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LA CONSTITUTION CIVILE FIDÈLE A L'ANCIEN RÉGIME. 123 de commandement divin et de foi. Mais s'il s'agit d'une chose qui ne soit pas de nécessité au salut, et qui tende seulement à une plus grande perfection, il faut qu'elle cède aux lois et aux nécessités de l'Etat. En effet, tout ce qui n'est pas de nécessité au salut, mais qui est seulement d'une plus grande perfection, n'est point de l'exprès commandement de Dieu, c'est seulement un conseil. Au contraire, les lois de l'Etat sont de l'exprès commandement de Dieu qui nous ordonne d'obéir aux princes, et elles sont par conséquent d'obligation pour le salut lui-même 1. Certes la latitude laissée à l'Etat par cette nouvelle théorie du salut semble assez grande; cependant de peur qu'il n'y ait quelque méprise dont profite la liberté de la religion, le juriste de l'ancienne monarchie revendique avec énergie tous les droits particuliers qui lui paraissent revenir au roi. Il est très difficile de discerner ce qui reste à l'Eglise, sinon un droit abstrait et sans application. Ainsi elle doit faire annoncer sa doctrine; le prince séculier ne saurait légitimement l'en empêcher, mais il n'est pas de nécessité absolue que l'Evangile soit prêché par un tel prédicateur, à un tel lieu et à de telles heures. « Or, dans l'intérêt de l'Etat, le roi a le pouvoir de régler le choix de la personne, ainsi que le lieu et le temps de la prédication *. » La prière est de droit divin en quelque sorte, mais quand elle se manifeste par des formes spéciales d'une manière collective, c'est à l'Etat qu'il appartient de la régler ou de l'autoriser. Les conciles sont nécessaires à l'Eglise, mais c'est au prince à les convoquer, à les accepter et même à les dissoudre quand ils causent du trouble. La prêtrise est indispensable à la société religieuse, mais le prince en détermine les conditions. Il n'y a pas jusqu'au sacrement dont il ne surveille la célébration, et ne prévienne les abus possibles. Enfin, chose remarquable, la nécessité du serment politique est nettement articulée pour les ecclésiastiques. « Dans l'ordre surnaturel il est indubitable que Dieu a établi son Eglise au-dessus de tous les Etats, mais l'ordre

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124 LA CONSTITUTION CIVILE IDÈLE A L'ANCIEN RÉGIME.

surnaturel n'étant que pour les choses surnaturelles et divines il ne concerne que les choses surnaturelles; hors la foi, tout le reste est naturel et humain ; il faut donc suivre l'ordre naturel dans le reste. Quel est cet ordre? C'est que le membre obéisse au chef, je veux dire que l'Eglise qui est un membre de l'Etat s'assujettisse aux lois du magistrat politique. » Là où le magistrat ne suffit pas ou doit se retirer, le protecteur paraît avec toutes les garanties de mysticité qu'il offre à l'épouse du Christ et ainsi le réseau est si bien ourdi qu'il n'y a plus place pour une seule liberté. D'après notre maître des requêtes, l'Eglise ressemble à un vaisseau; le gouvernail est aux mains de l'autorité spirituelle, mais le capitaine, qui seul fait marcher la manoeuvre en imprimant une crainte salutaire, c'est l'Etat. Cette comparaison digne d'un conseiller de Louis XIV révèle suffisamment l'esprit du système. On pouvait prévoir ce que ferait le capitaine dans un jour de péril et de tempête. Les mesures les plus hardies de la Révolution française à l'égard de l'Eglise étaient ainsi justifiées d'avance au point de vue de la plus pure tradition monarchique.

Mais personne ne faisait ces réflexions. On était rangé en deux camps profondément séparés; d'un côté les novateurs qui l'étaient trop peu et d'un autre côté les représentants de l'ancienne société. Ceux-ci s'imaginaient que l'on en avait renversé les bases tandis qu'on tournait contre eux les maximes de leurs pères. Aussi leur exaspération ne connaissait-elle plus de bornes, et dans toute la France la résistance, déjà frémissante depuis le vote sur les biens du clergé, s'organisait et allait pousser l'Assemblée à de nouvelles violences et à de nouvelles iniquités.

CHAPITRE IV

Premières résistances du clergé. — Troubles à Nîmes et à Montauban. serment politique imposé au clergé. - Scène pathétique à l'Assemblée. Adresse de Mirabeau à la nation. Pamphlet de Camille Desmoulins.

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L'esprit de liberté, nous l'avons reconnu, avait visité plus d'un presbytère et plus d'un cloître à la fin du dix-huitième siècle. Il s'était même imposé avec toute la puissance d'une opinion triomphante à quelques hauts dignitaires de l'épiscopat. Nous pensons encore qu'on eût pu, sinon rallier entièrement l'Eglise de France à la cause des grandes réformes, éviter au moins de la blesser au cœur et d'y soulever la plus invincible des résistances, celle qui s'appuie sur les scrupules de la conscience. La majorité de la chambre du clergé s'était ralliée au tiers avant même que le roi eût parlé. Ce succès considérable conseillait une politique mesurée, prudente, pleine de ménagements pour des alliés aussi utiles et dont l'influence pénétrait si loin dans toutes les classes de la société. Nous avons vu que la politique contraire fut suivie par l'Assemblée nationale et qu'elle se laissa promptement emporter à des mesures radicales qui devaient irriter profondément la portion du clergé que des passions démocratiques très vives ou des rancunes jansenistes trop justifiées n'avaient pas placée en tête de la Révolution. L'opposition cléricale était particulièrement dangereuse parce qu'elle était tout organisée, tout armée. Aussi excita-t-elle les plus vives alarmes et les plus ardentes colères; elle poussa l'Assemblée à s'opiniâtrer dans ses fautes, à se porter sans délai aux extrêmes et à faire des lois, comme on fait la guerre, avec l'unique préoccu

126 LA GUERRE ÉCLATE ENTRE LA RÉVOLUTION ET LA RELIgion.

pation d'écraser un puissant adversaire. Pour comprendre que l'Assemblée en soit venue à imposer le serment politique aux ecclésiastiques, il faut avoir suivi dans les provinces les progrès de la réaction religieuse dont le pape prit l'initiative.

Ce fut la Révolution qui commença la guerre. Le peuple de Paris, d'abord assez favorable aux prêtres, s'accoutuma promptement à voir dans leur costume un symbole de l'ancien régimc et après les événements d'octobre il se montra très disposé à les insulter. Grégoire se plaignit amèrement dans la séance du 8 octobre 1789 de ce que, méconnaissant le patriotisme des curés, le peuple de Paris les outrageait et leur adressait les menaces les plus effrayantes. Il demandait que l'Assemblée fit des proclamations spéciales pour la sûreté des députés du clergé, motion qui fut rejetée sur l'observation de Mirabeau qu'il n'était point nécessaire de mettre les membres de l'Assemblée sous la sauvegarde d'un nouveau décret, après celui qui avait assuré leur inviolabilité. Dès le 15 octobre, l'archevêque de Paris qui avait dû déjà se défendre dans un mandement contre l'accusation « d'avoir soutenu auprès du roi les intérêts des riches et des puissants contre les petits et les faibles, » demandait des passe-ports et ouvrait la marche de l'émigration. Vers le milieu du même mois, un mandement insensé de l'évêque de Tréguier envenimait les luttes religieuses. Il y prenait ouvertement le parti de l'ancien régime et s'attribuait le rôle de Thomas de Cantorbéry contre des nouveautés dangereuses. Il chargeait des plus sombres couleurs le tableau des troubles civils et poussait un cri d'alarme qui était un vrai coup de tocsin en Bretagne : « La religion est anéantie, disait-il, ses ministres sont réduits à la triste condition de commis appointés par des brigands. » La liberté religieuse était stigmatisée ouvertement dans ce libelle épiscopal, qui se terminait par un appel à la coalition des nobles et des paysans contre le tiers état. Cette imprudente provocation motiva après un vif débat un ordre du jour sévère qui renvoyait l'évêque devant le tribunal chargé de juger des crimes de lèse-nation. Cette malheureuse affaire laissa dans les cœurs une vive irritation qui allait rendre bien difficile,

EFFET DES MESURES DE L'ASSEMBLÉE DANS LE PAYS. 127

dès les premiers jours, la conciliation entre la liberté et la religion. L'opposition cléricale grandit à chaque mesure nouvelle qui porte atteinte à l'ancienne organisation ecclésiastique de la France. A peine le décret du 2 novembre sur les biens du clergé est-il rendu que de toutes parts la lutte s'engage. A Toulouse, dans le Béarn, dans le Cambrésis, la noblesse et le clergé assemblent les états sur l'ancien pied comme si rien ne s'était passé en France. L'Assemblée décréta aussitôt que jusqu'à l'époque où elle s'occuperait du nouveau pouvoir judiciaire tous les parlements du royaume continueraient de rester en vacance. On résista à Rouen et à Metz; dans cette dernière ville le haut clergé avait tenu des assemblées factieuses qui montraient clairement d'où partait la résistance. Déjà on pouvait prévoir la guerre civile en Provence et les mandements des évêques soufflaient le feu à ces races méridionales si faciles à soulever. Plus on avance dans la mise à exécution du décret du 2 novembre sur les biens du clergé, plus l'opposition grandit et pousse à la révolte ouverte. Les violentes réclamations de la droite à l'Assemblée se traduisent au dehors en clameurs furieuses et en actes de violence. C'est ainsi que l'arrêté qui fut pris, après la suppression des ordres monastiques, de faire inventorier les biens des diverses maisons religieuses, mit tout le Midi en feu. Il y avait là un moyen assuré de jouer une grande scène pathétique, propre à frapper les yeux et l'imagination et à enflammer les passions religieuses. Une foule émue se pressait autour des couvents devenus soudain l'asile de toutes les vertus et la demeure de Dieu lui-même, les magistrats devaient en fendre les flots déjà grondants de sourdes colères pour aller accomplir un acte qui paraissait une abominable profanation. De là à l'émeute il n'y avait qu'un pas. Ce pas était promptement franchi dans les villes où la rivalité de deux cultes entretenait les passions religieuses, car les catholiques fervents du Midi ne pouvaient pardonner au protestantisme d'exister et de n'être plus réduit à se cacher pour échapper à la proscription. L'égalité religieuse était pour eux la grande iniquité de la Révolution.

La guerre civile éclata ouvertement aussitôt après que l'As

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