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avec laquelle il l'a proféré; afin de savoir si le blasphème a été accompagné d'hérésie, ou d'imprécation contre Dieu; s'il a été suivi de scandale. Il est des blasphemes qui renferment plusieurs espèces de malices, qui sont contraires à plusieurs vertus. On doit les distinguer des simples blasphèmes, qui ne sont opposés qu'à la vertu de religion.

CHAPITRE II.

Du Serment ou Jurement.

463. Le serment ou jurement est un acte de religion; il est appelé sacrement dans les auteurs anciens, ecclésiastiques et profanes, sacramentum, d'où nous vient apparemment le mot de serment, comme celui de jurement vient de jure, jurare.

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ARTICLE I.

De la Notion du Serment.

Le serment ou jurement est une invocation expresse ou tacite du nom de Dieu en témoignage de la vérité : « Assumere Deum in « testem dicitur jurare, quia quasi pro jure introductum est ut quod sub invocatione divini testimonii dicitur, pro vero habeatur (1). » On distingue le serment affirmatif, le serment promissoire, le serment comminatoire et le serment imprécatoire. Par le premier, on prend Dieu à témoin d'une affirmation qui a pour objet une chose présente ou passée; le second regarde l'avenir : il a lieu, quand on prend Dieu à témoin de la sincérité d'une promesse, de la volonté qu'on a de l'exécuter. Le serment comminatoire, qui rentre dans le serment promissoire, est celui qu'on accompagne de quelque menace. Le serment est imprécatoire, lorsque, en prenant Dieu à témoin d'une affirmation ou d'une promesse, on l'appelle en même temps comme juge et vengeur du parjure: ce qui arrive quand on se souhaite du mal à soi-même ou à d'autres, si la chose n'est pas comme on le dit. On rapporte au serment imprécatoire cette formule: Que Dieu me soit en aide, et son saint Évangile :

(1) S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 89. art. 1.

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Ita me Deus adjuvet, et hæc sancta Dei Evangelia. >> Comme celui qui prononce cette formule se souhaite du bien, s'il dit la vérité; de mème il se souhaite des malédictions, s'il ne la dit pas. Nous ne reconnaissons point la distinction entre le serment religieux et le serment politique. Le serment par lequel on promet fidélité à un roi, aux institutions du pays, est un acte religieux, sacramentum, et lie la conscience comme tout autre serment.

464. Pour jurer, il n'est pas nécessaire d'invoquer explicitement le témoignage de Dieu, l'invocation implicite suffit. Elle est implicite, lorsqu'on jure par les créatures dans lesquelles brillent d'une manière particulière les perfections de Dieu; comme, par exemple, quand on jure par les anges, les saints, l'Évangile, les sacrements, la croix, l'Église, l'âme, le ciel, la terre (1).

Le serment peut se faire par parole, ou par signe, ou par écrit. On jure, par exemple, en levant la main, en la portant sur l'Evan gile; comme on jure en disant: Je prends Dieu à témoin; Dieu m'est témoin; par Dieu; je le jure par les saints, par l'Evangile; ou en proférant d'autres paroles, des formules qui expriment un serment.

Mais pour qu'il y ait serment, il ne suffit pas d'employer des expressions qui énoncent un jurement, ou d'user des signes communément reçus pour la prestation d'un serment; il faut de plus avoir l'intention de jurer, de prendre Dieu à témoin de ce que l'on dit, de ce qu'on affirme, de ce qu'on promet.

465. Généralement on ne doit pas regarder comme jurements ces manières de parler: En vérité! en conscience! parole d'honneur! foi d'honnète homme ! ce que je dis est vrai. Ce serait certainement un péché d'employer quelques-unes de ces expressions pour confirmer le mensonge; mais ce ne serait pas un parjure (2).

Ceux-là ne jurent point non plus, qui disent: Ma foi! par ma foi ! à moins qu'ils ne parlent de la foi divine; de même encore, quand on dit: Dieu le voit! Dieu connait ma pensée! je vous parle devant Dieu! cela est vrai comme l'Évangile! c'est aussi vrai que Dieu existe, qu'il n'y a qu'un Dieu, que Dieu m'entend, que JésusChrist est dans l'Eucharistie! Ici, il n'y a ni serment, ni blasphème. Il n'y a pas de jurement, le témoignage de Dieu n'étant point invoqué; il n'y a pas non plus de blasphème, généralement parlant; car celui qui parle ainsi veut seulement faire entendre, le plus

(1) S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 89. art. 6. guori, Theol. moral. lib. 1. n° 134.

(2) S. Alphonse de Li

souvent, que la chose qu'il affirme est aussi certaine en sa manière que le sont en la leur les vérités de la foi. Mais il y aurait blasphème, si, par ces différentes manières de parler, il voulait comparer les vérités de la religion à une vérité humaine, et signifier qu'il y a autant de certitude dans ce qu'il assure que dans ce qui est révélé de Dieu (1).

Mais qu'il y ait blasphème ou non dans ces sortes d'expressions, les curés et les confesseurs doivent faire sentir aux fidèles qu'elles ne conviennent point, et chercher à les corriger de l'habitude qu'ils auraient contractée de les proférer.

466. Ces autres expressions corrompues, pardi, pardié, mordi, mordié, têtedi, tétedié, persandi, persandić, sacredi, sacredié, quoiqu'elles signifient la même chose que par Dieu, mort Dieu, tête de Dieu, par le sang de Dieu, par le nom sacré de Dieu, ne sont pas non plus des jurements, ou ne sont que des jurements matériels et non formels. Les personnes qui les prononcent n'ont pas l'intention de jurer, de prendre Dieu à témoin. Il en est de même, comme nous l'avons fait remarquer plus haut (2), de ces mots: nom de Dieu, sacré nom de Dieu.

Ce n'est pas toujours jurer, que de dire: Je le jure; je jure que la chose est ainsi; souvent, ce n'est qu'une simple affirmation, dont on se sert pour témoigner que ce qu'on dit doit être regardé comme aussi sûr que si on le confirmait par serment. Mais si le serment avait été déféré, celui qui répondrait : Je le jure, ferait serment.

Comme certaines personnes peu ínstruites, les enfants surtout, s'accusent d'avoir juré, en prononçant le B., le F., le M., ou autres paroles grossières, il est à propos de leur faire remarquer que ces expressions ne sont point des jurements, en les avertissant toutefois qu'on ne doit jamais les appliquer aux choses saintes, et qu'il est inconvenant de les proférer contre qui que ce soit (3).

ARTICLE II.

De la Licité du serment.

467. Le serment est permis; c'est un acte de religion par lequel on rend à Dieu un honneur souverain, confessant qu'il connait

(1) S. Alphonse de Liguori, Theol. moral. lib. n. no 137. — (2) Voyez, ci-des sus, le no 460. — (3) S. Alphonse de Liguori, Theol. moral, lib. n. no 136; les Conférences d'Angers, sur les commandements de Dieu, conf. vII. quest. 1,

tout, qu'il pénètre ce qu'il y a de plus caché dans le cœur de l'homme; que son témoignage est infaillible; qu'il est la vérité même. Aussi, le Seigneur nous dit qu'on jurera par son nom : « Dominum Deum tuum timebis, et illi soli servies, ac per nomen « illíus jurabis (1). » Et ceux qui jureront par lui seront glorifiés : Laudabuntur omnes qui jurant in eo (2).

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Pour que le serment soit licite, trois choses sont nécessaires: le jugement, la justice et la vérité : « Jurabis, vivit Dominus! in ve

ritate, et in judicio, et in justitia (3). » A défaut de la première condition, le jurement se faisant sans discernement, sans un juste motif, devient indiscret, incautum, dit saint Thomas; à défaut de la seconde, il est injuste, illicite, iniquum sive illicitum; à défaut de la troisième, il y a parjure, juramentum mendax (4). On ne pèche pas seulement lorsqu'on jure pour assurer le mensonge, mais encore lorsqu'on jure pour une chose mauvaise ou pour une chose inutile: « Non assumes nomen Dei tui in vanum. »

468. On pèche véniellement, en jurant sans discernement, sine judicio, sans nécessité aucune, sans motif, ou en jurant pour des choses vaines, frivoles, inutiles, pour des bagatelles. On pèche encore par défaut de discernement, quand on jure à tout propos, sans réflexion, sans examiner si on pourra faire ce que l'on promet, ou si ce que l'on affirme comme vrai est conforme à la vérité. Ici, le péché peut devenir mortel, à raison d'une négligence vraiment coupable à découvrir la vérité : « Mortaliter hic aut venialiter pec«< cari potest, juxta quantitatem negligentiæ quam jurans admittit «< in investigatione veritatis, vel tollenda consuetudine (5). »

L'on doit regarder comme mortel l'état de ceux qui ne cherchent point à se corriger de l'habitude de jurer, jurant sans faire attention si ce qu'ils affirment est vrai ou non : « Mortalis est status «< illorum qui non tollunt consuetudinem jurandi, sine attentione « sitne verum hoc, an falsum quod jurare solent (6). »

469. Pour ce qui regarde la justice du serment, il est certain qu'on pèche mortellement en prenant Dieu à témoin qu'on fera une chose mortellement illicite, qu'on tuera quelqu'un, par exemple. La faute est grave, quelle que soit l'intention de celui qui jure en faisant une semblable menace; et le péché que l'on commet alors est tout à la fois contraire à la vertu de religion, et à la vertu qui condamne l'acte qu'on a juré de faire.

(1) Deuter. c. 6. v. 13.

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(2) Psalm. 62. v. 12. . (3) Jerem. c. 4. v. 2. (4) Sum. part. 2. 2. quæst. 89. art: 3. (5) S. Alphonse de Liguori, Theol.

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(6) Ibidem.

Mais si la chose à laquelle on s'engage par serment n'est que véniellement mauvaise, le jurement sera-t-il péché mortel? C'est une question controversée parmi les théologiens. L'affirmative nous parait plus probable, et nous l'adoptons d'après saint Alphonse de Liguori; car c'est une grande irrévérence d'invoquer Dieu comme témoin et comme caution d'un péché, quelque léger qu'il soit : Quia non levis, sed gravis irreverentia videtur invocare Deum « in testem ac fidejussorem peccati, quantumvis levis (1). »

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470. Ce que nous disons du serment promissoire ou comminatoire est-il applicable au serment affirmatif, au jurement par lequel on affirme avoir commis tel ou tel péché? Les uns pensent qu'il n'y a pas de différence, à cet égard, entre celui qui jure qu'il fera et celui qui jure avoir fait une mauvaise action. Mais saint Alphonse regarde comme plus probable le sentiment qui ne voit ici, dans le serment affirmatif, qu'un péché véniel contre la vertu de religion, lors même que le péché que l'on jure avoir commis serait mortel. En effet, le serment affirmatif n'a pas pour objet de confirmer une complaisance criminelle qu'on pourrait éprouver au souvenir du péché dont on s'est rendu coupable; mais seulement de constater comme un fait que tel péché a été commis; ce qui n'est qu'une légèreté vénielle : « Quod non est nisi quædam animi levitas venialis (2). »

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Cependant, on excepte le cas où il s'agirait d'un péché de médisance ou de calomnie; car le serment par lequel on confirmerait ce péché ne pourrait que l'aggraver, et nuire par là même de plus en plus à la réputation du prochain (3).

471. Une autre condition pour la licité du serment, c'est qu'il soit conforme à la vérité. Celui qui affirme par serment comme vrai ce qu'il croit faux, ou comme sincère une promesse qu'il n'a pas l'intention d'accomplir, se rend coupable de parjure, d'un péché mortel qui n'admet pas de légèreté de matière. C'est un outrage envers Dieu que de l'appeler en témoignage en faveur du mensonge, comme s'il ne connaissait pas la vérité, ou s'il pouvait être corrompu pour servir de faux témoin. « Neque hic excusat « levitas materiæ, dit saint Alphonse; quia sive hæc sit gravis, sive « levis, seria, sive jocosa, æqualiter tamen Deo testificari falsum « repugnat; et tale juramentum dicitur perjurium (4). » C'est done un péché mortel de jurer pour assurer un mensonge, quelque

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(1) S. Alphonse de Liguori, Theol. moral. lib. 1. no 146. (2) Ibidem. (3) Ibidem. — (4) Ibidem, no 147; S. Thomas, part. 2. 2. quæst. 98. art. 3.

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