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sociés, ainsi que du contrat de rente. Dans ce dernier contrat, le débiteur peut garder le capital tant que bon lui semblera, en payant la rente; tandis que dans le prêt, il est obligé de le rendre au terme convenu.

814. L'emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées en même espèce, quantité et qualité, et au terme convenu (1). Si, par exemple, je vous ai prêté 100 bouteilles de vin de Bordeaux, vous êtes obligé de me rendre 100 bouteilles de Bordeaux ; si je vous ai prêté 100 mesures de froment, vous êtes tenu de me rendre la même quantité de froment, et ce froment doit avoir la même qualité que celui que je vous ai livré. Si l'emprunteur est dans l'impossibilité de satisfaire à cette obligation, il est tenu d'en payer la valeur, eu égard au temps et au lieu où la chose devait être rendue d'après la convention. Si ce temps et ce lieu n'ont pas été fixés, le payement se fait au prix du temps et du lieu où l'emprunt a été fait (2).

Quand il s'agit d'un prêt en argent, l'obligation qui en résulte n'est toujours que de la somme numérique qui est l'objet du contrat. S'il y a eu augmentation ou diminution d'espèces avant l'époque du payement, le débiteur doit rendre la somme numérique prêtée, et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du payement (3). Exemple: Vous m'avez prêté dix pièces d'or de 20 francs, ce qui fait une somme de 200 francs : postérieurement, une loi porte la valeur de ces pièces à 22 francs; serai-je obligé de vous rendre les dix pièces d'or que vous m'avez livrées? Non; je suis seulement obligé de vous rendre une somme de 200 francs; parce que ce ne sont point les pièces de monnaie, mais seulement la valeur qu'elles représentent, qui fait la matière du prêt. Il n'en est pas de même lorsque le prêt se fait en lingots (4) car c'est alors la matière elle-même qui est l'objet du contrat. Si donc ce sont des lingots ou des denrées qui ont été prétés, quelle que soit l'augmentation ou la diminution de leur prix, le débiteur doit toujours rendre la même quantité et la même qualité, mais il n'est obligé de rendre que cela.

Le prêteur qui connaît les défauts ou les vices de la chose qu'il prète est obligé d'en avertir l'emprunteur, toutes les fois que ces défauts sont de nature à porter préjudice à celui-ci : l'équité le demande et l'exige impérieusement, sous peine, pour le prêteur,

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d'ètre responsable du dommage qui en résulterait pour l'emprunteur (1). Il ne peut d'ailleurs, en aucun cas, redemander les choses prêtées avant le terme convenu, lors même que, postérieurement à l'acte du prêt, il aurait un besoin pressant et imprévu des choses qu'il a prétées (2).

Il y a un précepte pour l'aumône en faveur des pauvres; il y en a un pour le prêt en faveur de ceux qui, sans être pauvres, sont indigents, qui éprouvent un besoin relatif à leur position. Ce second précepte oblige celui qui peut secourir son prochain; « Nemi« nem id latere potest, dit Benoit XIV, quod multis in casibus « tenetur homo simplici ac nudo mutuo alteri succurrere, ipso præ« sertim Christo monente: Volenti mutuari a te, ne avertaris. Matth. c. V. v. 42 (3). »

ARTICLE III.

Du Prêt à intérêt.

815. Le prêt à intérêt n'est autre chose que le simple prêt duquel on tire des intérêts. Si on perçoit l'intérêt à l'occasion du prêt, mais en vertu d'un titre légitime et extrinsèque au prêt, cet intérêt n'est point illicite. Mais si on n'a pas d'autre titre que le simple prêt, si on exige l'intérêt précisément en vertu du prêt, sans aucun titre extrinsèque au prêt, c'est-à-dire, sans un titre qui soit distinct et séparable du prêt, cet intérêt devient illicite, injuste, usuraire. Aussi, on définit l'usure proprement dite: tout intérêt, tout profit en sus du capital ou sort principal exigé de l'emprunteur, précisément en vertu ou à raison du simple prêt, du mutuum. Les Pères, les conciles, les Souverains Pontifes et les théologiens, s'appuyant sur les livres saints, s'accordent à nous donner la même notion de l'usure, en la condamnant expressément comme contraire au droit naturel et divin: «Omne lucrum « ex mutuo, præcise ratione mutui, uti loquuntur theologi, hoc « est lucri cessantis, damni emergentis aliove extrinseco titulo « remoto, usurarium, atque omni jure naturali scilicet, divino et « ecclesiastico illicitum esse perpetua fuit et est catholicæ Ecclesiæ « doctrina, omnium conciliorum, Patrum et theologorum consen

(1) Cod. civ. art. 1898. (2) Ibidem. art. 1899. — (3) Encyclique Vix per

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sione firmata. » Ainsi s'exprime Benoit XIV, dans son savant traité de Synodo diœcesana (1).

816. Ce grand Pape enseigne la même doctrine dans l'encyclique Vix pervenit, adressée aux patriarches, archevêques et évêques d'Italie. Il y approuve et confirme les principes suivants :

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1o L'espèce de péché qui se nomme usure, et qui a son siége « propre dans le contrat de prêt, consiste en ce que celui qui prête « veut qu'en vertu du prêt même, qui de sa nature demande qu'on « rende seulement autant qu'on a reçu, on lui rende plus qu'il « n'a prêté; et il prétend, en conséquence, qu'outre son capital, il « est dù un profit, à raison du prêt. C'est pourquoi tout profit de << cette nature est illicite et usuraire : « Omne propterea hu«jusmodi lucrum quod sortem superet illicitum et usurarium

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« est.

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2o Pour excuser cette tache d'usure, on alléguerait en vain que «< ce profit n'est pas excessif, mais modéré; qu'il n'est pas grand, « mais petit; que celui de qui on l'exige, à raison du prêt seul, « n'est pas pauvre, mais riche; qu'il ne laissera pas la somme prê«tée oisive, mais qu'il l'emploiera très-utilement, soit à améliorer « sa fortune, soit à l'acquisition de nouveaux domaines, soit à un «commerce lucratif; puisque l'essence du prêt consistant néces"sairement dans l'égalité entre ce qui est fourni et ce qui est « rendu, cette égalité une fois rétablie par la restitution du capital, celui qui prétend exiger de qui que ce soit quelque chose « de plus, à raison du prêt, s'oppose à la nature même de ce contrat, qui est déjà pleinement acquitté par le remboursement

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« d'une somme équivalente. Par conséquent, si le prêteur reçoit quelque chose au delà du capital, il sera tenu de le restituer, par « une obligation de cette justice qu'on appelle commutative, et qui ordonne de garder inviolablement dans les contrats l'égalité propre à chacun, et de la réparer exactement, si elle a été « violée. »

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817. Puis Benoit XIV ajoute : « Mais en établissant ces principes « on ne prétend pas nier que certains titres qui ne sont pas intrin« sèques au prêt, ni intimement unis à sa nature, ne puissent « quelquefois concourir fortuitement avec lui, et donner un droit juste et légitime d'exiger quelque chose en sus du capital. On "ne nie pas non plus qu'il n'y ait plusieurs autres contrats, d'une « nature entièrement différente de celle du prêt, par lesquels

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(1) Lib. vn. c. 47.

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« on peut placer et employer son argent, soit pour se procurer « des revenus annuels, soit pour faire un commerce, un trafic licite, et en retirer un profit honnête... Toutefois, il faut observer « avec soin que ce serait faussement et témérairement qu'on se persuaderait qu'il se trouve toujours avec le prêt d'autres titres légitimes, ou même, séparément du prêt, d'autres contrats justes, « par le moyen desquels titres ou contrats, toutes les fois qu'on a prête à un autre, quel qu'il soit, de l'argent, du blé, ou quelque autre chose du même genre, il soit toujours permis de rece« voir quelque profit modéré, au delà du sort principal, assuré en " entier. Si quelqu'un pensait ainsi, son opinion serait certaine«ment contraire non-seulement aux divines Ecritures et au juge« ment de l'Église catholique sur l'usure, mais au sens commun et « à la raison naturelle. »

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818. Le Pape termine la même encyclique par l'avis qui suit: Que ceux qui se croient assez de lumières et de prudence pour « oser décider sur ces matières, qui demandent une grande con« naissance de la théologie et des sacrés canons, évitent les deux extrêmes, qui sont toujours vicieux; car quelques-uns jugent des « choses avec tant de sévérité, qu'ils condamnent tout profit qu'on « tire de son argent, comme illicite et usuraire : quelques autres, « au contraire, sont si indulgents et si relâchés, qu'ils se persua"dent que tout profit est exempt d'usure: qu'ils ne s'attachent pas « trop à leurs opinions particulières; qu'avant de donner des décisions, ils consultent plusieurs auteurs renommés, et qu'ils sui« vent les sentiments les plus conformes à la raison et à l'autorité. « S'il s'élève des contestations sur la légitimité de quelques contrats « particuliers, on doit s'abstenir de toute censure et de toute quali«fication injurieuse à l'égard des opinions contraires, surtout si ces opinions sont appuyées sur la raison et les suffrages de célèbres auteurs; car les injures et les invectives blessent la charité, et sont un sujet de scandale pour les peuples (1). »

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(1) Voyez, à la fin de ce volume, l'encyclique Vix pervenit de Benott XIV.— On peut consulter, sur la matière de l'usure, les Conférences d'Angers, édit. de Besançon; notre Exposition de la doctrine de l'Eglise sur le prêt à intérêt; la Dissertation de M. Pagès sur le même sujet, quoiqué un peu trop sévère dans les conclusions pratiques; le savant Traité de Usura, par Ballarin, celui de Gaitte, etc., etc.

ARTICLE IV.

Des Titres qui peuvent légitimer l'intérêt du Prét.

819. De l'aveu de tous les docteurs, il est des titres en vertu desquels on peut tirer quelque intérêt du prêt. Les deux premiers titres, généralement reçus comme légitimes, sont le lucre cessant et le dommage naissant. L'intérêt qu'on perçoit en dédommagement de la perte causée par le prêt, ou en indemnité des bénéfices dont on se prive en prêtant, n'est point un intérêt usuraire. Mais pour qu'on puisse légitimement tirer des intérêts du dommage naissant ou du lucre cessant, il faut, 1° que le prêteur fasse au moins connaître ses intentions à l'emprunteur, qui ne peut être obligé de payer des intérêts sans s'y être attendu, à moins que, malgré la réclamation du prêteur, il n'ait négligé de rendre le capital à l'échéance du terme convenu. 2o Que le prêt soit vraiment la cause ou du dommage naissant ou du lucre cessant. Si, par exemple, je retire du commerce la somme que vous me demandez, ou si cette somme a déjà ou doit avoir sous peu une destination lucrative, je ne suis point obligé de vous la prêter gratuitement, quand même j'aurais entre les mains une autre somme que je conserve pour n'être pas pris au dépourvu, en cas d'événements qu'on ne peut prévoir. 3° Que, tout considéré, l'intérêt qu'on exige à titre d'indemnité soit proportionné à la perte ou au dommage qu'éprouve le prêteur: si le dommage est certain, il peut être fort; s'il est incertain, l'intérêt doit être moindre. Généralement, on peut à cet égard prendre pour base le taux fixé par la loi, lequel est de cinq pour cent en matière civile, et de six pour cent en matière de

commerce.

820. Le troisième titre est le danger extraordinaire de perdre le principal. La valeur de ce titre, autrefois contestée par plusieurs auteurs, est aujourd'hui assez communément reconnue. Suivant une décision de la congrégation de la Propagande, approuvée par Innocent X, le prêteur peut percevoir un intérêt en sus du capital, à raison d'un danger probablement imminent : « Ratione periculi probabiliter imminentis (1). » Ce danger se rencontre fréquemment dans le prêt de commerce, à cause des entreprises ha

(1) S. Alphonse de Liguori, lib. m. no 765.

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