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pays. Le propriétaire du sol qui a fait des constructions, plantations et autres ouvrages avec des matériaux qui ne lui appartenaient pas, doit en payer la valeur; il peut même être tenu à des dommages et intérêts, s'il a agi de mauvaise foi. Mais, en aucun cas, le propriétaire n'a le droit de les enlever.

Lorsque les constructions, plantations et ouvrages ont été faits par un tiers et avec ses matériaux, le propriétaire du fonds a droit ou de les retenir, ou d'obliger ce tiers à les enlever. Si le propriétaire du fonds demande la suppression des plantations et constructions, elle est aux frais de celui qui les a faites, sans aucune indemnité pour lui: il serait même obligé de dédommager le propriétaire du fonds, dans le cas où celui-ci aurait éprouvé quelque préjudice.

Si le propriétaire préfère conserver ces plantations et constructions, il doit le remboursement de la valeur des matériaux et du prix de la main-d'œuvre, sans égard à la plus ou moins grande augmentation de la valeur que le fonds a pu recevoir. Neanmoins, si les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers évincé qui n'aurait pas été condamné à la restitution des fruits, attendu sa bonne foi, le propriétaire ne pourra demander la suppression desdits ouvrages, plantations et constructions; mais il aura le choix ou de rembourser la valeur des matériaux et le prix de la main-d'œuvre, ou de rembourser une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur (1).

708. Le droit d'accession, quand il a pour objet deux choses mobilières appartenant à deux maitres différents, est entièrement subordonné aux principes de l'équité naturelle. Cependant le Code nous donne quelques règles particulières, propres à nous déterminer dans les cas analogues et non prévus. Ces règles sont relatives: 1o à l'union de deux choses appartenant à divers propriétaires; 2o à la formation d'une nouvelle espèce avec une matière appartenant à autrui; 3° au mélange de plusieurs matières appartenant à divers propriétaires.

Lorsque deux choses appartenant à différents propriétaires ont été unies de manière à former un seul tout, ce tout appartient au propriétaire de la chose principale, quand même les deux choses seraient séparables et pourraient subsister l'une sans l'autre, à la charge toutefois par lui de rembourser la valeur de l'autre objet. Est réputée partie principale celle à laquelle l'autre n'a été unie

(1) Cod. civ. art. 552. — Voyez aussi les art. suivants du Cod. civil.

que pour l'usage, l'ornement et le complément de la première. S'il était difficile de discerner laquelle est l'accessoire de l'autre, il faudrait alors réputer chose principale celle qui serait la plus considérable en valeur, ou en volume, si les valeurs étaient à peu près égales.

Néanmoins, quand la chose unie est beaucoup plus précieuse que la chose principale, et qu'elle a été employée à l'insu du propriétaire, celui-ci peut alors demander qu'elle soit séparée pour lui être rendue, lors même qu'il pourrait en résulter quelque dégradation de la chose principale à laquelle elle a été jointe.

709. Pour ce qui regarde la spécification, c'est-à-dire, la formation d'une nouvelle espèce avec une matière appartenant a autrui, c'est un principe général que, la matière puisse ou non reprendre sa première forme, celui qui en était propriétaire en totalité a droit de réclamer la chose qui en a été formée, en remboursant le prix de main-d'œuvre. Si donc un ouvrier fait une table avec du bois qui m'appartient, un vase d'airain ou d'argent avec mon métal, j'ai droit de réclamer cette table ou ce vase, en payant la main-d'œuvre à l'ouvrier. Cependant, si la main-d'œuvre était tellement importante qu'elle surpassât de beaucoup la valeur de la matière employée, l'industrie serait alors réputée la partie principale, et l'ouvrier aurait droit de retenir la chose travaillée, en remboursant le prix de la matière au propriétaire. Ainsi, le statuaire devient maître de la statue qu'il a faite avec une matière d'autrui; mais il est obligé de rembourser au propriétaire le prix du marbre ou de la matière dont il s'est servi.

710. Lorsqu'une personne a employé en partie la matière qui lui appartenait, et en partie celle qui ne lui appartenait pas, à former une chose d'une espèce nouvelle, sans que ni l'une ni l'autre des deux matières soit entièrement détruite, mais de manière qu'elles ne puissent se séparer sans inconvénient, la chose devient commune aux deux propriétaires, en raison, quant à l'un, de la matière qui lui appartenait; quant à l'autre, en raison à la fois et de la matière qui lui appartenait, et du prix de la main-d'œuvre. Ainsi, par exemple, si la chose de l'espèce nouvelle vaut 3,000 francs; la matière appartenant à autrui, 1,000 francs; celle appartenant à l'ouvrier, 1,000 francs; et la main-d'œuvre 1,000 francs; l'ouvrier est propriétaire de la chose pour les deux tiers, c'est-à-dire, pour la valeur de 2,000 francs.

711. Lorsqu'une chose a été formée par le mélange de plusieurs matières appartenant à différents propriétaires, mais dont aucune

ne peut être regardée comme la matière principale; si les matières peuvent être séparées, celui à l'insu duquel les matières ont été mélangées peut en demander la division. Si elles ne peuvent plus être divisées ou séparées sans inconvénient, les différents maîtres en acquièrent en commun la propriété dans la proportion de la quantité, de la qualité et de la valeur appartenant à chacun d'eux. Si la matière appartenant à l'un des propriétaires était de beaucoup supérieure à l'autre par la quantité et le prix, en ce cas le propriétaire de la matière supérieure en valeur pourrait réclamer la chose provenue du mélange, en remboursant à l'autre la valeur de sa matière.

Lorsque la chose reste en commun entre les propriétaires des matières dont elle a été formée, elle doit être licitée au profit

commun.

Dans tous les cas où le propriétaire dont la matière a été employée, à son insu, à former une chose d'une autre espèce, peut réclamer la propriété de cette chose, il a le choix de demander la restitution de sa matière en même nature, quantité, poids, mesure et bonté, ou sa valeur (1).

CHAPITRE VI.

De la Prescription.

712. La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi (2). Cette définition comprend les deux espèces de prescriptions celle à l'effet d'acquérir, appelée chez les Romains usucapio, et celle à l'effet de se libérer, qu'ils nommaient præscriptio. La première est l'acquisition d'une propriété par une possession continuée pendant tout le temps défini par la loi : « Usucapio est « acquisitio vel adjectio dominii per continuationem possessionis << temporis lege definiti (3). »

On peut, en conscience, user des droits acquis par la prescription. Les théologiens et les canonistes s'accordent généralement sur

(1) Voyez le Cod. civil, depuis l'art. 556 jusqu'à l'art. 577, où il est parlé de l'alluvion. (2) Ibidem. art. 2219.—(3) L. 3. ff. de Usurp. et usucap.

ce point. Le précepte, Non furtum facies, nous défend simplement de prendre ou de voler le bien d'autrui, et de retenir sciemment le bien qu'on a pris ou qu'on possède injustement: « Le bien d'au« trui tu ne prendras ni retiendras à ton escient. >> La loi de Dieu ne va pas plus loin; elle se tait sur les effets de la possession de bonne foi, comme sur l'origine, le caractère, l'étendue et la durée de la propriété. Elle ne nous instruit pas plus sur la prescription que sur l'occupation, le droit d'accession, l'invention et la succession des biens. Ces différentes questions et autres semblables sont principalement réglées par le droit civil, suivant les lieux, les temps et les circonstances qui peuvent faire varier ou modifier la législation.

Les conditions requises pour la prescription sont : la possession d'une chose qui est dans le commerce, la bonne foi, un titre translatif de propriété, et un certain temps déterminé par la loi.

713. 1° La possession. La possession est le fondement de la prescription: «Sine possessione præscriptio non procedit (1).» Elle se définit la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom. Pour prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. Une prescription qui s'introduit par la violence, ou qui est clandestine, ou qui n'est fondée sur aucun titre translatif de propriété réel ou présumé, ne peut servir pour la prescription. Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent non plus fonder ni possession, ni prescription. Exemple: Pendant trente ans je me suis abstenu de bâtir sur mon terrain; mon voisin n'a pas acquis le droit de m'empêcher de bâtir après ce laps de temps; car bâtir ou ne bâtir pas sont des actes de pure faculté. De même, si je laisse paître pendant trente ou quarante ans les bestiaux de mon voisin sur une de mes terres en friche, c'est un acte de simple tolérance, dont il ne peut se prévaloir pour la prescription (2).

714. 2o D'une chose qui est dans le commerce. On ne peut prescrire que les choses qui sont dans le commerce, qui sont susceptibles d'être possédées par des particuliers. Ainsi, ni les églises, ni les cimetières, ni les places publiques, ni les rues, ne peuvent se prescrire : « Nec usucapiuntur res sacræ, sanctæ, publicæ (3). » Mais

(1) Reg. juris in Sexto. - (2) Cod. civ. art. 2228.

usucap.

-

(3) L. 9. de Usurp. et

l'État, les établissements publics et les communes sont soumis, quant aux biens susceptibles d'une propriété privée, aux mêmes prescriptions que les particuliers (1).

3o La bonne foi. Une possession, quelque longue qu'elle soit, ne peut opérer la prescription, si elle n'est fondée sur la bonne foi. Le droit canonique, conformément au droit naturel, déroge, en cette matière, aux lois civiles, soit parce qu'il exige la bonne foi dans toutes les prescriptions, soit parce qu'il exige qu'elle dure tout le temps requis pour prescrire : « Possessor malæ fidei ullo « tempore non præscribit (2). Definimus ut nulla valeat absque - bona fide possessio... Unde oportet ut qui præscribit in nulla « temporis parte habeat conscientiam rei alienæ (3). » Par conséquent, si le possesseur vient à reconnaître, avant que le temps nécessaire pour la prescription soit écoulé, que la chose qu'il possède appartient à un autre, il ne peut prescrire au for de la conscience, quoique la prescription puisse être admise au for extérieur.

715. La bonne foi requise pour la prescription consiste à être persuadé que la chose qu'on possède nous appartient. Ainsi, celui qui a acheté une chose qu'il croit, de bonne foi, avoir appartenu au vendeur, peut en acquérir la propriété par prescription, quoique le vendeur ait été possesseur injuste de cette chose. C'est l'erreur de fait qui constitue la bonne foi et sert de base à la prescription : « Facti ignorantiam prodesse constat. » Quant à l'erreur de droit, elle est regardée comme incompatible avec la bonne foi, et ne peut favoriser la prescription, à moins qu'il ne s'agisse d'une prescription trentenaire : « Juris ignorantiam in usucapione negatur prod« esse (4); » ce qui, à notre avis, ne doit s'entendre que de la prescription de vingt, de dix ans et au-dessous (5).

716. Celui qui entre en possession d'une chose, dans le doute si cette chose est à lui, ne peut, tant que le doute subsiste, commencer la prescription. En est-il de même lorsque le doute survient pendant une possession commencée de bonne foi? Dans ce cas, le possesseur doit chercher à découvrir la vérité. Si, après un mûr examen, le doute persévère, il peut continuer sa possession, en vertu de cette maxime de droit: In dubio melior est conditio possidentis ; et cette possession suffira pour la prescription. « Qui ab initio dubitat, dit saint Alphonse de Liguori, an res sit sua, nequit inchoare

"

(1) Cod. civ. art. 2226 et 2227. — (2) Reg. juris in Sexto. — (3) Cap. Quoniam de præscriptione. — (4) L. 4. ff. de Juris in facti ignorantia. —— (5) C'est le sentiment de Lessius, de Pikler, de Covarruvias, de Collet, de Billuart, etc.

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