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ESPRIT DE LA MAJORITÉ DE L'ASSEMBLÉE.

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Nous voilà enfin parvenus avec ses secours et par des moyens qui ne comportaient ni ménagements, ni capitulation avec aucune sorte d'abus, nous voilà parvenus à notre liberté qu'on ne nous fera perdre qu'avec la vie 1. >>

Plût au ciel que cet amour de la liberté eût été aussi éclairé qu'ardent et sincère dans la majorité de l'Assemblée, surtout pour les graves questions qui étaient soumises au comité ecclésiastique ! Les résultats obtenus étaient sans doute d'une grande importance. L'Eglise n'était plus un ordre dans l'Etat, et la tolérance avait été inscrite au fronton de la constitution du pays; mais ni l'indépendance de la société religieuse, ni la liberté des consciences n'avaient été vraiment comprises et garanties. Ces premières erreurs devaient réagir de la manière la plus fâcheuse sur les délibérations qui allaient s'ouvrir au mois de novembre de l'année suivante sur l'organisation de l'Eglise.

1. Histoire apologétique du comité ecclésiastique de l'Assemblée nationale, par Durand Maillane, 1791, pages 210-212.

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Les premières réformes opérées par la Constituante n'étaient pas seulement graves en elles-mêmes, mais encore par ce qu'elles faisaient pressentir; car il n'était pas possible de s'en contenter; elles appelaient leur complément, d'autant plus que les législateurs de 1789, conformément au génie de la race française, vouTM laient reconstituer la société logiquement et rapidement en prenant leur point de départ non dans les faits mais dans les idées. La première méthode, qui est la méthode anglaise, eût exigé des ménagements envers le passé, la seconde pousse aux innovations chimériques, parce que tout semble indéfiniment possible au point de vue des principes abstraits. La réorganisation de l'Eglise de France était loin d'être achevée au mois de septembre 1789; elle semblait à peine commencée; cependant cette Eglise avait déjà perdu ses priviléges les plus essentiels, et tout d'abord celui de ne dépendre que d'elle-même pour déterminer sa dette envers le pays. Elle était tombée sous le régime du droit commun, et elle ne pouvait plus mettre ses priviléges et ses biens à l'ombre du sanctuaire en les confondant avec les choses saintes dont l'examen est interdit aux profanes. La discussion sur les dîmes était un précédent grave pour elle. Sa brusque renonciation à un si grand avantage avait donné la mesure de son effroi, mais cette renonciation même amenait la question de la propriété ecclésiastique devant l'Assemblée nationale. Il eût suffi, pour la faire surgir, des

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LA PROPRIÉTÉ ECCLÉSIASTIQUE AVANT LA RÉVOLUTION. réformes générales opérées dans la constitution de la société; l'Eglise était le plus grand propriétaire de fiefs du royaume, aussi tombait-elle sous le coup de toutes les lois nouvelles qui abrogeaient le système féodal. Elle devait à tout prix se mettre d'accord dans son organisation avec l'état social nouveau, à moins d'y demeurer comme un grand débris, une ruine colossale et incommode de l'ancien régime. N'oublions pas non plus les nécessités croissantes de la détresse financière, cet aiguillon des besoins urgents d'une nation qui dans sa marche vers ses grandes destinées rencontrait le plus vulgaire des obstacles, la disette, et que le souci du pain du jour arrêtait dès son premier élan. Le gouffre de la banqueroute s'était ouvert, à la voix de Mirabeau, sous le regard épouvanté de la France; chaque heure l'en rapprochait, et pour le combler la Révolution avait sous la main d'immenses propriétés dont les titres prêtaient à la discussion, L'instinct de conservation aussi bien que l'esprit novateur pousse la Constituante à s'occuper des biens de l'Eglise; mais l'intérêt ou le péril de la Révolution est si pressant qu'il y a lieu de craindre qu'une grande mesure d'où pourrait sortir la consécration de la liberté religieuse ne soit prise hâtivement, et qu'en supprimant le droit acquis en même temps que l'abus regrettable, elle ne soulève des résistances ardentes qui, à leur tour, s'emporteront jusqu'à la violence et l'injustice. D'un côté on voudra s'emparer de tout, de l'autre on voudra tout conserver; la conciliation deviendra impossible, la vraie solution sera peut-être retardée d'un siècle, et on n'aura en définitive ni l'Eglise libre, ni l'Etat libre.

Elevons-nous au-dessus de tous les préjugés des partis en racontant les débats et les résolutions de la Constituante sur la propriété ecclésiastique. Souvenons-nous que sous la question de propriété était engagée une question vitale de liberté.

Rappelons sommairement tout d'abord la constitution de la propriété ecclésiastique dans l'ancienne monarchie française. C'est le seul moyen de bien comprendre la discussion dont elle fut l'objet à la Constituante. L'Eglise primitive, à l'âge héroïque des persécutions, a vécu des offrandes des chrétiens, pauvrement

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LA PROPRIÉTÉ ECCLÉSIASTIQUE AVANT LA RÉVOLUTION.

et glorieusement, se contentant du strict nécessaire, et ne recherchant l'abondance que pour la sainte prodigalité de ses aumônes. Rien de fixe et de contraint dans les oblations des fidèles; elles s'élevèrent à des sommes considérables quand le christianisme se fut établi dans les grandes villes, à Alexandrie, à Carthage, et surtout à Rome. Avec Constantin il devint une religion officielle et autorisée; l'Eglise n'obtint pas seulement le droit de posséder, mais elle fut encore largement enrichie par la munificence impériale. Les héritages commencèrent à affluer; les sermons de saint Augustin signalent avec indignation de pieuses captations. On sait ce que valut à l'Eglise, vers l'an 1000, la crainte universelle de la fin prochaine du monde; il paraissait commode d'échapper au jugement de Dieu en prodiguant à ses oints des biens sur lesquels on ne comptait plus, et en donnant de larges portions d'une terre que le feu du jugement dernier allait dévorer. Le développement de la vie monacale ouvrit pour l'Eglise de nouvelles et intarissables sources de richesses, si bien que malgré des vicissitudes inévitables elle avait fini par être le plus grand propriétaire dans tous les Etats catholiques, et spécialement en France. Nous avons déjà dit à quelle somme énorme montait son revenu, à peine diminué par les dons qu'elle accordait à la royauté pour conserver l'immunité de l'impôt. Mais plus elle était devenue un corps considérable dans l'Etat, plus elle était subordonnée au pouvoir civil dans l'acquisition ou l'administration de ses propriétés. Elle était enlacée dans un étroit réseau d'ordonnances qui l'empêchaient de disposer à son gré de ses biens, et la contraignaient même à en restituer une portion au trésor royal. On s'étonne beaucoup moins des mesures hardies de la Constituante à l'égard des propriétés ecclésiastiques quand on voit à quel point celles-ci avaient été placées sous le bon plaisir du représentant de l'Etat dans l'ancienne France.

Il faut distinguer les dîmes des bénéfices, et dans les bénéfices les séculiers des réguliers. On avait longtemps discuté pour savoir si la dîme était de droit divin ou de droit humain; la Constituante avait tranché la question d'une façon sommaire, mais déjà, sous l'ancienne monarchie, les jurisconsultes prétendaient que si le

LA PROPRIÉTE ECCLÉSIASTIQUE AVANT LA RÉVOLUTION. 57 droit de dîme est inhérent à l'Eglise, il incombait au pouvoir civil d'en déterminer la nature, les quotités et arrérages 1; c'était lui attribuer la haute surveillance sur une des propriétés les plus importantes de l'Eglise. «Les dîmes, dit Fleury, sont établies pour donner la subsistance temporelle à ceux dont on reçoit la nourriture spirituelle. Elles doivent donc régulièrement être payées aux pasteurs 2. » Cette règle souffrait d'innombrables exceptions, car la plupart des grosses dîmes appartenaient soit aux évêques, soit aux monastères, et elles étaient distribuées au gré de leurs propriétaires. Quant aux curés, ils avaient la menue dîme ou la portion congrue, pension misérable en argent assignée par l'évêque au curé pour son entretien. La dixième partie des dimes appelée le décime appartenait primitivement au pape qui l'avait octroyée au roi. Le décime était devenu une sorte d'impôt permanent depuis l'assemblée de Milan de 1580.

Nous n'avons plus à revenir sur la question des dimes tranchée par un vote souverain. Restaient les bénéfices. On appelait bénéfice un office ecclésiastique auquel était joint un certain revenu qui n'en pouvait être séparé. Les bénéfices séculiers étaient l'évêché et les dignités des chapitres; les réguliers comprenaient l'abbaye et les offices claustraux. L'Etat s'était cru directement intéressé à la répartition de ces immenses richesses; aussi les ordonnances des rois de France, sur les présentations, les résignations, les collations et les prises de possession des bénéfices étaient sans nombre. D'abord le roi nommait lui-même directement aux bénéfices les plus importants, tels que les évêchés et les prélatures, car sa présentation au pape équivalait à une nomination; tous les prélats lui devaient à leur entrée en charge le serment de fidélité. Quant aux autres bénéfices, ils étaient conférés par l'évêque ou son chapitre par voie d'élection, mais le plus sou

1. Voir le livre si curieux intitulé: Traité de l'autorité des rois touchant l'administration de l'Eglise, par M. Le Voyer de Boutigny, maître des requêtes, p. 388-390. Londres, 1754.

2. Institution au droit ecclésiastique. Nous empruntons à ce livre la plupart de nos renseignements sur l'ancienne organisation de la propriété ecclésiastique.

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