Le 10 avril, les démissions de MM. de Royer, de Germiny, Brenier, Giraud, Schneider, Vaïsse et Vaillant furent acceptées, et le ministère se trouva ainsi composé :

MM. Rouher, garde des sceaux, ministre de la justice;

Baroche, ministre des affaires étrangères;

Le général Randon, ministre de la guerre ;

De Chasseloup-Laubat, ministre de la marine ;
Léon Faucher, ministre de l'intérieur;

Magne, ministre des travaux publics;

Buffet, ministre de l'agriculture et du commerce;

Dombideau de Crouseilhes, ministre de l'instruction publi

que;

Achille Fould, ministre des finances.

Enfin, après trois mois de provisoire et de négociations, on avait donc un ministère.

Les partisans sincères de l'ordre et du gouvernement s'en réjouirent. Ils ne voyaient pas sans doute dans le nouveau cabinet la réunion d'aptitudes spéciales, qui eût été désirable en ces temps difficiles, mais enfin c'était déjà beaucoup que de se retrouver dans une situation régulière.

Quant aux puristes de constitutionnalisme, ils faisaient leurs réserves.

Vous n'êtes pas encore, disaient ceux-ci, un ministère vraiment parlementaire. Vous êtes seulement quelque chose de plus qu'un ministère transitoire. Nous voyons bien dans vos rangs quelquesuns des membres du cabinet renversé en janvier par la Chambre, et qui représentent la fraction la plus considérable de l'ancienne majorité. Mais il n'est pas un parti qui puisse se croire complétement engagé par ses représentants dans votre réunion. Et puis, ajoutaient les autres, vous n'êtes pas une bien robuste association d'éléments politiques. Vous êtes honorables, sans doute, courageux, pleins de bonne volonté mais on cherche un homme à votre tête; la gravité des circonstances exigeait un chef politique autorisé. Ministère décapité, s'écriaient les parlementaires; ministère de provocation, ministère de défi, disait la Montagne !

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