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DROITS CIVIQUES ACCORDÉS AUX JUIFS.

qui demandaient que la France nouvelle ne demeurât pas en arrière de l'ancienne monarchie qui avait accordé, par des lettres patentes, aux juifs portugais, espagnols et avignonnais, fixés dans le midi de la France, les droits de citoyens actifs. L'Assemblée ne put que confirmer une demande si juste par son décret du 28 janvier 1790; elle maintint encore l'ajournement pour les juifs allemands. Les juifs de Paris, qui, dans cette grande ville, avaient obtenu de l'opinion publique plus éclairée l'égalité sociale, dont on leur refusait encore la consécration lé gale, présentèrent le même jour une pétition fortement appuyée par le représentant Godard, avocat au parlement. Le président se borna à les féliciter sur leur bonne conduite, ce qui n'engageait à rien. Ils eurent cependant les honneurs de la séance, et la pétition dans laquelle ils plaidaient leur cause avec fermeté et modération fut insérée au Moniteur. Ils établissaient que la France devait par justice et par intérêt accorder sans retard à tous les juifs les droits de citoyen, parce qu'ils étaient domiciliés dans cet empire, et qu'ils servaient leur patrie de tous les moyens qui étaient en leur pouvoir. « Il ne peut y avoir, disaient-ils, que deux classes d'hommes dans un Etat: des citoyens et des étrangers; prouver que nous ne sommes pas des étrangers, c'est prouver que nous sommes citoyens, » Ils invoquaient la liberté religieuse et rappelaient que les mêmes objections qu'on leur faisait avaient été pendant deux siècles opposées au droit des protestants. Ce ne fut que dans son avant-dernière session, le mercredi 28 septembre 1791, que l'Assemblée nationale se rendit à ces justes réclamations, mais non sans avoir astreint les juifs d'Alsace à soumettre les créances qu'ils possédaient à l'examen des directoires de leurs districts afin d'élaborer un plan de liquidation qui devait être soumis au corps législatif. Le décret en lui-même était aussi large que possible. Il portait que l'Assemblée nationale, considérant que les conditions nécessaires pour être citoyen français sont fixées par la constitution, et que tout homme qui, réunissant les dites conditions, prête le serment civique et s'engage à remplir tous les devoirs que la constitution impose, a droit à tous les avantages qu'elle

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assure; révoque tous les ajournements, réserves et exceptions insérées dans les précédents décrets rélativement aux individus juifs qui prêteront le serment civique. >>

Les comédiens n'avaient pas dû attendre aussi longtemps que les juifs la reconnaissance de leurs droits de citoyens actifs. L'Assemblée résolut la question en leur faveur dès le mois de décembre 1789, le jour même où elle fut soulevée par l'abbé Maury avec un fracas d'austérité assez étrange dans sa bouche. L'orateur oubliait que le moins respectable des comédiens c'est celui qui cache sous une robe de prêtre toutes les passions mondaines.

Ne rabaissons pas la grande œuvre de la Constituante; estimons à sa valeur une conquête aussi précieuse que l'égalité devant la loi assurée à toutes les croyances, mais n'oublions pas non plus que l'égalité ne supplée pas à l'indépendance réelle. Nous allons voir trop tôt ce qu'ont coûté à la Révolution les mesures contraires à la liberté religieuse, dans quelles agitations violentes et stériles elles l'ont précipitée, et comment elles ont poussé ses représentants à de nouvelles violences, triste cercle où une erreur fatale l'enferma trop longtemps.

CHAPITRE III

La constitution civile du clergé. L'Assemblée transformée en concile.

Le jour où l'Assemblée nationale décréta le salaire des cultes par le motif que la religion est un grand service public et que ses ministres sont des officiers de morale, elle prit par là même l'engagement d'organiser ce service public comme tous les autres; une première faute en entraînait une autre, et une généreuse assemblée qui n'était préoccupée que du désir d'établir la liberté allait lui porter la plus grave atteinte. Nous ne nions pas qu'elle ne se trouvât en face d'abus nombreux et criants, mais vouloir les réparer d'autorité quand on était le pouvoir civil et trancher du concile quand on était simplement une Constituante politique, c'était par la confusion déplorable du temporel et du spirituel, retomber dans la mortelle erreur de l'ancienne société française et consacrer le plus funeste de ses abus. Née de la coalition des philosophes et des jansénistes, la constitution civile du clergé était une intolérante revanche contre l'intolérance d'une Eglise qui avait conservé la force quand le respect lui avait en partie échappé et qui avait maintenu la bulle Unigenitus et fait brûler en Grève les écrits des libres penseurs, alors qu'elle n'avait plus la foi ardente qui est comme la sincérité du fanatisme. Nulle faute ne fut plus grave et plus déplorable par ses résultats. Elle légitima des résistances qui n'étaient qu'odieuses quand elles réclamaient le privilége d'une religion d'Etat exclusive, et qui se couvrirent du bouclier du droit dès qu'elles eurent

PROJET DE CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

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à défendre le sanctuaire; elles furent dès lors fondées à invoquer la liberté religieuse. Elles le firent avec l'habileté passionnée des partis politiques, elles s'opposèrent à toutes les institutions nouvelles, aussi bien aux sages et glorieuses réformes qu'aux abus de pouvoir. La réaction fut organisée de la façon la plus dangereuse, du moment où la Révolution réveilla par ses mesures, et réveilla pour la combattre, la conscience religieuse assoupie. Les amis les plus chauds de la liberté ont reconnu que la constitution civile du clergé avait été plutôt l'œuvre d'une secte religieuse longtemps opprimée que d'une assemblée politique. << Trouvant l'occasion favorable pour tirer vengeance de leurs oppresseurs, lisons-nous dans les Mémoires d'Alexandre Lameth; ou du moins pour les réduire à l'impuissance, les jansénistes de l'Assemblée qui étaient membres pour la plupart des parlements, concurent l'idée de faire prévaloir leurs doctrines et l'espoir d'y parvenir se fortifiait dans leur esprit par l'idée qu'ils se rapprochaient davantage des formes républicaines de la primitive Eglise. Les abus de l'Eglise semblaient appeler de promptes réformes. Profitant des circonstances, ils s'empressèrent, avec cette irascibilité qui caractérise l'esprit de leur secte, de reconstituer entièrement le clergé sur de nouvelles lois, de faire revivre les usages des premiers temps du christianisme pour l'élection des évêques, de conformer les circonscriptions des diocèses à celles que l'Assemblée avait établies pour les départements et enfin de soustraire l'Eglise de France à la domination ultramontaine. A l'aide de ces idées de régénération qui, sous plusieurs rapports, avaient un but utile, les jansénistes parvinrent à entraîner l'Assemblée dans une discussion et, par suite, dans des fautes qu'elle s'est d'autant plus reprochées qu'elle en avait entrevu les conséquences 1. » Il faut sans doute, dans cette sévère appréciation, faire la part de l'homme du monde, qui ne discerne pas les grands côtés du jansénisme, mais il ne se trompe pas dans son jugement. Les jansénistes exerçaient l'influence prépondérante dans le comité ecclésiastique et le projet de la

1. Histoire de l'Assemblée constituante, par Alex. Lameth, II, p. 364-368.

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PROJET DE CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

constitution civile fut présenté à l'Assemblée par Martineau, qui était l'un des adhérents les plus respectés de la secte. Ce fait seul montre combien la discussion qui allait s'ouvrir dépassait la compétence d'une assemblée politique. Celle-ci devait se transformer en arène théologique, et les deux grands partis qui avaient divisé l'Eglise de France allaient se rencontrer dans un combat de doctrine dont les disciples de Voltaire et de Rousseau seraient les juges.

Avant de résumer le débat ouvert le 27 mai 1790 sur la constitution civile du clergé, donnons une rapide analyse du projet de loi. Il se divisait en quatre titres. Le premier, concernant les offices ecclésiastiques, substituait à l'ancienne circonscription de l'Eglise de France une circonscription entièrement nouvelle modelée sur la division du pays en quatre-vingt-trois départements. Tous les anciens évêchés qui étaient en dehors des désignations du projet de loi étaient supprimés. Le royaume ne comptait plus que dix arrondissements métropolitains. L'art. 5 était ainsi conçu: « Il est défendu à toute Eglise ou paroisse de l'empiré français, et à tout citoyen français de reconnaître, en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit, l'autorité des évêques ou métropolitains dont le siége serait établi sous la domination d'une puissance étrangère, ni celle de ses délégués résidant en France ou ailleurs. » La portée d'un tel article est facile à saisir; c'était presque le renversement de l'autorité papale. Tout le nombreux et dispendieux état-major de l'épiscopat et de l'archiepiscopat était supprimé ainsi que les titres et offices non compris dans la Constitution, tels que prébendes, canonicat, abbaye, prieurés, etc. L'église cathédrale devenait une église paroissiale. Les séminaires ne devaient pas dépasser le nombre des évêchés. Mais la mesure la plus grave de ce titre était celle qui transformait radicalement le pouvoir épiscopal en lui enlevant l'autorité souveraine dans le diocèse et en lui donnant un conseil habituel et permanent composé des vicaires et des directeurs de séminaires. sans le secours duquel il ne pouvait accomplir aucun acte de juridiction en ce qui concerne le gouvernement du diocèse et du séminaire (art. XV). Les paroisses étaient réduites comme les

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