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TRANSLATION DES CENDRES DE VOLTAIRE AU PANTHEON. 183 tion aussi bien que sous celle de l'Eglise. Les hommes de 1789 sont de plus en plus impuissants dans leur résistance aux passions du peuple; ils s'en sont trop servis pour les arrêter à leur gré. D'ailleurs ils les partagent plus ou moins, tout en respectant la liberté religieuse en principe, et c'est avec effort qu'ils résistent à l'irritation où les jette la réaction cléricale. Celle-ci grandit tous les jours. Elle se propage comme un incendie sur toute la surface du pays. Ce n'est pas seulement le Midi catholique, où il est si facile de réveiller le fanatisme, qui résiste; c'est aussi le Nord plus calme, mais aussi plus énergique. De grands troubles éclatent dans la Côte-d'Or et le Pas-de-Calais. Les évêques de Gap et de Senez résistèrent avec courage à toutes les sommations d'obéir à une loi qui blessait leur conscience. Le second prit au tribunal de Castillon l'attitude d'un ancien confesseur; sa fermeté fut très admirée et eut une influence extraordinaire sur son clergé. Il obtint la rétractation d'un prêtre jureur, et il ne cessa de diriger du fond de son exil la résistance aux décrets de l'Assemblée1. Dans le Finistère, dans l'Anjou et le Maine, l'agitation des esprits ne fut pas moins grande, et dans le premier de ces départements, plusieurs prêtres furent incarcérés quelques jours. D'autres furent sous le moindre prétexte privés de leurs pensions ecclésiastiques.

La translation des cendres de Voltaire au Panthéon opérée avec ce mélange de pompe théâtrale et de sensiblerie niaise, si fréquentes à cette époque, fut un nouveau défi de la France révolutionnaire à la France catholique. Un des motifs allégués par l'Assemblée pour décerner ces suprêmes honneurs à Voltaire était qu'il avait préparé la nation à la liberté. On allait voir trop tôt quel lien secret unit l'irréligion au despotisme; cependant la majorité de l'Assemblée avait l'intention visible de ne pas sortir des bornes de la modération. Ainsi quand le cardinal de la Rochefoucauld, archevêque de Rouen, fut accusé d'avoir interdit quelques prêtres de son diocèse pour avoir prêté le serment, il fut décidé qu'il n'y avait pas lieu

1. Barruel, Histoire de l'Eglise de France sous la Révolution, p. 71.

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FIN DE L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

à le décréter d'accusation 1, après un débat court mais vif dans lequel Cazalès supplia l'Assemblée de ne pas faire le premier pas dans la voie de la persécution. Il est vrai que le vote fut notivé quelques jours après sur ce que le cardinal de la Rochefoucauld avait écrit sa lettre avant d'avoir eu officiellement connaissance de la nomination du nouvel évêque constitutionnel de Rouen. C'était annoncer à la nation qu'à l'avenir aucun délit de ce genre ne passerait impuni. Le bref du 10 mars avait été suivi de plusieurs autres qui circulaient en France et ranimaient la résistance. Dans la séance du 9 juin Thouret proposa de défendre, sous peine de dégradation civique, de publier aucun acte de la cour de Rome qui ne serait pas vérifié par l'Assemblée et promulgué par le roi. Cette proposition dans sa généralité allait jusqu'à suspendre la liberté de la presse, car elle interdisait absolument la manifestation des pensées de tout un parti sous leur forme la plus solennelle. Regnault de Saint-Jean d'Angely observa avec raison que ce qu'on pouvait empêcher c'était la publication des bulles à titre de lois du pays, mais non comme simples documents. Malouet professa cette fois encore le libéralisme le plus élevé au milieu des murmures de l'Assemblée. «Si vous avez des mosquées, dit-il, vous ne pouvez empêcher les muftis d'instruire les vrais croyants dans leur culte. La tyrannie commence là où le corps législatif dit : Cette portion du culte est légitime; celle-ci est coupable. >> L'Assemblée décida que l'interdiction proposée par Thouret serait limitée aux ecclésiastiques fonctionnaires publics. Elle se maintenait ainsi dans sa ligne de modération, suivie dans cette marche par quelques administrations départementales. Des sœurs de charité avaient manifesté quelque opposition au nouveau régime, dans le département de la Côte-d'Or; le peuple les avait menacées. Le directoire prit leur défense, mais tout en leur laissant le soin des malades il leur interdit l'enseignement qui était une fonction publique. Le ministre de l'intérieur leur écrivit une lettre sensée, où il leur demandait de

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1. Séance du 8 juin 1791,

LA FUITE DE VARENNES PRÉCIPITE LA CRISE.

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laisser à ceux qu'elles soignaient la même liberté qu'elles réclamaient pour elles-mêmes 1.

La fuite du roi arrivée à la fin de juin rendit la modération impossible; les passions révolutionnaires devinrent irrésistibles. On remarqua beaucoup dans le manifeste destiné à expliquer son départ à la nation française l'insistance avec laquelle il rappelait la pression qui avait été exercée sur lui dans les affaires religieuses. « Au sortir de sa maladie, disait-il, le roi se disposait à aller à Saint-Cloud; on s'est servi pour l'arrêter du respect qu'on lui connaît pour la religion de ses pères. Ensuite il a été obligé d'ordonner l'éloignement de son chapitre, d'approuver la lettre du ministre aux puissances étrangères et d'aller à la messe du nouveau curé de Saint-Germain-l'Auxerrois 2. » Ainsi s'accusait de plus en plus pour l'Assemblée l'alliance entre la contre-révolution et le clergé insermenté. Il n'est pas étonnant que l'opposition cléricale ait excité plus d'inquiétude et de colère à partir du jour où le roi fugitif avait ouvertement épousé sa cause devant la France et l'étranger. Un député obscur nommé Legrand, dans un rapport alarmant sur les affaires ecclésiastiques présenté le 4 août, invoqua le salut du peuple, c'est-à-dire la raison d'Etat démocratique, pour suspendre les lois de la justice et de la liberté et pour écraser ainsi la résistance du clergé réfractaire. Il osa proposer devant cette grande Assemblée qui avait voté les droits de l'homme de contraindre tous les prêtres insermentés des départements du Nord et du Pas-de-Calais, particulièrement agités à ce moment, à s'éloigner à trente lieues de ces départements, sous peine d'emprisonnement et de privation de traitement. C'était ouvrir l'ère de proscription en masse. Maury se leva aussitôt et salua ironiquement l'Assemblée en se retirant. Le moment n'était pas encore venu pour de telles mesures, fallait attendre une nouvelle législature, les hommes de 1789 ne pouvaient se déjuger d'une manière aussi inique malgré l'entraînement de leurs passions et la pression des fureurs popu

1. Moniteur du 17 juin 1791.

2, Moniteur du 22 juin.

il

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JUGEMENT FINAL SUR LA CONSTITUANTE.

laires. La proposition de Legrand fut renvoyée au comité ecclésiastique et à celui des recherches, auquel on adjoignit le comité de Constitution. Elle ne devait reparaître que sous la Législative, mais pour être singulièrement aggravée. La Constituante lui léguait également une mesure qui n'était qu'ébauchée, mais qui devait réaliser une des réformes les plus libérales et les plus utiles. C'était la séparation des actes civils et religieux. Tant qu'elle n'était pas exécutée, la liberté religieuse était sans garantie. On se contenta d'admettre le principe sur la proposition de Bailly et de la municipalité de Paris1. Le dernier jour de septembre 1791, la Constituante transmettait ses pouvoirs à cette orageuse Législative qui devait emporter la monarchie et fonder la République sur les ruines de la liberté.

Ne soyons pas injustes envers la grande Assemblée qui dans une société pleine d'abus et de préjugés eut à poser les assises d'un ordre nouveau. Assaillie de difficultés de toute sorte, en proie à des passions contraires qui s'exaspéraient mutuellement, placée en face d'une royauté dont elle se défiait, poussée par un peuple ignorant, mais las de son joug et impatient de courber ceux qui l'avaient si longtemps écrasé, elle devait toucher à toutes les questions à la fois, les résoudre sous l'aiguillon des plus pressantes nécessités, sous le feu des luttes les plus ardentes. Il n'était pas possible que dans de telles conditions elle élevât un édifice durable, car elle faisait trop souvent des lois comme on élève des batteries contre des ennemis d'un jour. Les vrais constitutionnels, ceux qui voulaient maintenir la liberté et le pouvoir et rattacher l'avenir au passé n'avaient aucune chance de réussir dans une crise aussi violente. Mirabeau, qui au fond pensait comme eux, devait racheter ses discours raisonnables par des fougues, de tribun. Il faut aussi convenir que les provocations et les menées de la droite rendaient la sagesse bien difficile. Dans de telles circonstances l'école de Rousseau avait beau jeu avec ses principes absolus, ses théories hardies, son fracas démocratique qui permettait les mesures

1. Mai 1791.

JUGEMENT FINAL SUR LA CONSTITUANTE.

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arbitraires et sa tendance si marquée à sacrifier la liberté à l'égalité. Bien que contenue par l'école anglaise et par les talents supérieurs de ses opposants, elle contribua largement à pousser la Révolution aux extrêmes et à ôter de la machine gouvernementale les contre-poids sans lesquels la liberté est incapable de résister à l'emportement des passions. Alliée au jansénisme gallican, elle entraîna l'Assemblée à ses plus grandes fautes en matière ecclésiastique. Après avoir restreint la liberté religieuse dans la déclaration des droits, malgré un incomparable discours de Mirabeau, la Constituante eut le tort de voter le régime du salaire des cultes et d'organiser un clergé fonctionnaire. Elle chercha à assujettir ce clergé au gouvernement par la constitution civile et par le serment; elle porta la contrainte jusque dans la conscience. C'est ainsi que, dans le temple même de la liberté, la vieille idole de l'Etat avait été replacée sur l'autel par des législateurs qui se croyaient de hardis novateurs et qui ressuscitaient les prétentions les plus usées de l'ancienne monarchie. Ils avaient au moins proclamé la liberté de conscience en dehors des cultes officiels, mais le peuple n'en voulait pas et elle allait disparaître dans la tempête qui grondait déjà et devait emporter le trône et l'autel. Cependant de grands droits avaient été invoqués. Un généreux enthousiasme, mêlé sans doute à d'imprudentes colères, avait animé cette grande Assemblée. C'est à elle en définitive que se rattachera toujours tout développement de la liberté dans ce pays, car si elle a tout compromis, elle a tout entrevu et rien ne remplacera jamais la flamme patriotique qui l'a dévorée. Un crible terrible allait d'ailleurs dans son œuvre séparer l'ivraie du bon grain. La démonstration de ses erreurs sur les rapports des deux puissances devait promptement résulter avec une implacable évidence des conflits qu'elle avait préparés.

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