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VIOLENCES POPULAIRES CONTRE LES INSERMENTÉS.

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religieuses se couvrant du manteau de je ne sais quel patriotisme osait admettre l'idée d'un culte dominant et d'un culte proscrit 1. » Le directoire ersévérant dans sa ligne de conduite publia une proclamation très ferme à la suite d'une odieuse agression de la populace qui avait envahi le collége des Irlandais, rue des Carmes, pour empêcher la célébration du culte insermenté, blessant ainsi à la fois la liberté civile et les droits de l'hospitalité, comme le portait la proclamation. Le directoire déclarait que les quelques mesures de précaution qu'il avait décidées pour la célébration du culte n'étaient pas applicables à un établissement fondé par des étrangers et il recommandait à la municipalité « de veiller à ce qu'il ne fût plus à l'avenir porté aucune atteinte à la liberté religieuse, ni au droit qu'a tout individu de pratiquer à sa manière et de faire exercer par qui il lui plaît le culte religieux qu'il juge à propos de préférer, quel que soit ce culte, tant qu'il ne trouble pas la tranquillité publique. » La municipalité était animée d'un tout autre esprit et fort disposée à servir les passions du peuple des faubourgs. Au lieu de se conformer à l'arrêté du directoire pris en avril, elle avait la prétention de placer chaque lieu de culte appartenant aux prêtres non assermentés sous la surveillance du curé constitutionnel du quartier. Elle n'avait permis au mois d'octobre qu'à cette condition la réouverture de quatre nouvelles églises. Une telle autorisation était dérisoire et ne pouvait être acceptée honorablement 3, car les catholiques dissidents n'étaient nullement disposés à admettre cette haute juridiction du clergé dont ils s'étaient séparés. Les violences de rues se renouvelaient tous les jours et s'attaquaient lâchement aux êtres faibles et désarmés. Au collége des Irlandais, des femmes furent fouettées au sortir de l'église. Au séminaire des Irlandais une femme fut brutalement arrachée au confessionnal. La maison des Anglaises au Jardin des Plantes

1. Moniteur dụ 11 octobre 1791.

2. Moniteur du 17 octobre.

3. Moniteur du 22 octobre.

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fut le théâtre de scènes analogues. La police municipale n'était intervenue que pour donner satisfaction à la populace en fermant les églises attaquées. Un magistrat près duquel une plainte avait été déposée, se borna à dire que le peuple n'était pas mûr. A la suite de ces outrages les catholiques de Paris non rattachés au nouveau culte envoyèrent au roi une adresse pour exposer leur triste situation. « Sire, disaient-ils, les catholiques de Paris se voient depuis plus de six mois exilés de leurs temples, privés de leur culte, en butte à tous les outrages du fanatisme sans qu'ils aient fait entendre une seule réclamation. Disciples d'un Maître qui, mourant sur la croix a prié même pour ses bourreaux, enfants d'une religion dont la première loi est la charité, et le premier bienfait la paix, ils ont cru devoir étouffer d'abord leurs plaintes et concentrer en eux-mêmes les élans de leur douleur, mais à présent que la promulgation des lois constitutionnelles a dû calmer l'effervescence des esprits, nous osons vous parler de nos droits à la liberté commune, et demander pour l'exercice de notre culte la protection des lois. Nous ne désirons, ni ne voulons que la paix ; la Constitution du royaume nous donne des droits; il est temps que nous puissions en jouir. » Les pétitionnaires avaient le tort de ne pas se contenter du libré exercice du culte public, mais de demander encore que l'Etat leur abandonnât gratuitement des temples. C'était sortir du droit commun et affaiblir leurs justes réclamations 1.

Dans les départements l'attitude du clergé insermenté était plus hardie parce qu'il était souvent soutenu par les populations. On peut s'en convaincre par la lecture du rapport rédigé par Gallois et Gensonné, qui dès le mois de juillet avaient été envoyés en mission par l'Assemblée nationale dans l'ouest de la France *. Ils trouvèrent la Vendée fort disposée à se soumettre au régime nouveau pour tout ce qui ne concernait pas la religion. « Ce peuple, disaient-ils, éloigné du centre commun

1. Theiner, I, p. 336.

2. Séance du 9 octobre 1791.

RAPPORT DE GALLOIS ET DE GENSONNÉ.

195 de toutes les résistances, disposé par son caractère naturel à l'amour de la paix, au sentiment de l'ordre, au respect de la loi, recueillait les bienfaits de la Révolution sans en éprouver les orages. Rien n'était donc plus facile que de le rattacher à la Constitution, si on eût respecté sa foi religieuse très vive et très tenace. Sa religion est devenue pour lui la plus forte et, pour ainsi dire, l'unique habitude morale de sa vie. » Ne sachant pas distinguer entre la religion et le prêtre, il crut qu'on lui arrachait sa foi quand il se vit enlever les hommes qui pour lui étaient les uniques médiateurs entre la terre et le ciel. Il s'attacha à eux avec une sorte d'affection farouche qui pouvait facilement le conduire à la révolte transformée à ses yeux en devoir sacré. Les prêtres insermentés ne se firent pas faute d'entretenir ces dispositions. L'ancien évêque de Luçon multiplia les lettres pastorales pour entretenir la vraie foi. Dans une lettre datée de Luçon, l'évêque interdit à son ancien clergé de franchir le seuil des églises profanées par les prêtres jureurs et l'invite à ouvrir de nouveaux lieux de cultes. « Dans les paroisses, écrit l'évêque, où il y a peu de propriétaires aisés, il sera difficile sans doute de trouver un local convenable, de se procurer des vases sacrés et des ornements: alors une simple grange, un autel portatif, une chasuble d'indienne, des vases d'étain suffiront dans ce cas de nécessité pour célébrer les saints mystères et l'office divin. Cette simplicité, cette pauvreté, en nous rappelant les premiers siècles de l'Eglise et le berceau de notre sainte religion, peut être un puissant moyen pour exciter le zèle des ministres et la ferveur des fidèles. Les premiers chrétiens n'avaient d'autres temples que leurs maisons. » L'évêque ordonnait que l'on tînt des registres secrets pour les actes de baptême, de mariage et de sépulture; que quand on n'avait pu se dispenser de porter le corps du défunt au cimetière d'une paroisse livrée à un prêtre jureur, on eût le soin de se retirer avec précipitation, dès qu'il souillerait de sa présence la terre sainte, et qu'enfin tout prêtre chassé de sa paroisse s'établirait à proximité pour offrir les secours de son ministère à ses anciennes ouailles. De zélés missionnaires établis au centre du pays le

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196 LA VENDÉE NE VEUT QUE LA LIBERTÉ DES CULTES.

parcouraient en tous sens pour y entretenir la fidélité au culte proscrit, et ils répandaient à profusion des catéchismes populaires qui annonçaient les plus terribles jugements du ciel à quiconque entrerait en composition avec les intrus. Nul mariage. béni par eux n'était valable, et toute cérémonie où ils avaient officié n'était plus qu'un sacrilége. Ces instructions portaient leur fruit; les familles étaient profondément divisées et les municipalités s'étaient désorganisées pour ne pas se prêter à un acte aussi abominable que de présider à l'élection d'un intrus. Le remplacement de l'ancien clergé avait été très lent et très incomplet. Dans toutes les communes où il avait été effectué l'irritation des populations était profonde; les adhérents des prêtres réfractaires ne pouvaient voir sans indignation l'ancienne et vénérable Eglise livrée à une minorité infime et même infâme à leurs yeux, tandis qu'ils étaient condamnés à des courses de plusieurs lieues pour célébrer leur culte. Les jours de dimanche et de fête solennelle on voyait des villages et des bourgs entiers déserter leurs foyers. On se figure aisément avec quelle amertume les paysans y rentraient le soir, harassés de fatigue. L'agitation du pays avait paru si inquiétante aux commissaires de l'Assemblée nationale qu'ils avaient jugé bon d'appuyer leurs exhortations sur l'excellence de la constitution civile du clergé, en cantonnant des troupes de ligne dans les paroisses les plus exaspérées. Mais les meilleurs soldats, même commandés par Dumouriez, ne pouvaient ramener la tranquillité 1. On avait besoin non de soldats, mais de liberté. Les commissaires avaient trouvé le département des Deux-Sèvres en feu ; la guerre civile n'eût pas manqué d'éclater immédiatement si l'on eût écouté les révolutionnaires exaltés qui demandaient d'interner à Niort tous les prêtres réfractaires, anticipant ainsi sur l'une des plus fâcheuses mesures de la Législative. Gensonné et Gallois eurent le bon esprit de s'opposer à ce projet insensé. Ils rassemblèrent les cinquante-six municipalités du district de Châtillon et ils furent tout étonnés de la modération de ces paysans

1. Voir le deuxième volume des Mémoires de Dumouriez, p. 126.

SOULÈVEMENT DANS LE MIDI.

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qu'on avait représentés comme des factieux. Ils demandaient simplement qu'on leur laissât leur curé. « Il est encore un point, disent les rapporteurs sur lequel tous les habitants de la campagne se réunissaient : c'est la liberté des opinions religieuses, qu'on leur avait, disaient-ils, accordée, et dont ils désiraient jouir. Le même jour et le jour suivant, les campagnes voisines nous envoyèrent de nombreuses députations pour nous réitérer la même prière. Nous ne sollicitons d'autre grâce, nous disaient-ils unanimement, que d'avoir des prêtres en qui nous ayons confiance. Plusieurs d'entre eux attachaient même un si grand prix à cette faveur qu'ils nous assuraient qu'ils payeraient volontiers, pour l'obtenir, le double de leur imposition. Ces mêmes hommes qu'on nous avait peints comme des furieux, sourds à toute espèce de raison, nous ont quittés l'âme remplie de paix et de bonheur lorsque nous leur avons fait entendre qu'il était dans les principes de la Constitution nouvelle de respecter la liberté des consciences. » Ces paroles d'un des chefs de la Gironde renferment la plus sévère condamnation de toutes les mesures de la Révolution; dans les affaires ecclésiastiques elles prouvent que la guerre civile pouvait être évitée par une pratique loyale de la Constitution. Quelle condamnation pour toute espèce de mesure de salut public! Reconnaissons que si elles violent le droit elles ne sauvent rien, pas plus la sécurité que l'honneur.

Tandis que la Vendée se préparait au soulèvement, des causes analogues amenaient les mêmes effets sur d'autres points du pays. A Montpellier la populace avait troublé la célébration de la messe par un prêtre insermenté dans l'une des églises concédées aux deux cultes. Les catholiques avaient repoussé ces indignes attaques en poussant ce seul cri: Ouverture des églises ! Liberté des cultes 1 ! C'était en appeler de la Révolution furieuse à la Révolution sage et libérale, de celle qui parlait dans les carrefours et les clubs à celle qui par la voix de Mirabeau avait proclamé la tolérance universelle. Malheureusement, tandis que les popula

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4. Séance du 17 octobre 1791,

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