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L'ÉTAT CIVIL CONFIÉ AUX MUNICIPALITÉS.

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faire constater les principales époques de la vie du citoyen, mais depuis que la tolérance a pris la place qui lui est assurée par la raison, pourquoi faudrait-il que celui qui ne reconnaît pas les ministres, quant au culte, fût obligé de les reconnaître pour faire constater son état civil? » Malgré l'opposition de quelques membres qui, comme François de Neuchâteau, redoutaient d'augmenter les troubles religieux par une innovation si radicale, la mesure fut votée en principe le 22 juin en ces termes : « Les municipalités recevront et conserveront à l'avenir les actes destinés à constater dans l'empire les naissances, mariages et décès. >> Le pays était décidément mûr pour cette réforme, car elle devait survivre à toutes ses révolutions. On regrette amèrement que les législateurs qui la votèrent en aient renié l'esprit avec tant de persévérance en confondant sans cesse le temporel et le spirituel et en poursuivant non-seulement des menées factieuses, ce qui était leur droit, mais les opinions, ce qui fut leur impar

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Ils l'expièrent chèrement quand ils apprirent que le sang des prêtres était répandu à flots dans la journée affreuse qu'on peut appeler à bon droit la Saint-Barthélemy de la démagogie. Il ne rentre pas dans notre plan de retracer, après tant d'historiens éloquents, ces scènes terribles qui nous montrent un siècle poli, bienveillant à la surface, glissant dans le sang et la boue comme pour nous rappeler quelles puissances redoutables sommeillent dans la nature humaine au repos, prêtes à en sortir déchaînées au premier appel. On pensait sans doute que les mœurs s'étaient adoucies dans toutes les classes depuis le violent seizième siècle et que la civilisation avait rogné suffisamment les ongles du tigre. Queile surprise quand on vit la populace de Paris sortir du ruisseau de ses faubourgs aussi cruelle, aussi altérée de sang que le peuple de la Ligue élevé par des moines forcenés. C'est qu'une multitude sans Dieu vaut une multitude idolâtre. Le jacobin de la philosophie athée est le digne héritier du jacobin du seizième siècle, complice de Jacques Clément. Bien loin d'excuser le premier par le second et de justifier un crime par un autre sous prétexte d'une revanche méritée, il faut réagir de toutes ses forces

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MASSACRES DE SEPTEMBRE.

contre cette effémination du sens historique et moral qui explique et atténue les faits, là où l'on doit condamner sans merci les coupables.

Nous laissons à d'autres le soin de peindre cette ville plongée dans la stupeur, close comme un vaste cachot, couverte par la loi des suspects d'un voile d'indicible terreur, parcourue sans cesse par ces patrouilles avinées qui fouillent les maisons à toute heure du jour et de la nuit et préparent ainsi le colossal assassinat que la commune a décidé. Tous les contrastes de la nature humaine apparurent alors comme cela se voit toujours dans ces événements tragiques qui la remuent jusqu'au fond: des femmes poussant l'héroïsme aux dernières limites; des bourreaux saisis d'une sensibilité soudaine aussi empressés à sauver qu'ils l'étaient à massacrer, pour retourner avec une ardeur égale à leur ouvrage, des actes sublimes, et des saturnales telles que le passé n'en avait pas connu; le dévouement le plus pur et ce qu'il y a de plus vil et de plus atroce, le massacre pour le vol; rien ne manque à ces journées dont aucun récit n'épuisera jamais l'horreur. Ce qu'il nous importe de relever, c'est que les massacres de septembre furent tout d'abord dirigés contre les réfractaires. L'une des sections de Paris, celle du faubourg Poissonnière vota ouvertement le massacre des prêtres dans l'arrêté suivant : « Considérant les dangers imminents de la patrie et les manœuvres infernales des prêtres, arrête que tous les prêtres et personnes suspectes enfermés dansles prisons de Paris, d'Orléans et autres seront mis à mort 1. >>

On n'a qu'à lire la relation si sincère et si émouvante de l'abbé Sicard pour se convaincre que les insermentés étaient les premières victimes désignées. Ce mot naïf d'un ouvrier à un prisonnier: Si tu es un prêtre, tu es flambé, est la meilleure explication de ces journées abominables. A la mairie de Paris, à l'Abbaye, à la Force, à Saint-Firmin, aux Carmes ils furent immolés en masse et les provinces firent comme Paris. A Reims, parmi de nom

1. Buchez et Roux, Histoire parlementaire, XVII, p. 411. — Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, III, p. 217.

2. Buchez et Roux, Histoire parlementaire, XVIII, p. 118.

MASSACRES DE SEPTEMBRE.

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breux prêtres massacrés, l'abbé Paquot répondit ainsi à ceux qui le pressaient de prêter le serment: « Mon choix est fait. Je préfère la mort au parjure; si j'avais deux vies j'en donnerais une pour vous, mais, je n'en ai qu'une, je la garde pour Dieu1.» Les réfractaires déployèrent dans ces circonstances le plus noble courage et refusèrent devant le fer des assassins de prononcer un serment qui eût sauvé leur vie contre leur conscience. Rien n'est plus beau dans l'histoire des martyrs que la scène des Carmes; il y eut là une émulation de saint héroïsme accompagné d'une pieuse tendresse. Le vénérable archevêque d'Arles remerciant Dieu d'avoir à lui offrir son sang, ces prêtres qui se confessent et qui se donnent le baiser de paix avant de mourir, ces réponses douces et fermes, dignes du temps d'Irénée, toutes ces manifestations grandioses d'une religion hier encore si discréditée, éclairent la fin d'un siècle incrédule d'une lumière vraiment céleste et révèlent Dieu avec une puissance extraordinaire au moment où un décret impie va essayer de bannir son culte. De tout ce sang versé s'élève une voix énergique pour dire aux détenteurs du pouvoir civil Ne touchez jamais à la conscience! C'est ainsi qu'elle sort pure et glorieuse de vos atteintes en vous déshonorant. Un grand nombre de prêtres qui avaient échappé au massacre partirent pour l'exil où ils rencontrèrent en général une hospitalité généreuse, surtout en Angleterre. Beaucoup restèrent néanmoins en France pour célébrer en secret le culte proscrit, aumilieu des plus grands périls. La Législative, que la voix de Vergniaud n'avait pu réveiller de sa torpeur depuis le commencement des massacres, allait être remplacée par la Convention, et cela dit tout.

1. Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, III, p. 307.

2. Voir tout le dix-huitième volume de Buchez et Roux; voir surtout le remarquable troisième volume de l'Histoire de la Terreur, par MortimerTernaux. Il n'y a rien à ajouter à cette enquête, qui démontre l'abominable calcul des organisateurs du massacre qui siégent au conseil des ministres avec Danton, et à la commune de Paris, l'inertie honteuse de l'Assemblée et l'ignominie des bourreaux, tout ensemble voleurs et meurtriers. M. MortimerTernaux nous permet de les prendre sur le fait les pieds dans le sang et la main dans le sac.

CHAPITRE II.

L'Église sous la Convention jusqu'à l'abolition du salaire des cultes.

Pendant la première période de la Convention, les prêtres non jureurs sont enveloppés dans la proscription qui atteint tous ceux qui paraissent rattachés par intérêt ou par principe à l'ancien régime. Il n'est pas nécessaire de prendre contre eux des mesures nouvelles, il n'y a qu'à ratifier les décrets de la Législative ou plutôt il suffit de leur appliquer les lois votées par la nouvelle assemblée, contre les ennemis réels ou supposés de la Révolution. Aussi, bien que leurs souffrances augmentent tous les jours, occupent-ils beaucoup moins de place dans les délibérations. On s'aperçoit dès les premiers jours que, sûre d'écraser le clergé non jureur, elle commence à se préoccuper du clergé assermenté, qu'elle le regarde comme un dernier rempart du privilége et de la superstition et qu'elle vise déjà à le renverser avec tout ce qu'il rappelle et représente. Nous verrons que quand le moment de frapper un grand coup sera venu, les questions religieuses seront de nouveau soulevées avec ardeur dans la presse et à la tribune.

Si nous avons été sévère pour la Législative, nous ne serons pas tenté d'être indulgent pour la Convention. Avec elle finit décidément et pour de longues années le règne de la loi. Elle n'est là que pour sanctionner le règne des clubs et des faubourgs, le règne de la sédition tumultueuse et cruelle qui la domine du haut des tribunes, d'où partent ces clameurs impératives auxquelles

CARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA CONVENTION.

247 l'Assemblée a toujours fini par obéir. Je ne trouve rien en moi pour admirer ces saturnales de la démagogie ; je les hais comme je hais la tyrannie des Césars qui fut aussi le règne de la plèbe. Quand des historiens graves plutôt que sérieux me disent qu'au travers de ces massacres la grande Révolution française avance et s'affermit, je demande quelle espèce de chimère est cette révolution qui marche avec Robespierre et Marat en 1793 comme elle marchera avec Napoléon. En tous cas ce n'est pas celle de Mirabeau et de Lafayette, celle qui proclame le droit et la liberté; ce n'est plus qu'une force aveugle et terrible qui remplace l'ancienne iniquité par une iniquité nouvelle et retourne le despotisme au lieu de le détruire. On nous répond en nous montrant le sol qui se morcelle et passe entre les mains d'une multitude de paysans et de bourgeois, donnant ainsi une base et une assiette à la société démocratique. Mais de quel droit fait-on honneur à la Convention des conséquences d'une mesure qui fut prise par la Constituante et qui date de la fameuse nuit du 4 août? Est-ce que tout ce sang répandu a vraiment engraissé les sillons nouvellement acquis? On nous rappelle les décrets philanthropiques de la Convention. Elle a élargi les hôpitaux, c'est très bien, mais ce n'était pas une raison pour agrandir les cimetières et y jeter journellement l'horrible pâture de l'échafaud. Elle a jeté les bases de nos grands établissements d'instruction publique, mais si elle eût duré, elle eût rendu la science, comme l'étude élémentaire, impossible en entretenant le pays dans la fièvre révolutionnaire. A toutes ces objections on oppose la défense héroïque du territoire. Cela est sublime; mais, comme le disait Manuel à la tribune de la chambre des députés, ceux qui se battaient aux frontières échappaient aux crimes de l'intérieur, ils se purifiaient au feu de l'ennemi. Reconnaissons d'ailleurs qu'une chose fut grande dans cette époque de la Révolution, ce fut l'énergie, mais c'était une énergie que ne dirigeait et ne contenait aucun principe moral; c'était l'ivresse d'une race puissante qui avait beaucoup à venger, beaucoup à conquérir et qu'exaspérait un suprême péril. Bienfaisante et grandiose en face de l'ennemi du dehors, elle était terrible et sans frein en présence des ennemis

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