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puits et les fontaines, ou de faire tout autre acte que la prudence ne peut ni prévoir, ni prévenir en aucune manière.

Il est permis à un prisonnier de guerre de prendre la fuite quand il le peut. Mais la foi promise doit être fidèlement gardée à l'ennemi, quel qu'il soit. C'est le droit de la nature et des gens. On doit par conséquent exécuter les capitulations, les conventions, les traités de paix; autrement les guerres deviendraient interminables.

627. L'état militaire ne dispense point des obligations du chrétien; il est des devoirs communs à tous les états, à toutes les professions. Les soldats comme les officiers, les officiers comme les soldats, sont obligés de faire de temps en temps des actes de foi, d'espérance et de charité, de recourir à la prière, de s'approcher des sacrements de pénitence et de l'eucharistie, d'entendre la sainte messe les jours de dimanche et de fête, toutes les fois qu'ils n'en sont point légitimement empêchés. Les officiers sont grandement coupables, lorsque, sans qu'il y ait nécessité, ils font faire quelque exercice militaire, les jours de fète, pendant l'office divin; de sorte que ni les soldats ni les officiers inférieurs ne peuvent assister à la messe. Ils ne sont pas moins répréhensibles lorsque, au lieu d'empêcher, comme ils le doivent, les duels et autres désordres de la part des soldats, ils les autorisent, les approuvent, ou par leurs exemples ou par leurs discours. Souvent même ils sont responsables des vols, des délits, des dégâts commis par leurs subalternes. Nous reviendrons, en parlant du septième précepte, sur les injustices auxquelles peuvent se livrer les militaires.

Quant aux obligations particulières aux officiers et aux soldats, elles sont contenues dans les lois et les règlements qui les concernent respectivement. La religion sanctionne ces règlements, en ce qui n'est point contraire à la sainteté de la morale évangélique. Subjecti estote, dit saint Pierre, omni humanæ creaturæ propter « Deum, sive regi quasi præcellenti, sive ducibus tanquam ab « eo missis (1). »

ARTICLE V.

Du Suicide.

628. Il n'est pas permis de se donner la mort; car personne n'est tellement maître de sa vie, qu'il puisse se l'ôter quand il lui plaît. C'est pourquoi la loi ne dit pas : Vous ne tuerez point les autres, (1) Epist. 1. c. 2. v. 13.

mais elle dit d'une manière absolue : Vous ne tuerez point, « Legis « hujus verbis non ita præscriptum : Ne alium occidas; sed sim- pliciter: NE OCCIDAS (1). » Si quelques martyrs se sont donné la mort en se jetant dans les flammes auxquelles ils avaient été condamnés, ou en provoquant les bêtes féroces auxquelles ils étaient livrés, on peut dire qu'ils agissaient d'après une inspiration particulière de l'Esprit-Saint, ou par zèle pour la religion, croyant faussement, mais de bonne foi, pouvoir agir ainsi pour confondre les tyrans. « Seipsos occiderunt, vel ex divina inspiratione, vel inculpata ignorantia (2). »

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Ce n'est pas se suicider que de s'exposer au danger de perdre la vie, lorsqu'on le fait par nécessité, par dévouement pour le bien public, comme le soldat qui meurt plutôt que de quitter son poste; ou par piété filiale, comme un fils qui, pour sauver son père, lui donne le morceau de pain dont il a besoin lui-même ; par charité, comme un naufragé qui cède à un autre la planche à laquelle il avait confié son salut. Il y a de la différence entre se donner la mort et cesser de défendre sa vie, ou préférer la vie d'un autre a la sienne propre; ce qui est permis, comme l'enseigne saint Thomas (3).

629. Il est permis, en cas d'incendie, de se jeter par la fenêtre, dans l'espoir d'échapper à une mort imminente et certaine. De mère, quoiqu'une jeune fille ne puisse se donner la mort, elle peut néanmoins, suivant plusieurs théologiens, s'exposer au danger de perdre la vie, pour n'être pas violée ce qui, ajoute saint Alphonse de Liguori, ne parait pas improbable, si elle agit par amour pour la vertu, ou par la crainte de se laisser aller au péché (4).

Ce n'est pas être homicide de soi-même que d'abréger sa vie par les austérités de la pénitence, pourvu que les jeunes, les privations, les veilles ou macérations auxquelles on se livre ne soient point indiscrètes. En tout cas, la bonne foi, le désir de satisfaire à la justice divine, la crainte de l'enfer, excusent facilement les excès de ce genre. Mais une femme pècherait, et s'exposerait au danger de pécher mortellement, si, contre la défense de son mari, elle se permettait des privations capables d'altérer sa santé.

(1) Catéchisme du Concile de Trente, sur le cinquième Précepte. — (2) S. Alphonse de Liguori, Theol. moral. lib. 1. no 366. (3) In 3. Distinct. 29. quæst. 1. art. 5. ad 3. Voyez aussi S. Alphonse, lib. ш. no 366. —(4) Ibidem,

n° 367.

630. Celui qui est en danger de mort n'est pas obligé de souffrir une opération pour laquelle il éprouve une répugnance insurmontable, telle que, par exemple, l'amputation d'une jambe, ou l'extraction de la pierre. Il serait dangereux de lui en faire une obligation grave: « Et sic nec virgo ægrotans, tenetur subire manus « medici vel chirurgi in verendis, quando id ei gravissimum est, « et magis quam mortem ipsam horret (1). Secus vero de muliere « quæ non potest parere nisi ope chirurgi.

Dieu étant le maître de nos membres aussi bien que de notre vie, il n'est pas permis à l'homme de se mutiler ou de souffrir qu'on le mutile, à moins qu'au jugement des médecins la mutilation ne soit nécessaire pour conserver le reste du corps, pour obtenir la guérison d'une maladie dangereuse. Les saints Pères regardent comme homicides d'eux-mêmes ceux qui se mutilent pour éviter les tentations de la chair (2).

SIXIÈME PARTIE.

Du sixième précepte du Décalogue.

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631. Le sixième précepte, Non machaberis, auquel se rapporte le neuvième, Non desiderabis uxorem proximi tui, défend la luxure, c'est-à-dire, tout péché contraire à la chasteté : Castitati opponitur luxuria, quæ est inordinatus appetitus seu usus venereo« rum. » Cette défense comprend non-seulement la fornication, l'adultère, mais encore les pensées, les désirs, les regards, les paroles, les attouchements, et généralement tous les actes qui peuvent conduire à l'impureté : de là, la distinction des actes de luxure consommée, ut illicita viri cum muliere copula; et des actes de luxure non consommée, comme les pensées déshonnêtes, les désirs impurs, les regards immodestes, les paroles obscènes, les baisers lascifs, les attouchements impudiques.

Le vice impur est bien commun; il est, dit saint Alphonse de Liguori, la matière la plus ordinaire, la plus abondante des confessions, et la cause de la perte du plus grand nombre des réprouvés : « Frequentior atque abundantior confessionum materia,

(1) S. Alphonse de Liguori, lib. m. no 372. quæst. 65. art. 1. S. Chrysostome, homil. 63.

- (2) S. Thomas, Sum. part. 2. 2.

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propter quam major animarum numerus ad infernum dela« bitur (1). »

Tout péché de luxure ou de délectation charnelle est mortel; il n'admet pas de légèreté de matière, du moins quand il est directement contraire à la chasteté.

CHAPITRE PREMIER.

Des Péchés de Luxure non consommée.

632. On pèche contre le sixième commandement, en consentant à de mauvaises pensées, à des pensées déshonnêtes, ou contraires à la sainte vertu de chasteté. Mais une mauvaise pensée ne nous est imputable qu'autant qu'elle est volontaire. Or, pour juger si elle est volontaire, on doit distinguer trois choses: la suggestion, la délectation et le consentement. La suggestion n'est autre chose que l'idée du mal ou de la chose illicite qui se présente à l'esprit; elle n'est point en elle-même un péché. La délectation est le plaisir charnel qu'occasionne la pensée du mal. Si on ne renonce pas à cette délectation aussitôt qu'on s'aperçoit qu'on ne peut s'y arrêter sans péché, si on s'y complait avec pleine advertance et de propos délibéré, il y a péché mortel. « Omnis delectatio carnalis sive luxu«riosa cum advertentia et deliberatione capta, est mortale pecca« tum, » dit saint Alphonse de Liguori (2). Si la volonté ne consent qu'à demi, le péché n'est que véniel; si elle ne consent en aucune manière, il n'y a pas de péché.

Il ne faut pas confondre le consentement de la volonté, ni avec la pensée, ni avec le plaisir ou la délectation qui accompagne ordinairement la pensée de re venerea. Ce plaisir peut subsister sans que la volonté y soit pour rien; et tant que la volonté n'y prend aucune part, qu'elle n'y adhère point, il ne peut y avoir de péché ; ce n'est plus qu'une tentation qui devient un sujet de mérite pour nous (3).

633. Nous parlons de la délectation charnelle, carnali, libidinosa, seu venerea, quæ nempe sentitur circa partes venereas, et

(1) Lib. m. no 413. —(2) Ibid. no 415.—(3) Voyez dans le Traité des Péchés ce que nous avons dit de la Délectation morale des péchés de désir,

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oritur ex commotione spirituum generationi inservientium. Cette délectation n'admet pas de légèreté de matière, comme on le voit par la condamnation de la proposition suivante: «Est probabilis « opinio, quæ dicit esse tantum veniale osculum habitum ob de«<lectationem carnalem et sensibilem quæ ex osculo oritur, secluso « periculo consensus ulterioris, et pollutionis (1). » En est-il de même de la délectation organique, naturelle, quæ sine ulla commotione spirituum genitalium oritur, ex sola proportione objecti sensibilis ad sensum, visibilis nempe ad visum, tangibilis ad tactum? Les théologiens ne s'accordent point sur cette question. Les uns admettent la légèreté de matière dans la délectation naturelle. Non peccat nisi venialiter, dit Billuart, qui aspicit pulchram mulierem, aut tangit ejus manum seu faciem, præcise propter delecatationem mere organicam seu sensualem, consistentem in quadam « conformitate rei visæ vel tactæ cum organo visus vel tactus; ita « ut non sit aliud quam delectatio de re pulchra quæ videtur, aut « de re blanda, molli, tenera quæ tangitur, absque alia cujus« cumque rei turpis delectatione (2). » Les autres soutiennent, avec quelques modifications cependant, qu'il n'y a pas de légèreté de matière dans la délectation sensitive: «Non datur parvitas materiæ, dit saint Alphonse, in delectatione sensibili sive naturali, nempe de contactu manus feminæ, prout de contactu rei lenis, « puta, rosæ, panni serici et similis; quia ob corruptam naturam « est moraliter impossibile habere illam naturalem delectationem quin delectatio naturalis et venerea sentiatur, maxime a personis « ad copulam aptis, et maxime si actus isti habeantur cum aliquo « affectu et mora. Attamen, ajoute le même docteur, aliud est « agere propter delectationem capiendam, aliud cum delectatione « quæ consurgit ex qualitatibus corporibus annexis, in qua bene. potest dari parvitas materiæ, si delectatio sit mere sensibilis, sive * naturalis, modo non sistas in ea, sed in tactu delectationem de<«< testeris : alias non ageres cum delectatione, sed propter delecta« tionem; quod non potest esse sejunctum a periculo incidendi in delectationem veneream (3). ›

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Le premier sentiment nous paraît plus probable que le second; mais parce que dans l'un et l'autre sentiment on pèche en cherehant la délectation naturelle, et que le péché est plus ou moins grave, suivant qu'il y a plus ou moins de danger de se laisser aller

(1) Décret d'Alexandre VII, de l'an 1665. — (2) Tract. de Temperantia, dissert. v. de Luxuria, art. 2. (3) Lib. 1. n° 416.

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