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pourrait être réduite par le juge, ou, à son défaut, par des hommes prudents, capables d'apprécier le fait (1).

Les engagements contractés sous l'impression d'une crainte grave et injuste sont-ils nuls de plein droit? Suivant le sentiment le plus communément reçu parmi les canonistes, ils ne sont pas nuls de plein droit, à l'exception cependant du mariage, des fiancailles, de la profession religieuse, de l'absolution des censures, de la renonciation à un bénéfice, et de quelques autres actes (2).

Suivant le Code civil (3), la convention contractée par violence n'est point nulle de plein droit; elle donne seulement lieu à une action de nullité ou en rescision. Mais, pour ce qui regarde le for intérieur, elle peut être rescindée, non-seulement par le juge, mais encore par la personne qui a été contrainte, et de sa propre autorité; et si, lorsque la partie lésée réclame la rescision du contrat, l'autre partie s'y refuse, la première pourra, dans l'occasion, user de compensation, à raison du tort qu'elle a éprouvé (4).

740. 3° Le dol. On appelle dol toute espèce d'artifice employé pour induire ou entretenir une personne dans l'erreur qui la détermine à une convention préjudiciable à ses intérêts, ou qui la détourne de faire une chose utile. On distingue deux sortes de dols : le dol qui est la cause ou le motif déterminant du contrat, et le dol accidentel, par lequel une personne, déterminée d'ailleurs à contracter, est trompée sur les accessoires du contrat. Or, le dol qui a été la cause principale ou déterminante du contrat, dans causam contractui, donne lieu à la résolution du contrat. Selon le droit civil, le dol est une cause de nullité de la convention, lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté (5). Mais il n'en est pas de même du dol accidentel. On ne peut pas dire qu'il eût empêché le contrat, s'il avait été connu. Par conséquent, il ne donne droit qu'à des dommages et intérêts contre la partie qui l'a employé,

741. 4° La lésion. Il y a lésion dans les contrats commutatifs, toutes les fois que l'une des parties ne reçoit pas l'équivalent de ce qu'elle donne; mais elle ne vicie ces conventions que dans certains contrats, ou à l'égard de certaines personnes (6): ce qui a été sa

(1) Pothier, des Obligations, etc. — (2) Voyez S. Alphonse de Liguori, lib. ш, no 716. — (3) Cod. civ. art. 1117. — (4) S. Alphonse de Liguori, lib. 11, no 717, (5) Cod. civ. art. 1116. (6) Ibidem. art. 1118.

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gement établi pour la sûreté et la liberté du commerce, qui exige qu'on ne puisse facilement revenir contre les conventions (1).

742. Est-on obligé en conscience d'exécuter un contrat qui n'est point revêtu des formalités prescrites par la loi civile, sous peine de nullité? On suppose que ce contrat ne renferme rien qui soit contraire aux mœurs, au bon ordre, aux lois. On suppose, en outre, que les parties contractantes ne sont pas du nombre des personnes que la loi déclare incapables de contracter.

Les docteurs ne s'accordent pas sur cette question. Les uns pensent que le contrat dont il s'agit est absolument nul, et qu'il ne lie point la conscience. D'autres, en aussi grand nombre, distinguant l'obligation naturelle de l'obligation civile, ne font tomber la nullité que sur la seconde et non sur la première de ces deux obligations, sur l'acte et non sur la convention. « La forme des contrats, << dit Toullier, appartient à la manière de prouver leur existence, « et non pas à l'essence des conventions considérées en elles-mêmes. « La validité de la convention est indépendante de la validité de l'acte, de son authenticité, et même de l'existence de tout « acte (2). »

On lit dans le Répertoire de jurisprudence de Merlin : « Le con« sentement des parties forme l'essence des contrats; mais ce sont « les formalités qui les accompagnent qui en assurent l'exécution (3). « C'est par la société que les contrats deviennent efficaces, et « qu'ils forment des obligations réelles, c'est-à-dire, auxquelles on « ne peut échapper. Il ne faut pas croire cependant que l'obliga«tion réside dans les formalités auxquelles on assujettit souvent les « conventions (4). »

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Le droit civil, dit Jaubert, n'intervient que pour les formes; « elles sont tutélaires, nécessaires; mais elles ne se rapportent qu'à l'action civile. La véritable base de l'obligation est toujours dans la conscience des contractants (5). »

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743. Ce sentiment nous parait plus probable que le premier; cependant, parce que ce n'est qu'une opinion probable, nous pensons qu'on ne doit point inquiéter au for intérieur celui qui ferait casser un contrat, un acte de donation, par exemple, comme n'étant pas revêtu de toutes les formalités prescrites par la loi civile sous peine de nullité (6). Il ne faudrait point non plus inquiéter

(1) Voyez le Code civil, art. 887, 1674 et 1304. - (2) Droit civil français, tome vi. n° 23.- (3) Au mot Contrat.—(4) Au mot Convention. -(5) Voyez l'Exposé des motifs du Code civil, tome v, édit. Didot. — (6) Voyez S. Alphonse de Liguori, lib. 1. no 711.

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celui qui, par suite de l'exécution de ce contrat, serait en possession de la chose qui en est l'objet. Le Code civil même se déclare en faveur de cette possession. « Une femme mariée, dit Jaubert, qui ne peut s'obliger civilement sans l'autorisation de son mari « ou de la justice, est pourtant responsable envers sa conscience « de l'inexécution de son engagement. Si donc un regret immoral << la portait à vouloir répéter ce qu'elle a payé, sous prétexte qu'elle << n'aurait pu être civilement contrainte, le magistrat la repousserait, en lui rappelant qu'elle a satisfait à une obligation natu« relle. Il en serait de même d'une obligation contractée par un « mineur sans les formes voulues par la loi, et qui aurait été vo« lontairement payée au temps de sa majorité (1). »

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Nous reviendrons sur cette question au chapitre des Donations.

ARTICLE II.

De la Capacité des parties contractantes.

744. Il n'y a que ceux qui ont suffisamment l'usage de raison qui peuvent contracter. Toute convention faite par une personne qui est privée de l'usage des facultés intellectuelles est absolument nulle, et ne peut avoir aucun effet. Mais tous ceux qui sont capables de contracter naturellement ne sont pas toujours capables de contracter civilement. Sont civilement incapables de contracter, les interdits et les prodigues, les mineurs, les femmes mariées, dans les cas exprimés par la loi; ceux qui sont morts civilement, et, généralement, tous ceux auxquels la loi a interdit certains contrats (2).

745. 1o Les interdits et les prodigues. Les interdits sont incapables de contracter, étant privés par jugement de l'administration de leurs biens. On interdit celui qui est dans un état habituel d'imbécillité, de démence ou de fureur, même lorsque cet état présente des intervalles lucides (3).

L'interdit est assimilé au mineur, pour sa personne et pour ses biens; cependant l'incapacité du premier est plus étendue que celle du second: le mineur ne peut faire annuler ses actes qu'autant qu'il

(1) Exposé des motifs du Code civil, tome v, etc. - Voyez aussi le Code civil, art. 1311, 1338, 1340, etc.—(2) Voyez le Code civil, art. 450, 1595 et suivants. — (3) Ibidem. art. 489.

a été lésé, tandis que les actes d'un interdit sont nuls de droit ; pour les faire annuler, il suffit de présenter le jugement d'interdiction. Le mineur peut contracter mariage, faire un testament; l'interdit ne le peut pas (1).

Les actes d'un homme en démence, antérieurs à l'interdiction, sont nuls au for intérieur; ils pourraient même être annulés au for extérieur, si la démence était notoire à l'époque où ces actes ont été faits (2). Mais si l'interdit recouvrait l'usage de raison avant la levée de l'interdiction, il pourrait contracter et former des engagements qui obligeraient en conscience.

Ceux qui ont traité avec un interdit, ne peuvent attaquer les actes qu'ils ont consentis; en contractant avec lui, ils sont censés avoir reconnu qu'il était capable d'agir avec discernement. Il en est de même relativement au prodigue, au mineur, et à la femme mariée (3).

Pour ce qui regarde les prodigues, il peut leur être défendu de plaider, de transiger, d'emprunter, de recevoir un capital mobilier et d'en donner décharge, d'aliéner, de grever leurs biens d'hy pothèques, sans l'assistance d'un conseil judiciaire. Mais les contrats faits par un prodigue, avant qu'il ait été soumis à un conseil judiciaire, sont valables non-seulement au for extérieur, mais même au for de la conscience. Il n'en est pas d'un prodigue comme d'un interdit qui était en démence avant son interdiction. Dans l'espèce présente, le prodigue n'étant ni naturellement ni civilement incapable de contracter, celui qui contracte avec lui peut tenir à l'exécution du contrat, sans commettre une injustice. S'il prévoit le mauvais usage que le prodigue doit faire du prix de la chose qu'il veut vendre, il pèche en l'achetant; mais nous croyons que ce péché n'est point contre la justice.

746. 2° Les mineurs. On appelle mineurs, les individus de l'un et de l'autre sexe qui n'ont pas encore l'âge de vingt et un ans accomplis (4). Les mineurs sont civilement incapables de certains actes (5); mais leur incapacité n'est pas tellement absolue qu'elle ne puisse produire aucun effet. Pour ce qui concerne les contrats, un mineur ne peut revenir contre ses engagements qu'autant qu'il en a éprouvé quelque lésion : « Minor non restituitur tanquam mi« nor, sed tanquam læsus. » Il n'est pas même restituable pour cause de lésion, lorsqu'elle ne résulte que d'un événement casuel

(1) Cod. civ. art. 502, 509 et 1305.—(2) Ibidem. art. 503. —(3) Ibidem, art. 1125. — (4) Ibidem. art. 488. — (5) Ibidem, art. 1124, etc.

et imprévu. Exemple : Un mineur achète une maison; le marché est avantageux; quelque temps après, cette maison est consumée par un incendie; il ne peut faire rescinder le contrat de vente (1). Il en est de mème du mineur commerçant, banquier ou artisan; il n'est point restituable contre les engagements qu'il a pris à raison de son commerce ou de son art. Il ne l'est point non plus contre les obligations résultant de son délit ou quasi-délit (2).

La minorité n'étant pas une cause de nullité radicale, absolue, mais seulement un motif de rescision, un mineur ne serait pas admis à revenir contre des engagements qui auraient tourné à son profit. Si done, par exemple, il a emprunté une somme d'argent qu'il a employée utilement aux réparations nécessaires de sa maison, il ne peut se dispenser de rendre cette somme à celui qui la lui a prétée. L'équité s'oppose également à ce qu'il retienne la somme qu'il aurait empruntée dans un cas de nécessité (3).

747. Nous ajoutons, pour le for intérieur, qu'un mineur, émancipé ou non, pourvu qu'il connût l'obligation qu'il contracte, serait obligé de rendre la somme qu'il aurait empruntée d'une personne agissant de bonne foi, lors même qu'il n'en aurait pas profité. On en pourra juger par la supposition suivante: Paul, âgé d'environ dix-huit ans, se trouvant sur une foire avec Pierre, feint de rencontrer une occasion favorable de payer la dette de son père, qui n'est point sur les lieux; il demande cinq cents francs à Pierre, qui les lui prête sans difficulté, n'ayant pas de raison de se défier de lui; mais, au lieu de s'en servir pour acquitter la dette de son pére, Paul emploie cette somme en vaines dépenses. Ne serait-ce pas favoriser le désordre, que d'exempter ce jeune homme de toute restitution? N'est-il pas juste qu'il rende, quand il le pourra, la somme qui lui a été prêtée de bonne foi? « Les mineurs peut« vent bien, dit Pothier, même dans le for de la conscience, « user du bénéfice de la rescision contre les contrats dans lesquels «< ils ont été lésés, l'équité naturelle ne permettant pas que celui qui a contracté avec eux profite de leur défaut d'expérience; « mais ils ne peuvent, dans le for de la conscience, avoir recours « au bénéfice de la rescision, qui leur est offert dans le for exté«rieur, pour se dispenser de rendre un argent qu'ils ont reçu et qu'ils ont dissipé, lorsque, au temps qu'ils ont contracté, ils

(1) Cod. civ. art. 1306. — (2) Ibidem, art. 1308, 1310.- (3) Voyez le Traité des contrats, par Duranton, tome 1, no 12; le Droit civil français, par Toullier, tome vii, no 581, etc.

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