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mer Dieu pour lui-même : « Possessio Dei est charitas consummata, dit saint Alphonse de Liguori (1). Au reste, comme le dit le même docteur, on regarde comme un acte parfait d'amour de Dieu celui qui est ainsi conçu: Mon Dieu, je vous aime par-dessus toutes choses, parce que vous êtes infiniment bon, la bonté infinie (2). Mais aimer Dieu uniquement comme moyen d'acquérir la vie éternelle, ou d'éviter l'enfer, ce n'est point l'aimer d'un amour de charité ; c'est l'aimer pour nous et non pour lui-même.

Ce n'est point non plus aimer Dieu d'un amour parfait, que de l'aimer à cause des bienfaits dont il nous a comblés. Cet amour est un acte de reconnaissance et non de charité. Cependant, si on regarde les bienfaits de Dieu comme un effet de sa bonté, si on les aime pour Dieu et non pour soi-même, alors on fait un acte de charité; car, dans ce cas, ce ne sont point les bienfaits qu'on aime, mais la bonté divine, source de tout bien, de tout don (3).

354. La charité est la plus excellente des vertus théologales : « Nunc autem manent fides, spes, charitas : tria hæc; major autem « horum est charitas,» dit l'Apôtre (4); et cette vertu est absolument nécessaire au salut. Le précepte d'aimer Dieu, implicitement renfermé dans le premier commandement du Décalogue, a été renouvelé d'une manière expresse sous le ministère de Moïse (5), et confirmé par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous le donne comme le premier et le plus grand de tous les commandements : « Diliges « Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et in tota anima tua, et «< in tota mente tua. Hoc est maximum et primum mandatum (6). » Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, c'est l'aimer pour lui-même et par-dessus toutes choses; c'est être dans la disposition de tout sacrifier, la vie même, plutôt que de commettre le péché mortel, qui est essentiellement contraire à la charité. L'amour de Dieu doit être souverain; mais il peut être souverain, sans être aussi fort, aussi ardent, aussi intense qu'il peut l'être absolument. Il est encore susceptible d'accroissement, même quand il est parfait.

355. La charité est nécessaire de nécessité de moyen; il n'y a pas de salut possible sans la charité. Les enfants qui meurent avant l'usage de raison ne sont sauvés que par la charité habituelle qu'ils ont reçue par le baptême. Pour ce qui concerne les adultes, ils sont obligés, en vertu d'un précepte particulier, de faire des actes d'a

(1) Theol. moral. lib. n. no 24. — (2) Ibidem. — (3) Ibidem. — (4) 1. Corinth, c. 13. v. 13. (5) Deuter. c. 5. v. 5. — (6) Matth. c. 22. v. 37 ct 38.

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mour de Dieu. Le saint-siége a condamné la proposition par laquelle on avait osé soutenir le contraire (1).

Le précepte de la charité ne nous oblige certainement pas de faire tous les jours des actes d'amour de Dieu; mais celui qui passerait un temps considérable sans produire aucun acte de cette vertu, se rendrait coupable de péché mortel, lors même qu'il n'aurait rien d'ailleurs à se reprocher. Aussi, le pape Innocent XI a censuré les propositions suivantes : « An peccet mortaliter qui actum <«< dilectionis Dei semel tantum in vita eliceret, condemnare non audemus. » — fl Probabile est, ne in singulis quidem rigorose « quinquenniis, per se obligare præceptum charitatis erga Deum. » Tunc solum obligat, quando tenemur justificari, et non habe« mus aliam viam qua justificari possumus (2). »

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356. Mais quand est-on obligé de faire des actes d'amour de Dieu? On convient généralement qu'on est obligé d'en faire: 1° lorsqu'on est parvenu à l'usage de raison, et qu'on connaît suffisamment celui qui est notre premier principe, notre fin dernière, le souverain Seigneur de toutes choses; 2° quand on éprouve une tentation qui nous inspire de l'éloignement pour Dieu; 3° quand on est en danger de mort, surtout si on se sent coupable de quelque péché mortel, et si on n'a pas d'autre moyen de se réconcilier avec Dieu; 4° lorsque, en se rappelant quelque péché mortel, on est obligé d'administrer un sacrement, sans avoir pu recevoir auparavant l'absolution du prêtre; car alors on doit s'exciter à la contrition parfaite, qui renferme nécessairement un acte de charité, en tant qu'on aime Dieu pour lui-même et par-dessus toutes choses; 5o on est de plus obligé de faire des actes d'amour de Dieu de temps en temps, pendant la vie. Nous pensons que celui qui passerait un mois entier sans en faire aucun acte, n'accomplirait pas le précepte. C'est le sentiment de saint Alphonse de Liguori (3). Et il en est de même pour ce qui regarde la foi et l'espérance.

Mais il n'est pas nécessaire, ajoute le saint docteur, que les actes d'amour de Dieu soient faits avec l'intention expresse d'accomplir le précepte; on peut les faire dans un autre but, comme, par exemple, pour chasser une tentation, ou pour faire un acte de contrition. De même, ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, il suffit que les actes de charité soient implicites. Celui, par exemple, qui, en récitant l'Oraison Dominicale, dit dévote

(1) Voyez, ci-dessus, le n° 345. (2) Décret de 1679. (3) Theol. moral. lib. II, n® 8.

ment: Que votre nom soit sanctifié; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, fait un acte d'amour de Dieu (1).

357. Tous les péchés mortels sont essentiellement contraires à la charité, puisqu'ils l'éteignent dans notre cœur, en nous faisant préférer la créature au Créateur, et en nous rendant ennemis de Dieu. Mais il en est qui lui sont directement et plus particulièrement opposés; savoir: la haine de Dieu et les péchés qui en sont la suite. Qui pourrait le croire? il est des hommes qui haïssent Dieu, désirant ou qu'il n'existe pas, ou qu'il soit indifférent sur le caractère de nos actions bonnes ou mauvaises. Ils le haïssent parce qu'il est juste, parce qu'il est le vengeur du crime et l'auteur des châtiments qu'ils méritent : « Ab aliquibus odio Deus haberi potest, dit saint Thomas, in quantum scilicet apprehenditur peccatorum prohibi«tor et pœnarum inflictor (2). » C'est un péché qui fait frémir; c'est le plus grand de tous les péchés : « Odium Dei est pessimum peccatum << hominis; inter alia peccata gravius: gravissimum peccatum (3). »

ARTICLE II.

De l'Amour du prochain.

358. La charité comprend l'amour de Dieu, de nous-mêmes et du prochain. Nous devons aimer Dieu pour lui-même; nous devons nous aimer pour Dieu, et nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes, mais toujours pour Dieu. Il y a deux préceptes: le premier, qui nous ordonne d'aimer Dieu de tout notre cœur; le second, qui nous ordonne d'aimer notre prochain comme nous nous aimons nous-mêmes : « Diliges proximum sicut teipsum (4). Il y a deux préceptes, mais il n'y a qu'une charité, dit saint Augustin: « Duo sunt præcepta, et una est charitas.... quia non alia « charitas diligit proximum quam illa quæ diligit Deum (5). »

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Il y a donc un précepte particulier qui nous oblige d'aimer notre prochain, de nous aimer les uns les autres, et de nous aimer pour Dieu, de nous aimer comme Jésus-Christ lui-même nous a aimés : « Hoc est præceptum meum ut diligatis invicem, sicut dilexi « vos (6). » Pour satisfaire à ce précepte, il ne suffit pas de faire des actes d'amour purement extérieurs à l'égard de nos frères, de nos semblables : « Effectus exterior, dit saint Thomas, non pertinet ad

(1) Voyez, ci-dessus, le n° 334. (2) Sum. part. 2. 2. quæst. 34. art. 1, -(4) Matth. c. 22. v. 39. — (5) Serm. CCLXV. — (3) Ibidem, art. 2. (6) Joan.

C. 15. v. 12.

<< charitatem, nisi in quantum ex affectu procedit in quo primo est « charitatis actus (1). » De là la condamnation par Innocent XI des propositions suivantes : « Non tenemur proximum diligere actu in« terno et formali.» « Præcepto proximum diligendi satisfacere « possumus per solos actus externos (2). »

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Le caractère distinctif de la charité chrétienne est de faire pour les autres ce que nous désirons raisonnablement qu'ils fassent pour nous, eu égard à la position d'un chacun; et, par là même, de ne jamais faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'ils nous fissent à nous-mêmes : « Et prout vultis ut faciant vobis homines, « et vos facite illis similiter (3). »

359. Il y a un ordre à suivre dans l'accomplissement des devoirs de la charité. Après Dieu, que nous devons aimer avant tout et pardessus tout, nous devons nous aimer nous-mêmes, et nous aimer plus que les autres : « Homo ex charitate magis debet diligere seip<< sum quam proximum, » dit saint Thomas (4); ce qui s'accorde parfaitement avec cette pensée de saint Augustin : « Magis mihi me de« beo quam hominibus cæteris, quamvis Deo magis quam mihi (5). »

Mais il est important de distinguer ici l'ordre des biens et l'ordre des personnes. Pour les biens, on préfère la vie spirituelle à la vie temporelle; la vie temporelle à la réputation; la réputation aux richesses. D'après ce principe, nous devons préférer le salut spirituel du prochain à notre propre vie temporelle; la vie temporelle du prochain à notre réputation; la réputation du prochain à nos richesses. Mais cela n'est que pour le cas d'une nécessité extrême; c'est alors seulement que nous sommes obligés de faire le sacrifice des biens d'un ordre inférieur, pour accomplir le devoir de la charité à l'égard de nos frères. Ainsi, par exemple, en temps de peste, dans un temps de persécution, le curé d'abord, puis à son défaut le vicaire ou tout autre prêtre, est tenu, même au péril de sa vie, d'assister les malades et de leur administrer les sacrements.

360. Pour ce qui regarde l'ordre des personnes, lorsqu'on est obligé de porter au prochain des secours spirituels et corporels, et qu'on ne peut assister tous ceux qui sont dans la nécessité, la charité bien entendue nous fait préférer, toutes choses égales d'ailleurs, le père à la mère; la mère à la femme; la femme aux enfants; les enfants aux frères et sœurs; les frères et sœurs aux autres parents et alliés; ceux-ci aux domestiques ; les domestiques aux autres per(1) In 3. Sentent. dist. 29. quæst. 1. art. 2. —(2) Décret de l'an 1679. — (3) Luc. c. 6. v. 31. — (4) Sum. part. 2. 2. quæst. 26. art. 4. — (5) Retract. lib. 1. c. 8.

M. I.

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sonnes; les amis, les bienfaiteurs; les supérieurs à ceux qui n'ont aucun de ces titres; les voisins aux autres concitoyens; les concitoyens aux étrangers; et, entre les étrangers, les bons aux méchants; les fidèles aux infidèles.

Nous avons dit : toutes choses égales d'ailleurs; car il faut avoir égard à la nature et à l'étendue des besoins, qui ne sont certainement pas les mêmes pour tous: « Intelligendum est, dit saint Thomas, quod magis conjunctis magis est, cæteris paribus, benefaaciendum. Si autem duorum unus est magis conjunctus, et alter « magis indigens; non potest determinari universali regula cui sit magis subveniendum; quia sunt diversi gradus et indigentiæ et propinquitatis; sed hoc requirit prudentis judicium (1). »

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Nous ferons remarquer aussi que, pour ce qui regarde une personne mariée, elle ne doit secourir son père et sa mère de préférence au mari ou à la femme, que lorsqu'il s'agit du cas d'une nécessité absolue, extrême. Car si la nécessité n'est qu'une nécessité commune, une nécessité même grave sans être extrême, on doit préférer son mari ou sa femme à ses père et mère. Il est écrit que l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, pour ne faire avec elle qu'une seule chair: « Relinquet homo patrem « suum et matrem, et adhærebit uxori suæ, et erunt duo in carne « una (2). » On peut aussi, dans le même cas, préférer ses enfants à ses père et mère : « Non debent filii parentibus thesaurizare, ased parentes filiis (3). »

ARTICLE III.

De l'Amour des ennemis.

361. La charité chrétienne n'exclut personne; elle doit s'étendre absolument à tous les hommes, même à nos ennemis. Aimez vos ennemis, nous recommande Jésus-Christ; faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, et priez pour ceux qui vous calomnient : « Diligite inimicos vestros, benefacite « his qui oderunt vos, benedicite maledicentibus vobis, et orate << pro calumniantibus vos (4).

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Pour accomplir le précepte de la charité à l'égard de nos ennemis, il n'est pas nécessaire de les aimer d'une manière spéciale, explicite, comme on aime un ami, un bienfaiteur, une personne

(2) Genes. c. 2. v. 24.

(3) II. Co

(1) Sum. part. 2. 2. quæst. 31. art. 3. rinth. c. 12. v. 14. · Voyez S. Alphonse de Liguori, Collet, le P. Antoine, les Conférences d'Angers, etc., etc. (4) Luc. c. 6. v. 27, 28.

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