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CONSTITUTION DE L'AN III.

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France demandait avec passion après thermidor. La Constitution de 1793 était devenue le drapeau du parti montagnard, drapeau couvert de boue et de sang dont le triomphe eût ramené la Terreur. C'est au nom de cette constitution que la représentation nationale avait été deux fois violée. OEuvre informe d'une

assemblée opprimée, elle portait l'empreinte chaude encore des passions de la démagogie. A tous ces titres elle était odieuse à une nation avide de repos. L'élaboration de la nouvelle constitution fut confiée à une commission où dominait l'opinion modérée. Daunou et Lanjuinais y siégeaient et Boissy d'Anglas en fut le rapporteur. On put s'apercevoir de suite que les dures expériences des trois années précédentes avaient renversé plus d'un préjugé révolutionnaire. Ainsi la division du parlement national en deux chambres qui avait été dédaigneusement repoussée par les constituants de 1789 ne souleva aucune opposition. Nulle voix ne protesta contre l'interdiction des grandes associations populaires qui avaient constitué pendant la première période de la Révolution un pouvoir démagogique en permanence en face des pouvoirs réguliers. On n'avait nulle envie de ressusciter le club des Jacobins, pas plus que la trop fameuse commune de Paris. Les assemblées communales furent remplacées par des administrations municipales et départementales composées de trois ou cinq membres. L'élection fut maintenue à deux degrés. Aux comités souverains émanés de l'Assemblée on substitua un Directoire composé de cinq membres nommé par les deux conseils et chargé du pouvoir exécutif, mais dans des limites de responsabilité assez étroites. Cette constitution dont nous n'indiquons que les traits généraux valait sans doute infiniment mieux que les précédentes, bien qu'elle eût encore de graves imperfections. Au fond les deux conseils étaient composés d'éléments trop semblables pour qu'on eût obtenu un contre-poids suffisant, et le pouvoir exécutif n'était qu'une commission des assemblées; il devait aspirer sans cesse à accroître sa part d'influence et d'autorité. Nous verrons quel triste régime résulta d'une organisation politique qui eût pu facilement être améliorée et donner la liberté au pays, si l'assiette morale en eût été raffermie. En ce

324 DERNIÈRE MESURE DE LA CONVENTION CONTRE LES RÉFRACTAIRES. qui concerne la liberté religieuse la Constitution de l'an III formulait les grands principes qui avaient triomphé à la Convention depuis le décret du 3 ventôse. Sur la demande expresse d'un représentant un article à part fut consacré au droit de la conscience. Il fut ainsi conçu: Tout homme est libre dans l'exercice de son culte 1. L'art. 132 du projet de Constitution portait «que nul ne peut être empêché d'exercer, en se conformant aux lois de police, le culte qu'il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'aucun culte. » André Dumont demanda que l'on rejetât ces mots de police, en se fondant sur ce que de telles lois pouvaient être insuffisantes en présence des factions déchaînées. Lanjuinais insista avec raison sur le danger qu'il y avait à ouvrir une porte à l'intolérance, toujours inséparable des lois d'exception. Il ne put malheureusement persuader l'Assemblée. Sur la motion d'un de ses membres elle ajouta à l'article proposé ces mots: La République ne salarie aucun culte. Il valait la peine de présenter de face ce grand principe, qui était l'une des conquêtes les plus précieuses et les plus chèrement achetées de la Révolution 2.

L'adoption de la Constitution ne changea rien (17 août 1795) au sort des prêtres réfractaires. Chazal, député en mission dans la Haute-Loire, s'étant cru autorisé à suspendre le décret du 20 fructidor, l'Assemblée le maintint formellement . C'est sur ces malheureux prêtres qu'elle frappa son dernier coup la veille de sa dissolution. Sous l'impression de l'émeute du 13 vendémiaire, provoquée surtout par sa décision de faire entrer dans les nouveaux conseils les deux tiers de ses membres, elle vota sur le rapport de Tallien, devenu le chef du parti violent, un décret qui écartait des fonctions publiques tout ex-noble et tout individu ayant provoqué et signé dans les assemblées primaires ou électorales des arrêtés liberticides, exigeait l'exécution rigoureuse des lois contre les émigrés et rendait exécutoire dans

1. Séance du 16 messidor an III (4 juillet 1795).

2. Séance du 30 thermidor.

3. Séance du 20 vendémiaire.

FIN DE LA CONVENTION.

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les vingt-quatre heures les lois contre les prêtres réfractaires '. Ainsi finit cette grande et terrible assemblée qui avait sauvé le territoire, mais qui avait pour longtemps perdu la Révolution en en faisant un objet d'épouvante pour le monde. Elle avait consacré de glorieux principes, accompli des œuvres admirables, mais elle n'en laissait pas moins la nation lasse, démoralisée et ne mettant rien au-dessus du repos, si ce n'est la gloire militaire. Despotique jusqu'au bout, elle avait encore déshonoré sa dernière heure par une de ces mesures de salut public qui l'avaient tant de fois poussée au crime et qui avaient porté à la liberté un coup plus mortel que toutes les forces réunies de la coalition. Les coups d'Etat allaient suivre les décrets de salut public. La voie était largement frayée à l'usurpation. Tel est le sort de toute révolution qui en mettant Dieu hors la loi et foulant aux pieds le droit de la conscience, ôte toute base éternelle à ce qu'elle a essayé de construire.

1. Séance du 3 brumaire (25 octobre 1795).

CHAPITRE II

Régime des cultes sous le Directoire 1.

La Constitution de l'an III, malgré des imperfections, aurait pu donner à la France la paix et la liberté, si elle se fût corrigée en durant, car en conservant de libres assemblées, un pays a toujours le moyen de se relever sans secousse. Malheur à lui si dans son impatience il brise ce souple instrument de progrès et de réforme ! Mais le respect d'une assemblée est inséparable du respect de la loi, lequel dépend du développement moral de la nation. Or jamais depuis le commencement de la Révolution la France ne fut aussi démoralisée que sous le Directoire. Ce qui avait manqué en 1789 ce n'était ni l'enthousiasme ni la générosité, c'étaient les principes inflexibles qui se puisent dans une sphère plus haute que celles de nos mobiles entraînements. Il n'y a de point absolument fixe chez l'homme que dans la conscience, à la profondeur où le sentiment moral se confond avec la voix même de Dieu. On sait à quel point Dieu était absent d'une révolution fille du dix-huitième siècle. Aussi quand l'heure de l'enthousiasme eut passé, après l'horrible fatigue des années que l'on venait de traverser, nul principe ferme ne demeurait debout, comme le roc du rivage, pour briser le flot des pas

1. Voir, à part le Moniteur, les volumes VIII, IX et X de l'Histoire de la Révolution, par M. Thiers; l'Histoire du Directoire, par M. de Barante; Recueil de Theiner; l'Histoire de Pie VI, par le chevalier Artaud; les Mémoires de Thibaudeau; le deuxième volume des Mémoires de Pontécoulant; le deuxième volume des Mémoires de Carnot; Correspondance de Napoléon.

HONTEUX RÉGIME DU DIRECTOIRE.

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sions populaires ou gouvernementales; le pays allait être ballotté des insurrections aux coups d'Etat, jusqu'à ce qu'un coup d'Etat mieux combiné que les autres, donnât à ces crises honteuses la solution qu'elles méritaient. L'hypocrisie républicaine mêlée de violence caractérise cette triste époque. Pour trouver une sincérité complète en dehors des prêtres proscrits qui souffrent pour leur foi, il faut descendre jusqu'aux basses régions où avec Babeuf et ses complices, la fureur démagogique hurle comme une bête fauve affamée. Les jacobins s'échauffent à froid dans leurs réunions et répètent leurs vieux discours d'avant thermidor, dans l'unique désir de ressaisir le pouvoir et de l'exploiter. Le Directoire compte deux honnêtes gens : Carnot et Barthélemy, mais il fera bientôt disparaître cette anomalie; Barras, qui unissait en sa personne les vices de l'aristocratie et les avidités insatiables de la démagogie, en demeurera l'homme influent, Rewbell en sera le politique et la ReveillièreLepaux tranchera de l'apôtre au nom de sa ridicule et intolérante théophilanthropie. On peut imaginer ce que deviendra le gouvernement aux mains de tels hommes, entourés comme tous les puissants de la valetaille courtisanesque qui ne trouve pas de meilleur moyen de les flatter que d'exagérer leurs défauts. A l'intérieur ils n'eurent qu'une politique, l'arbitraire. lls ne s'arrêtent que devant la guillotine dont la France ne veut plus décidément, mais ils sont aussi audacieux dans leur mépris de toutes les garanties légales, que le comité de salut public aux plus mauvais jours de la Terreur. A l'extérieur, un tel gouvernement sera sans bonne foi, sans modération et souverainement inhabile dans l'art de négocier, car il se montrera très disposé à traiter les congrès comme il traite les assemblées législatives. Heureusement il aura la chance de découvrir le plus grand capitaine des temps modernes, mais le Directoire ne pourra compter sur l'épée de Bonaparte, que jusqu'au jour où celui-ci aura amassé assez de gloire pour se dispenser de son contrôle et se jouer de ses ordres contradictoires. Les Français, sous le commandement de l'incomparable général, manifestent les merveilleuses aptitudes de leur race pour la guerre de conquête, vivement

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