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il s'agit, de tuer un voleur pour la conservation des biens temporels. Mais saint Antonin, Sylvius, de Lugo, Suarez, saint Alphonse de Liguori, sont d'un sentiment contraire, et enseignent qu'on peut tuer un voleur, quand on ne peut autrement défendre sa fortune, ou même un bien, une chose de grande valeur (1). Cette opinion nous paraît plus probable que l'opinion contraire; car, indépendamment de tout autre motif, ce serait enhardir les voleurs à commettre les plus grands désordres, que d'imposer à un homme l'obligation de se laisser piller, toutes les fois qu'on lui demandera la bourse ou la vie. Il est nécessaire qu'un scélérat sache qu'on est en droit de lui résister; et que, dans le cas même où il ne craint ni la justice de Dieu, ni celle des hommes, espérant pouvoir échapper à celle-ci, il ne puisse impunément entreprendre de dévaliser un honnête homme.

618. En supposant toujours qu'il s'agit d'un vol considérable, nous pensons, pour la même raison, qu'on peut réclamer la chose volée, et, si on ne peut se la faire rendre, tenter de la reprendre, même au risque d'être dans la nécessité de tuer l'injuste possesseur, s'il oppose une résistance dangereuse; car alors il devient agresseur (2). Mais il n'est pas permis de tuer celui qui nous empêche injustement d'obtenir ce que nous espérons posséder, ou d'entrer en possession d'un héritage, d'un legs, ou de jouir d'une chaire, d'une prébende, d'un bénéfice (3).

Suivant saint Antonin, saint Alphonse de Liguori et un grand nombre de docteurs, il est permis de tuer celui qui veut outrager la pudeur, quand on ne peut se défendre autrement. En agissant ainsi, dit l'archevêque de Florence, une femme use de son droit; car il y a danger pour elle, même en souffrant violence, de consentir au péché (4).

619. Dans toutes les circonstances où il est permis de tuer un injuste agresseur pour ce qui nous regarde personnellement, on peut aussi le faire pour la défense du prochain : « Quandocumque quis habet jus alium occidendi, id potest etiam alius pro eo præstare; cum id suadeat charitas (5). » Mais y est-on obligé? Nous ne le pensons pas, à moins qu'il ne s'agisse de défendre un père, une mère, une épouse, un enfant, un frère; ou un prince, un magistrat, ou toute autre personne vraiment utile au bien public (6).

(1) Voyez S. Alphonse de Liguori, lib. m. no 383. - (2) S. Alphonse, ibid. (3) Décret d'Innocent XI, de l'an 1679. — (4) Sum. part. 2. tit. 7. c. 8. — (5) S. Alphonse de Liguori, lib. m. no 389, etc.; S. Thomas, Sum. part. 2. 2. quæst. 60. art. 6. ad secundum. — (6) S. Alphonse, ibidem, no 390.

Ce serait un crime de tuer un calomniateur, un faux témoin, un juge prévaricateur, de la part duquel on est menacé d'une sentence injuste; ou tout autre qui en veut à notre honneur (1).

620. En morale et aux yeux de la religion, le duel est un crime. On ne peut l'autoriser, ni pour mettre au jour la vérité, ni pour terminer un procès, ni pour sauver son honneur, ni pour éviter le reproche de lâcheté. Aussi l'Église frappe d'excommunication les duellistes, ainsi que ceux qui prennent part au duel. Nous expliquerons cet article en parlant des censures et de la sépulture ecclésiastique.

On définit le duel : un combat entre deux ou un plus grand nombre de personnes qui en viennent aux mains, après avoir indiqué le lieu, le jour, l'heure et la manière de se battre. C'est pourquoi l'on ne regarde pas comme duellistes ceux qui, sans convention préalable, se battent par suite d'une querelle.

Il n'est pas de prétexte que la passion n'ait imaginé pour justifier le duel; mais il n'en est pas un qui ait échappé à la vigilance et aux censures des Papes et des évêques (2).

Cependant, quand deux armées ennemies sont en présence, on peut proposer un combat singulier, pour prévenir ou arrêter une guerre qui, quelque juste qu'elle soit, a toujours des suites fàcheuses. Il est permis aussi d'accepter le duel de celui qui, étant déterminé à vous tuer, vous offre par forfanterie des armes pour vous défendre; parce qu'alors votre duel se change en une véritable défense, puisqu'il vous est impossible d'éviter le combat (3).

ARTICLE III.

De l'Avortement.

621. Il n'est pas permis à une femme de faire périr le fruit qu'elle porte dans son sein. L'avortement volontaire est un péché mortel, qui n'admet pas de légèreté de matière, un crime que rien ne peut excuser, pas même la crainte du déshonneur ou de la mort (4). En morale, nous ne distinguons point entre le fœtus animé et le fœtus inanimé; vu surtout qu'il nous paraît plus probable

(1) Décret d'Alexandre VII, de l'an 1665, et Décret d'Innocent XI, de l'an 1679. —(2) Alexandre VII, ibid., et Benoît XIV, Const. du 13 nov. 1752. -(3) S. Alphonse, lib. m, no 400. — (4) Decret d'Innocent XI, de l'an 1679.

que l'animation du fœtus a lieu au moment même de la conception. Ceux qui coopèrent à l'avortement, comme les médecins, les chirurgiens, les apothicaires, les sages-femmes, qui donnent ou indiquent à une femme enceinte les remèdes ou les moyens propres à faire périr son fruit, pèchent mortellement. Il en est de même du père de l'enfant ou de toute autre personne qui porte cette femme au crime.

622. Il n'est pas permis à une femme dangereusement malade de prendre un remède dans le but de se délivrer de sa grossesse, à moins qu'il n'y ait certitude de corruption dans le fœtus: « Excipe, « comme le dit saint Alphonse de Liguori, si fœtus esset corruptus, quia tunc non est jam fœtus, sed massa putrida, quæ amplius « non est capax animationis (1). » Mais elle peut prendre un remède dans le but de se guérir, même au risque d'un avortement, lorsque la maladie est mortelle, et que le remède est jugé nécessaire à sa guérison : « Certum est apud omnes licitum esse remedium præ« bere prægnanti, directe ad eam curandam etiam cum periculo abortus, si morbus est mortalis; secus si non esset talis (2).

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623. Une femme enceinte peut encore user d'un remède nécessaire à sa guérison, avec danger pour la vie de l'enfant, quand il est moralement certain que la mort de la mère doit entrainer celle de l'enfant : « Si remedium tendat directe ad servandam vitam matris, ut esset purgatio corporis, scissio venæ, balneum, etc., « hæc certe licita sunt, quando aliter certo moraliter judicatur « mater cum prole moritura (3). » On suppose que le remède ne tend pas directement à la mort de l'enfant, comme serait dilaceratio uteri; autrement il ne serait pas permis de l'employer.

Dans le doute si l'enfant doit survivre à la mère et peut recevoir le baptême, celle-ci peut-elle prendre le remède qui ne peut la sauver sans exposer à un plus grand danger la vie de l'enfant ? C'est une question controversée parmi les théologiens. Saint Alphonse pense qu'il n'est permis de donner un remède à une femme enceinte, au risque de perdre son fruit, que dans le seul cas où l'on n'a aucune espérance fondée de la survivance de l'enfant, et de la possibilité de lui administrer le baptême après la mort de la mère. Quand le danger est égal pour la mère et pour l'enfant, qui est exposé à mourir sans la grâce du baptême, l'ordre de la charité demande qu'on préfère la vie spirituelle de l'enfant à la vie temporelle

(1) Lib. ш. no 394. — (2) Ibidem. (3) Ibidem.

de la mère. Au reste, ajoute le même docteur, d'après les théologiens de Salamanque, les médecins ne doivent pas être scrupuleux à cet égard, vu qu'il est très-rare que l'enfant survive à la mère et puisse recevoir le baptême (1).

Il est défendu non-seulement de procurer l'avortement à une femme, mais encore de l'empêcher de concevoir ou de la rendre stérile; comme il l'est de mutiler un homme, ou de le rendre impuissant ad actum generationis. Il n'est pas permis non plus de mutiler les enfants pour leur conserver la voix, lors même qu'ils consentiraient à l'opération : « Peccant parentes qui filios etiam << consentientes castrant, ut sint utiles cantui (2). »

ARTICLE IV.

De la Guerre.

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624. La guerre est permise, pourvu qu'elle soit légitime, et qu'elle se fasse conformément au droit des gens. Mais pour qu'une guerre soit légitime, il faut qu'elle soit déclarée par l'ordre du chef de l'État, pour une cause juste et vraiment grave. La guerre est juste, quand elle est nécessaire à la nation, soit pour la conserver contre l'invasion, soit pour renverser les obstacles qui s'opposent à l'exercice de ses droits : « Justa bella definiri solent, dit saint Augustin, quæ ulciscuntur injurias (3). » Quand une guerre est évidemment injuste, il n'est pas permis d'y prendre part; ce serait coopérer à une injustice. Dans le doute si elle est légitime, on doit présumer en faveur de l'autorité qui commande, et obéir à ses ordres. Cependant celui qui n'est point astreint à l'obéissance, qui n'est point appelé à prendre les armes pour la guerre dont il s'agit, est obligé de s'abstenir; car il ne peut contribuer à dépouiller son prochain de ce qu'il possède, sans être assuré que cette possession soit injuste (4).

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Il est permis de tuer des ennemis dans le combat c'est le droit de la guerre ; mais la cruauté, la barbarie, l'esprit de vengeance qui accompagnent quelquefois l'action, sont des péchés, dont la malice ne peut être diminuée que par la fureur qui transporte le

(1) S. Alphonse, lib. I. n° 394. (2) Ibidem. no 374. quæst. 10. ► (4) Voyez le Traité de la Conscience, no 79, etc.

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soldat. Hors le temps du combat, on doit se contenter de faire l'ennemi prisonnier, lorsqu'on est sûr de pouvoir s'en rendre maitre; il n'y a pas nécessité de tuer ceux qui mettent bas les armes. Les lois de la guerre ne permettent pas de massacrer des hommes désarmés et soumis. Il y a certainement du danger, dans le fort de l'action, à s'amuser à faire des prisonniers; mais lorsqu'un régiment, un bataillon, une compagnie, se voyant cerné par l'ennemi, se rend et met bas les armes, le combat doit cesser; ce serait violer les droits de l'humanité, que d'égorger, de sang-froid, ceux qui se constituent prisonniers et se mettent hors d'état de nuire.

625. Les lois de l'équité ne permettent pas non plus de tuer les innocents. En cette matière on regarde comme tels les citoyens tranquilles, les enfants, les vieillards, les religieux, les ministres de la religion, les voyageurs, les gens de la campagne, qui ne sont point sous les armes. Mais ils n'ont droit d'être respectés par l'ennemi qu'autant qu'ils ne prennent aucune part active au combat.

Lorsqu'il n'est pas possible de distinguer les citoyens paisibles de ceux qui portent les armes, qu'on ne peut ménager les premiers sans s'exposer soi-même, ce qui arrive dans un siége, où les uns et les autres sont renfermés dans la même enceinte, aucune considération n'arrêtera les assaillants qui combattent pour la justice.

La nécessité de la guerre peut aussi quelquefois forcer un général à traiter rigoureusement une ville, une province qui oppose sans raison une résistance opiniâtre, qu'on ne pourrait surmonter si on usait de quelque ménagement. Mais c'est moins le pouvoir qu'il faut consulter alors, que l'absolue nécessité où l'on se trouve. Le droit de détruire n'existe que lorsqu'il se confond avec le droit de conserver et de se défendre. Saccager une ville, une province, hors le cas d'une vraie nécessité, ce serait violer toutes les lois de la charité et de la justice.

626. On peut, durant la guerre, user de stratagèmes; par exemple, donner des ordres publiquement pour des marches et des mouvements, tandis qu'on se propose tout autre chose. Ces feintes, ces déguisements ne sont point des mensonges; ce n'est point mentir que de dérober à l'ennemi la connaissance de ce qu'on doit faire, en lui donnant l'occasion de prendre le change : « Talis occultatio, « dit saint Thomas, pertinet ad rationem insidiarum quibus licitum « est uti in bellis justis (1) ; » mais il est défendu d'empoisonner les

(1) Sum. part. 2. 2. quæst. 40. art. 3.

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