Page images
PDF
EPUB

LE CARDINAL PACCA CONTRAIRE AU POUVOIR TEMPOREL DU PAPE. 453 aveugle qui existent presque partout contre le clergé et la cour de Rome, et que les souverains pontifes délivrés du pesant fardeau des affaires temporelles consacreraient désormais tous leurs soins au bien spirituel de leur troupeau; que l'Eglise privée de l'éclat des honneurs et des richesses ne verrait plus entrer dans son clergé que ceux qui bonum opus desiderant, et que les papes n'auraient plus tant d'égards à la naissance et aux recommandations des cours dans le choix de leurs conseillers, de leurs ministres et en général dans les promotions romaines dont on pourrait souvent dire : Multiplicasti gentem sed non magnificasti lætitiam. Enfin on n'aurait plus lieu de craindre que les décisions ecclésiastiques fussent jamais influencées par des considérations politiques et matérielles dont le poids jeté dans la balance aurait pu la faire pencher vers une condescendance excessive1. >>

Plût au ciel que cette expérience si chèrement achetée de part et d'autre par les deux puissances contractantes au concordat n'eût pas été sitôt perdue! On ne verrait pas alors, après plus d'un demi-siècle, les relations de la société civile et de la société religieuse présenter autant d'inextricables difficultés qu'au lendemain de la révolution française.

1. Mémoires du cardinal Pacca, I, p. 22, 23.

CONCLUSION

Napoléon disait en revenant de Notre-Dame, après les cérémonies qui avaient marqué la conclusion du concordat: «Maintenant la Révolution française est finie. » Cette histoire a montré combien il se trompait. Non-seulement la révolution française n'était pas finie, mais encore elle était arrêtée dans l'ornière où elle s'était engagée dès son premier jour et fixée en quelque sorte dans sa plus fatale erreur. Ce qui avait bien décidément pris fin, c'était le régime de l'intolérance et de la persécution; l'égalité des cultes au point de vue du droit était conquise à jamais. Mais en fait de vraie et sincère liberté religieuse, la Révolution était à peine commencée. A part une période courte et orageuse où la séparation de l'Eglise et de l'Etat avait été proclamée et réalisée avec un succès surprenant dans les circonstances les plus difficiles, la lourde main du pouvoir civil n'avait pas cessé un seul jour de peser sur la conscience religieuse, et comme c'est là qu'il faut chercher le ressort intime de la liberté, le despotisme avait pris la plus sûre des garanties contre toute indépendance morale. A la persécution avait succédé la protection impérieuse. Les grandes corporations du passé avaient disparu; il ne restait plus que des individus en face de l'Etat, mais des individus désarmés auxquels le droit d'association était sévèrement interdit. Rien de plus facile pour le pouvoir civil que de pétrir à son gré cette menue poussière, mais aussi le pouvoir devait apprendre bientôt combien sont fragiles les édifices construits avec de tels matériaux. Le vrai ciment manquait; car le ciment c'est la liberté et

[blocks in formation]

avant tout, la première des libertés, celle des âmes. Non, la Révolution n'était pas finie en 1801.

Elle ne l'est pas davantage aujourd'hui. Ni la liberté en général, ni la liberté religieuse en particulier n'ont reçu une consécration suffisante. Sur le premier point tous les amis désintéressés de la cause libérale, à quelque camp qu'ils appartiennent, sont d'accord; la satisfaction pleine et entière de notre situation actuelle est assez rare aujourd'hui; d'ailleurs elle ne compte pas à nos yeux pour avoir trop compté avec les plus vulgaires intérêts. Le mouvement d'opinion qui réclame des libertés plus étendues, mieux garanties, est irrésistible, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse pour l'arrêter. Ni les rigueurs, ni les faveurs ne l'entraveront un seul jour. Sur le second point la préoccupation est moins vive; on se soucie assez peu de la liberté de la religion et les libéraux qui la redoutent sont encore nombreux. Et cependant il est certain que dans la France de 1864 la liberté des cultes n'existe pas. Les lois organiques sont toujours en vigueur et mettent à la disposition de l'Etat un frein puissant pour contenir les Eglises qu'il salarie. Il est toujours armé du fameux article 291 du Code pénal rajeuni par le décret du 23 mars 1852, grâce auquel toute réunion de culte est soumise à l'autorisation préalable. L'administration ne s'est pas montrée moins pénétrée du devoir sacré à ses yeux de surveiller et trop souvent d'empêcher toutes les manifestations religieuses qui ne rentrent pas dans son cadre. Les tiraillements fâcheux qui résultent des relations traditionnelles de l'Eglise et de l'Etat se renouvellent incessamment.

L'expérience des régimes qui ont précédé le second empire paraissait suffisamment concluante. La restauration n'a-t-elle pas été en grande partie perdue par son alliance étroite avec le parti catholique le plus avancé? L'Etat et l'Eglise sont sortis déconsidérés de ce fatal embrassement politique. La monarchie de juillet n'a eu à se louer ni de ses défiances ni de ses concessions à l'égard du même parti. Ses rapports avec l'Eglise catholique ont été tendus et ont trop souvent manqué de franchise; elle n'en a retiré qu'une désaffection redoutable au moment du péril.

[blocks in formation]

Sous le nouveau régime qui a remplacé l'éphémère république de 1848, nous avons vu la rigueur suivre les avances empressées, et une lutte, sourde ou déclarée et toujours dangereuse, éclater à plusieurs reprises entre l'Eglise et l'Etat, tandis que le sentiment religieux lui-même s'assoupissait ou prenait le change en se prononçant pour une cause toute terrestre. Le choc des intérêts dans la torpeur des convictions, un mouvement d'intrigues et d'affaires dans le silence des idées, voilà le résultat le plus clair d'une situation anormale dont les inconvénients sont trop faiblement sentis.

L'âme même de la France est liée et garrottée dans le funeste réseau administratif qui l'enlace de toute part et ne permet ni à la pensée politique ni à la croyance religieuse de se produire librement en plein soleil par la parole ou l'association. Qu'on y prenne garde! cette captivité morale l'énerve, elle finirait par détourner son activité vers les mauvaises et basses préoccupations dont une littérature avilie deviendrait le signe le plus certain ou bien elle la précipiterait dans le jeu terrible de la guerre, seul capable de la distraire de son pesant ennui en bouleversant inutilement l'Europe. Il est temps d'affranchir cette âme de la France, si généreuse, si vivante, et de délivrer ce géant des liens ténus et innombrables dont il est enlacé comme s'il s'était endormi au pays de Lilliput. Voilà la noble tâche et le côté le plus élevé du libéralisme dans les circonstances présentes.

Nous voudrions à tout prix qu'il échappât au malentendu si grave qui lui a fait sacrifier le corps pour l'ombre. Les garanties constitutionnelles ont une haute valeur à nos yeux à la condition qu'elles aient vraiment quelque chose à garantir, à savoir une liberté réelle, celle du citoyen lui-même, de l'individu efficacement protégé dans l'exercice de ses droits et dans le plein développement de son activité. C'est en vain qu'on ferait et déferait des ministres à la tribune; la liberté n'y gagnerait rien si chacun de ces ministres retrouvait toute montée la machine administrative qui lui permettrait de gêner partout le libre jeu des forces individuelles, si le citoyen était toujours sacrifié à la cité. C'est la liberté comme à Sparte, à Rome et comme dans la France de

« PreviousContinue »