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comme pour celles qui sont de basse condition, pour les parents comme pour les enfants, pour les maitres comme pour les domestiques, les serviteurs. Il est défendu à tous, hors le cas d'une légitime défense, de tuer quelqu'un d'autorité privée. Cette défense n'est pas moins générale, si on la considère par rapport à ceux qui peuvent être l'objet du meurtre. Il n'est personne, quelque vil et quelque abject qu'il soit aux yeux des hommes, dont la vie ne trouve sa sûreté dans cette loi (1). Nous avons dit, d'autorité privée; car la peine de mort étant nécessaire pour protéger les innocents, comme un moyen de juste et de légitime défense pour la société, le législateur peut la décerner contre ceux qui sont coupables de quelque grand crime; les tribunaux sont obligés de l'infliger dans les cas déterminés par la loi, en se conformant toutefois aux procédures et formalités prescrites.

608. L'homicide est un grand crime, un crime énorme, qui est tout à la fois défendu par les lois divines naturelles et positives, et par les lois humaines ecclésiastiques et civiles. Et l'on s'en rend coupable, non-seulement en ôtant la vie à quelqu'un par le fer, le feu, le poison, ou en lui donnant un coup mortel de quelque manière que ce soit; mais encore en coopérant à sa mort, soit directement, soit indirectement. Ce serait une erreur grossière de croire qu'on n'est coupable de la mort de quelqu'un, que lorsqu'on le tue de sa propre main (2).

609. On doit regarder comme coupables d'homicide, pour y avoir coopéré directement: 1° ceux qui le commandent; 2o ceux qui le conseillent ; 3° ceux qui approuvent le dessein d'un homme qui se propose de tuer son ennemi; 4° ceux qui encouragent cet homme, en le traitant de lâche, par exemple, s'il ne se venge pas, s'il n'exécute pas son projet; 5o ceux qui donnent retraite à un malfaiteur qui médite le crime; 6o ceux qui fournissent ou préparent les armes à l'assassin, qui l'accompagnent, qui lui donnent secours, ou qui gardent sa voiture, son cheval.

On coopère indirectement à un homicide, en omettant ce que la charité ou la justice nous oblige de faire pour sauver la vie au prochain. Celui qui, par exemple, ayant connaissance d'un complot contre la vie de quelqu'un, ne l'avertit pas, ou qui, pouvant sauver la vie à un innocent faussement accusé, ne le fait point, est grandement coupable. Il pèche mortellement contre la charité et

(1) Catéchisme du Concile de Trente, sur le septième commandement de Dieu, (2) Can. Perniciose, de Pœnitentia,

même contre la justice, s'il est obligé d'office, par état, ex officio, de veiller à la sûreté de celui dont il n'empêche pas la mort. La coopération indirecte a lieu lorsque, étant obligé d'avertir celui qui est menacé, de le défendre contre l'agresseur, ou de prévenir la police, on ne dit rien, on ne fait rien.

610. La coopération ne nous rend responsables d'un homicide qu'autant qu'elle est pleinement volontaire et efficace; il faut qu'on puisse la regarder comme cause morale du meurtre; autrement, elle n'entraînerait point l'obligation de réparer le tort ou dommage qui peut en résulter. On doit regarder comme coupables de la mort de quelqu'un : 1° les médecins, chirurgiens et sages-femmes qui, par une ignorance crasse de leur état, ou par une négligence, une imprudence gravement coupable, laissent mourir les personnes dont ils ont entrepris le traitement; 2° les apothicaires qui, par impéritie, ou par un défaut notable d'attention, s'écartent, dans la préparation des remèdes, des prescriptions des médecins ; 3° les garde-malades d'office ou par état, qui, au lieu de veiller avec assiduité leurs malades tandis qu'ils sont vraiment en danger, les abandonnent ou ne les soignent point; qui leur donnent à manger quand il ne le faut pas, ou leur donnent des aliments qui leur sont interdits; qui, se livrant à des préjugés populaires, leur administrent des potions suspectes, des remèdes dangereux, prévoyant, d'une manière au moins confuse, qu'en agissant de leur autorite privée, elles pourraient occasionner la mort du malade.

611. Un médecin prévariquerait, si, dans le choix des remèdes, il préférait l'incertain au certain, celui qui est d'une efficacité douteuse ou probable à un autre remède certainement efficace, ou d'une efficacité plus probable (1). Il ne lui est pas permis non plus d'employer des remèdes dont il ignore le bon ou le mauvais effet, dans le but de faire quelque expérience, lors même que le malade serait désespéré (2). Mais il est assez probable, et même à notre avis plus probable, qu'un médecin peut user d'un remède douteux qui peut guérir le malade ou accélérer sa mort, quand à défaut de ce remède on n'a plus d'espoir, plus aucune espérance de guérison; car il vaut mieux pour un malade risquer un peu de vie, avec l'espérance d'être guéri, que de vivre un peu plus longtemps, avec la certitude d'une mort peu éloignée (3).

612. On se rend coupable d'homicide lorsque, en faisant une

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chose soit illicite, soit licite, mais dangereuse, on ne prend pas les précautions nécessaires pour prévenir tout accident, et que, faute de ces précautions, quelqu'un vient à être tué. Ainsi, on doit regarder comme homicide celui qui, frappant une femme enceinte, occasionne la mort de l'enfant, quoiqu'il n'ait nullement l'intention de le faire mourir; car il fait une chose illicite et très-dangereuse (1). Il en est de même de celui qui, abattant un arbre, ne prend pas les précautions nécessaires pour empêcher que quelqu'un ne soit écrasé par sa chute; il est responsable de l'accident qui arrive, pour n'avoir pas averti les passants (2).

613. Mais celui qui donne la mort à quelqu'un par accident et contre sa volonté, n'est point coupable d'homicide; un acte ne nous est imputable qu'autant qu'il est volontaire. Celui qui, par exemple, coupant du bois dans une forêt ou ailleurs, frappe et tue quelqu'un avec sa cognée qui lui échappe des mains, n'est point coupable de la mort de cet homme : « Qui percusserit proximum • suum nesciens.... non est reus mortis (3). » Cet homicide est casuel, et tout à fait involontaire. On ne peut par conséquent l'imputer à celui qui en est l'occasion, lors même qu'en l'occasionnant il ferait une chose illicite, mais non dangereuse, mais qui n'a d'elle-même aucun rapport à l'homicide; comme si, par exemple, celui dont il s'agit coupait du bois pour le voler, Saint Alphonse de Liguori (4) nous donne les règles suivantes, par le moyen desquelles on peut discerner d'une manière sûre si l'homicide occasionné par un acte illicite est vraiment imputable.

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« 1° Si opus de se est frequenter periculosum, ita ut ex eo com« muniter mors accidat, tune homicidium ei qui illud ponit semper « imputatur, licet quamcumque diligentiam adhibeat ad damnum præcavendum. Unde rei homicidii sunt qui calce percutiunt mu«lierem prægnantem, vel terrefaciunt, ex quo abortus evenit; parentes suffocantes in lecto; hominem mactantes, jaciendo lapides funda, causa ludendi.... 2° Si opus illicitum sit quidem periculosum, sed raro, ita ut raro ex eo mors eveniat; tunc suf«ficit ad excusandum, si diligentia apponatur ad eam vitandam, << saltem in foro conscientiæ. Hine excusatur ab homicidio clericus

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qui casu necaret hominem, dans operam venationi ferarum alias « ei prohibitæ, si diligentiam debitam adhibuerit. 3o Si opus non sit de se periculosum, quamvis sit illicitum, nunquam imputatur

(1) S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 64. art 8.—(2) Ibidem. — (3) Deuter. e. 19. v. 4, etc. (4) Theol. moral. lib. 1. no 398.

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<< homicidium illud exercenti, si casu ex eo mors eveniat; puta, si « clericus tempore interdicti pulsaret campanam, et casu tintinnaabulum cadens viatorem opprimeret (1). .

614. En défendant l'homicide, le septième précepte défend par là même tout ce qui peut y conduire, tout ce qui tend à nuire à la personne du prochain; comme la haine, la colère, les rixes, les querelles, la vengeance, et généralement tout mauvais traitement. Injurier quelqu'un, le frapper, le mutiler par esprit de vengeance, sont autant de péchés contraires à la charité, à la justice; autant d'actes défendus par le Non occides.

La colère, qui est un des sept péchés capitaux, est une émotion de l'âme contre la personne dont on croit avoir reçu quelque injure, qui nous porte à rejeter avec violence ce qui nous déplait, et à nous venger de ceux qui nous ont offensés. C'est pourquoi saint Augustin appelle la colère le désir passionné de la vengeance, libido vindicta (2). Mais il ne faut pas confondre la colère proprement dite avec l'émotion, l'indignation qu'on éprouve à la vue d'un désordre. C'est de cette émotion, qui est excitée par le zèle pour l'ordre, la justice ou la religion, que parle le Roi Prophète, quand il dit: Mettez-vous en colère, et ne péchez point; «Irasci« mini, et nolite peccare (3). »

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615. La colère est un péché mortel en son genre : « Ex genere « suo ira est peccatum mortale, quia contrariatur charitati et jus« titiæ (4). » Quiconque, dit le Sauveur, se met en colère contre son frère, mérite d'être condamné par le jugement : « Omnis qui irascitur fratri suo, reus erit judicio (5). » Cependant la colère n'est qu'un péché véniel, lorsqu'elle n'est ni contre la justice, ni contre la charité, mais qu'elle détruit seulement la douceur; lorsque le mal qu'on souhaite au prochain est si peu considérable, que quand même on le lui ferait, il n'y aurait pas péché mortel; enfin, lorsque l'émotion est légère ou passagère, ou qu'elle n'est pas pleinement volontaire (6).

La colère est mortelle, lorsque l'émotion est si violente qu'elle éteint en nous l'amour de Dieu ou du prochain, comme il arrive quand elle se manifeste par des blasphèmes contre Dieu, ou des injures atroces contre le prochain, par de mauvais traitements (7).

(1) Theol. moral. lib. m. no 398. — (2) Serm. LVIII. — - (3) Psal. 4. - (4) S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 58. art. 3. - (5) Matth. c. 5. v. 22. - (6) S. Thomas, Sum, part. 2. 2. quæst. 58. art 3. - (7) S. Thomas, ibidem.

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616. Il est permis de tuer un injuste agresseur pour conserver sa vie, pourvu qu'on ne dépasse pas les bornes d'une juste défense, cum moderamine inculpata tutela, c'est-à-dire qu'on ne fasse éprouver à l'agresseur que le mal nécessaire pour éviter le sien propre : « Vim vi repellere omnes leges omniaque jura per« mittunt (1). »

Pour pouvoir tuer un injuste agresseur, il faut, 1o que celui qui est attaqué n'ait pas d'autre moyen pour se défendre; car s'il pouvait échapper au danger en fuyant, ou en arrêtant l'agresseur, ou en le blessant, il ne lui serait pas permis de le tuer; 2o que l'agresseur ait attaqué, ou qu'il se dispose au moins prochainement à le faire; comme, par exemple, s'il armait son pistolet, ou s'il mettait la main à son épée. On commet un meurtre, quand on tue un homme avant ou après le temps de l'agression. Ce ne serait pas demeurer dans les bornes d'une juste défense, que d'attaquer celui qu'on sait avoir résolu notre perte; ce serait devenir agresseur. Il n'est pas permis non plus de le poursuivre quand il se retire, ou qu'il est blessé et hors d'état de nuire.

617. Peut-on tuer un voleur, quand on ne peut conserver ses biens qu'en le tuant? Il est certain qu'on ne le peut dans les cas suivants : 1o Si la chose qu'on veut vous voler n'est que d'un prix modique; le pape Innocent XI a condamné cette proposition, par laquelle on osait soutenir qu'on peut régulièrement tuer un voleur pour la conservation d'une pièce d'or : « Regulariter occidere pos« sum furem pro conservatione unius aurei (2). » 2o Si la chose, de quelque prix qu'elle soit, peut être recouvrée autrement que par le meurtre du ravisseur. Jusqu'ici les théologiens sont d'accord; mais ils sont divisés sur la question de savoir s'il est permis de tuer un voleur pour conserver une chose de grande valeur, une chose qu'on ne peut vous enlever sans vous jeter dans une nécessité grave, sans vous causer un dommage considérable, eu égard à votre position. Le P. Antoine, Collet, Billuart, et plusieurs autres théologiens, pensent qu'il n'est pas même permis, dans le cas dont

(1) Voyez S. Thomas, part. 2. 2. quæst. 64. art. 7, et le Catéchisme du Con⚫ cile de Trente, sur le vio Précepte. — (2) Décret d'Innocent XI, de l'an 1619.

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