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signe. Les actes extérieurs sont ceux qui se produisent au dehors, comme nos discours, nos démarches, et, en général, toutes celles de nos actions où le corps est pour quelque chose. Cette distinction est importante pour le canoniste; car les actes qui ne sont qu'intérieurs, quelque criminels qu'ils soient, ne sont point sujets aux peines ecclésiastiques : « De internis non judicat Ecclesia. »

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3. On distingue encore les actions bonnes et les actions mauvaises, suivant qu'elles sont conformes ou contraires à la loi de Dieu, qui doit être la règle invariable de nos actes. Enfin, celles de nos actions qui sont bonnes peuvent être considérées sous deux rapports ou sous le rapport qu'elles ont à la morale en général, abstraction faite de la fin surnaturelle de l'homme; ou sous le rapport qu'elles ont à cette fin, à la vision intuitive à laquelle nous sommes destinés. Sous le premier point de vue, nos actions sont purement morales, et ne peuvent former que des vertus naturelles, stériles, insuffisantes pour le salut. Si on les envisage sous le second rapport, elles changent de caractère, et deviennent surnaturelles.

4. On voit, par la notion que nous avons donnée des actes humains, quel en est le principe: c'est la volonté de l'homme en tant qu'il agit avec connaissance et avec choix. Il ne peut y avoir d'acte humain qui ne soit volontaire; et cet acte volontaire doit être l'effet de la détermination libre de notre volonté. « Immediata causa humani actus est ratio et voluntas secundum quam homo est liber «< arbitrio. » Ainsi s'exprine le Docteur angélique (1).

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CHAPITRE II.

Du Volontaire et du Libre arbitre.

5. Par volontaire on entend tout ce qui émane de la volonté de l'homme, agissant avec la connaissance de ce qu'il fait et de la fin pour laquelle il agit (2). Un être intelligent n'agit comme tel qu'autant qu'il connaît la nature de ses actes. Comment la volonté concevrait-elle des sentiments d'amour ou de haine, de crainte ou d'espérance, si elle n'était éclairée par l'entendement? « Nihil « volitum quod non præcognitum. » Il ne peut donc y avoir aucun

(1) Sum. part. 1. 2. quæst. 75. art. 2. (2) S. Thomas, Sum. part. 1. 2. quæst. 6. art. 1.

acte volontaire de la part de ceux qui n'ont point l'usage de raison.

6. D'après ce principe, tout ce que nous ignorons d'une action, quand notre ignorance est excusable, doit être regardé comme involontaire. L'espèce de bien que l'on ne connaît pas dans un acte, n'étant point l'objet de la volonté, n'est ni volontaire, ni par conséquent un sujet de mérite. De même le mal que renferme une action n'est imputable que dans le cas où il a pu être connu de celui qui est l'auteur de cette action. « Ad hoc ut aliqua actio dicatur « tota voluntaria, dit saint Alphonse de Liguori, necesse est ut co« gnoscatur secundum omnes sui partes et circumstantias; quarum aliqua si ignoretur, actio non dicitur voluntaria quoad illam cir«cumstantiam ignoratam. Sic qui accedit ad mulierem quam nescit «esse nuptam, non committit peccatum adulterii, sed simplicis fornicationis, cum involuntarie se habeat quoad circumstantiam matrimonii, quam ignorat (1). » Ainsi, celui qui en commettant l'adultère croit ne commettre qu'un péché de fornication, parce qu'il ignore la condition de la personne avec laquelle il pèche, n'est point responsable du tort qui peut en résulter pour le mari et pour les héritiers du mari de la femme adultère. Elle seule est tenue de réparer ce dommage.

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7. On distingue, dans l'école, le volontaire parfait et le volontaire imparfait; le volontaire direct et le volontaire indirect; le volontaire exprès et le volontaire tacite; le volontaire libre et le volontaire nécessaire.

Le volontaire est parfait, quand on agit sans aucune répugnance et avec une pleine connaissance de ce que l'on fait. Si au contraire on agit avec répugnance, ou sans avoir une connaissance entière de la nature de l'acte que l'on fait, le volontaire est imparfait. On conçoit que cette espèce de volontaire a des degrés : le volontaire est plus ou moins parfait, plus ou moins imparfait, suivant qu'or agit avec plus ou moins de répugnance, plus ou moins d'inclination, ou avec plus ou moins de connaissance, plus ou moins d'advertance. Il peut arriver que le volontaire, quoique imparfait, soit suffisant pour le péché mortel: ce qui a lieu, par exemple, lorsqu'on se livre au crime, même avec répugnance, par suite d'une menace qui ne trouble point la raison, qui ne met point l'homme

(1) Theol. moral. de actib. hum., no 8. Le rédacteur des Conférences d'Angers, sur les Actes humains, conf. 1. quest. 3, et Collet dans son traité de Actibus humanis, s'expriment comme S. Alphonse.

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hors de lui-même. D'autres fois, le volontaire imparfait suffit à peine pour une faute vénielle: ce qui arrive dans les enfants dont la raison commence seulement à se développer, ainsi que dans les adultes qui sont à demi en démence ou dans le sommeil. Celui qui se trouve dans cet état ne peut évidemment agir que d'une manière très-imparfaite. S'il pèche, son péché, de l'aveu de tous, ne peut être que véniel.

8. Le volontaire est direct, quand l'acte est volontaire en luimême ; quand la volonté se porte directement, sans intermédiaire, à cet acte tel est, par exemple, l'homicide dans un homme qui, voulant la mort de son ennemi, lui a donné lui-même ou lui a fait donner le coup mortel. Le volontaire est indirect, lorsque l'acte n'est volontaire que dans sa cause : ce qui a lieu toutes les fois que l'on prévoit que tel ou tel effet doit résulter de l'acte qu'on se propose de faire, d'une démarche ou d'une omission qu'on se permet volontairement. Cet effet, étant prévu, devient indirectement volontaire pour celui qui agit, ou qui s'abstient lorsqu'il est obligé d'agir. Ainsi, par exemple, les blasphèmes, les injures proférées dans un état d'ivresse, sont volontaires d'un volontaire indirect, dans celui qui s'est enivré volontairement, sans surprise, se rappelant plus ou moins distinctement qu'il est sujet à blasphémer ou à s'emporter quand il est dans le vin.

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9. Pour qu'un effet soit volontaire dans sa cause, et puisse nous être imputé comme tel, il faut trois conditions qui sont également nécessaires. La première condition, c'est qu'on ait prévu, d'une manière au moins confuse, que tel effet devait s'ensuivre de l'acte qui est volontaire en lui-même. « Ut voluntarium indirectum im« putetur ad culpam, dit saint Alphonse de Liguori, requiritur ut prævideatur effectus (1); » ou, comme il s'exprime ailleurs, « Ut " agens, ponendo causam, advertat, saltem in confuso, hujusmodi «< effectum fore ex illa causa sequuturum (2). » Suivant plusieurs théologiens, pour être coupable d'une mauvaise action, il n'est pas nécessaire qu'on ait réellement prévu ni même soupçonné ce qui est arrivé (3). Nous ne partageons point ce sentiment, et nous ne regardons un acte, un effet comme indirectement volontaire, qu'autant qu'il a été prévu, saltem in confuso, comme le dit saint Alphonse: «< Ut imputentur alicui effectus cujusdam causæ, debet

(1) Homo apost. de Act. hum. no 6. (2) Theol. moral. de Act. hum. no 10. - (3) Bailly, Collet, le rédacteur des Conférences d'Angers, etc., etc.

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necessario præcedere, saltem in principio, advertentia actualis et « expressa malitiæ objecti (1).

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10. La seconde condition qu'on exige pour qu'un effet soit indirectement volontaire, c'est qu'on ait pu s'abstenir de l'acte qui en est la cause ou l'occasion. Personne n'est tenu à l'impossible. «Quis enim peccat, dit saint Augustin, in eo quod nullo modo caveri potest (2)?» La troisième condition, c'est qu'on soit tenu de s'abstenir de l'acte, ou d'éviter l'omission, de laquelle on prévoit un effet, un résultat contraire à la morale. Ainsi, on ne doit point regarder comme volontaires dans leur cause ni les pensées ni les tentations contre l'aimable vertu, auxquelles nous sommes sujets dans l'exercice des fonctions les plus saintes, pourvu toutefois qu'on les désavoue aussitôt qu'on s'en aperçoit. Un prêtre n'est point obligé de renoncer à son ministère pour éviter les tentations dont le sacré tribunal est une occasion, lorsque d'ailleurs il fait ce qui dépend de lui pour en prévenir les suites. Ce que nous disons du prêtre est applicable au médecin, au juge, à l'avocat qui se trouve dans la nécessité de traiter les matières délicates concernant le sixième précepte. « Sic, « non imputatur chirurgo pollutio quam prævidet sibi secuturam « ex necessario tactu mulieris in partibus verendis, dummodo eam « non intenderit. Nec imputatur studenti ob propriam et aliorum utilitatem materiis sexti præcepti, si ipse hujusmodi effectum non «< intenderit, dummodo complacentiam repellat in actu, ex quo sequitur pollutio. Ratio quia tunc non tenetur causam illam tollere, « vel non ponere; et qui utitur jure suo non dicitur causa effectus « non intenti, et per accidens sequuti; imo in tali casu videtur magis pati quam agere. A fortiori non imputatur effectus sequens « ex causa alias honesta et licita, ut pollutio quæ oritur ex equita«tione, vel cibo et potu moderato; tunc enim effectus non intentus « est per accidens (3). »

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11. Le volontaire est exprès, lorsqu'on manifeste formellement son consentement par la parole, ou par le geste, ou par quelque autre signe extérieur qui est pris pour l'expression réelle de la volonté. Le volontaire tacite a lieu, quand le silence peut être regardé comme preuve ou comme signe du consentement, conformément à cette maxime de droit : « Qui tacet consentire videtur. » Ce qui cependant ne s'applique que dans le cas où celui qui se tait est obligé de parler: « Quoties qui tacet loqui tenetur.» Ainsi, le

(1) Theol. moral. de Peccatis, n° 4. - (2) De Voyez ci-après le n° 223. lib. arb. I, cap. 18. (3) S. Liguori, Theol. moral. de Act. hum., no 14.

silence est un signe de consentement dans ceux qui, étant chargés d'office de parler ou de s'opposer à ce qui se fait, se taisent et ne montrent aucune opposition. D'après cette règle, celui qui est préposé à la conservation des droits du gouvernement ou d'une ville, à la garde des bois, des vignes, des troupeaux d'autrui, est tenu, à défaut du délinquant, de réparer le dommage qu'il a laissé faire, en fermant les yeux ou en gardant le silence sur les délits dont il a été témoin. Le tort qui en est résulté lui est imputable; il est, relativement à lui, volontaire d'un volontaire tacite. «Non semper ille « qui non manifestat latronem, tenetur ad restitutionem, aut qui « non obstat, vel qui non reprehendit; sed solum quando incumbit << alicui ex officio, sicut principibus terræ, quibus ex hoc multum «< imminet periculi. » Ce sont les expressions de saint Thomas (1).

12. Le silence équivaut encore au consentement exprès, lorsqu'un père promet sa fille en mariage, et que celle-ci présente ne réclame point. Le silence qu'elle garde alors est pris pour un effet de sa modestie, et doit par conséquent être regardé comme une marque de son acquiescement. Cependant, si elle n'avait pas réellement consenti; si une complaisance mal placée pour son père lui avait fermé la bouche, l'engagement qui serait, de droit, présumé valable au for extérieur, serait nul au for de la conscience. Mais elle ne pourrait s'en prévaloir, et, généralement, elle devrait ratifier la promesse qu'elle serait censée avoir faite librement.

13. Mais s'il est des circonstances où le silence fait présumer le consentement, il en est d'autres où il ne signifie rien ni pour ni contre; ce qui arrive quand on n'est point obligé de parler. Par exemple, le silence qu'on garde, en entendant des médisances ou des blasphèmes, ne doit pas toujours être pris pour un signe d'approbation. Souvent, dans le cas dont il s'agit, l'on se tait par prudence, ou pour éviter un plus grand mal; de là cette autre maxime de droit: « Is qui tacet non fatetur; sed nec utique negare videtur. »

14. Quoique, d'après notre manière ordinaire de parler, le volontaire se confonde avec le libre arbitre, et que, pour faire entendre que nos actions sont libres, on ait coutume de dire simple

(1) Sum. part. 2. 2. quæst. 62. art. 7.- Le rédacteur des Conférences d'An gers, sur les Acles humains, conf. 1. quest. 3. art. 3, dit que les prélats qu peuvent empêcher le tort qu'on fait an public ou aux particuliers, et négligent de le faire, sont personnellement obligés de le réparer. Cela n'est point exact. Un évêque, par exemple, n'est certainement point tenu de réparer le dommage porté par un diocésain, pour cela seul qu'il aurait pu l'empêcher; car il n'est pas chargé d'office, ex officio, de veiller aux intérêts temporels de ceux qui sont confiés à sa sollicitude pastorale.

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